R. c. Maurice Frenette, 2007 NBCP 33 (CanLII)
(13) Dans R. c. Butler (précité), ces dispositions ont été examinées dans le contexte d’une demande d’ordonnance exigeant la traduction de la preuve documentaire d’une langue officielle à l’autre. M. Butler était un anglophone qui ne lisait ni ne parlait ni ne comprenait le français. Il avait retenu les services d’une avocate anglophone pour le représenter relativement à trois chefs d’accusation se rapportant à des actes criminels visés au Code criminel. Quarante-trois des cinquante-quatre pages du premier ensemble de documents divulgués étaient rédigées entièrement en français. Par la suite, d’autres éléments de preuve, dont cent trente-neuf pages rédigées en français, avaient été divulgués à l’avocate de M. Butler, qui avait demandé au poursuivant de faire traduire les documents. Le ministère public avait refusé. L’avocate de M. Butler avait déposé une demande de suspension de l’instance, sollicitant une réparation sous le régime du paragraphe 24(1) de la Charte, pour le motif, notamment, qu’il y avait eu violation des droits de M. Butler prévus à l’article 7 et à l’alinéa 11d) de la Charte en raison du refus de faire traduire les documents.
(14) Ayant examiné la jurisprudence qui s’appliquait, la juge Young a statué comme suit, au paragraphe 35 :
Ces décisions me confortent dans mon opinion selon laquelle il pourrait arriver que l’accusé réussisse à établir que l’omission de lui fournir la traduction, dans la langue officielle de son choix, d’un document divulgué porte effectivement atteinte à son droit de présenter une défense pleine et entière.
(15) Par conséquent, je poursuis mon analyse en tenant pour acquis que l’omission de fournir une version traduite d’un ensemble de documents divulgués peut, dans certains cas, constituer une violation de l’article 7 et de l’alinéa 11d) de la Charte, mais qu’elle ne constitue pas automatiquement une violation. La question qui se pose est alors la suivante : Dans quelles circonstances l’omission ou le refus de faire traduire la preuve violent-ils la Charte?
(16) Encore une fois, la décision de la juge Young est révélatrice à cet égard. La juge Young s’exprime comme suit, au par. 45 :
En résumé, il prétend qu’en sa qualité d’anglophone unilingue qui a présenté une demande officielle de divulgation en anglais, il a le droit absolu de recevoir dans cette langue la preuve divulguée. Étant donné cette prémisse extrêmement générale, j’estime qu’il lui incombe de prouver que le refus de fournir une traduction de la preuve divulguée porte un préjudice véritable à la possibilité qu’il a de présenter une défense pleine et entière.
(17) La juge Young a ensuite rejeté la motion en vue d’obtenir une suspension de l’instance au motif qu’elle n’était pas étayée par la preuve. Même si M. Butler n’a pas compris la substance de ce qui lui a été communiqué, on n’a produit aucune preuve en ce qui concerne la compétence de son avocate en français, il n’a pas non plus été établi que l’accusé n’avait pas les moyens financiers ou les ressources financières nécessaires pour obtenir la traduction de la preuve divulguée, et l’accusé a eu le bénéfice d’une enquête préliminaire tenue entièrement en anglais. En bout de ligne, la juge a conclu que la simple prétention de l’accusé selon laquelle il avait subi un préjudice, en l’absence d’éléments de preuve concernant l’incidence réelle que cela avait eu sur sa capacité d’exercer ses droits constitutionnels, était insuffisante pour établir, même par prépondérance de la preuve, qu’il avait subi un préjudice véritable. Elle a ainsi conclu :
Il incombe à M. Butler d’établir à tout le moins que la nature de la divulgation qui a eu lieu en l’espèce l’a réellement privé de la possibilité d’évaluer la preuve et de prendre des décisions éclairées en ce qui concerne sa défense.
JURISPRUDENCE
(18) Fait à souligner, Me Mahoney n’a été en mesure de présenter à la Cour aucune décision dans laquelle un juge aurait ordonné la traduction de la preuve dans un cas où l’accusé comprenait la langue dans laquelle la preuve divulguée était rédigée.
(19) Dans l’arrêt de principe R. c. Rodrigue, précité, l’accusé et l’avocat qu’il avait choisi comprenaient tous deux l’anglais, la langue dans laquelle la preuve était rédigée, mais l’accusé avait choisi de subir son procès en français. Le juge McDonald a refusé la demande de l’accusé en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant au poursuivant de fournir la traduction en français de toute la documentation.
(20) Dans R. c. Cameron, [1999] A.Q. no 6204, le juge Sirois de la Cour du Québec a refusé d’ordonner la traduction de documents du français à l’anglais pour un accusé qui comprenait le français mais qui avait retenu les services de Morris Manning, un avocat unilingue anglophone.
(21) Trois décisions publiées au Québec examinent la question de la traduction relativement à des accusations portées dans le contexte de la guerre des gangs qui opposait dans cette province les membres du groupe Hell’s Angels et leurs associés et les membres du groupe Rock Machine. L’enquête policière a mis en jeu près de 275 000 communications interceptées représentant 256 000 pages de transcriptions et 177 CD ROM contenant environ 693 000 pages de preuve. Dans la première décision, R. c. Stadnick, [2001] A.Q. no 5226, le juge Paul de la Cour supérieure du Québec a ordonné au poursuivant de préparer un résumé en anglais de la preuve se rapportant à chaque chef d’accusation et un index en anglais de la preuve de façon à ce que l’accusé soit suffisamment informé des détails des accusations qui pesaient contre lui. Le juge a ainsi statué, au paragraphe 18 :
[TRADUCTION]
[…] [J]e ne vois aucun préjudice au droit des requérants à une défense pleine et entière, parce qu’il est admis qu’ils auront accès aux services d’un interprète, qui traduira les documents au fur et à mesure qu’ils seront présentés au procès.
Le juge a refusé d’ordonner la traduction de l’ensemble de la preuve. Dans la décision subséquente R. c. Stockford, [2001] A.Q. no 7038, le juge Fraser Martin de la Cour supérieure du Québec s’est exprimé comme suit, au paragraphe 40, après avoir conclu que la défense n’avait pas droit à la traduction de chaque page de tous les éléments de preuve, qui remplissaient un entrepôt :
Bien entendu, l’accusé a le droit de retenir les services de l’avocat de son choix, mais si l’avocat se trouve désavantagé du point de vue linguistique, comme c’est le cas de Me Gold en l’espèce, l’avocat et son client ont certainement l’obligation d’engager quelqu’un pour les aider en ce qui concerne la question de la traduction.
Dans la troisième décision, soit Rose c. R., [2002] A.Q. no 8339, le juge Fraser Martin a aussi rejeté une motion présentée par l’avocat de la défense Edward Greenspan pour demander la traduction vers l’anglais des documents divulgués, le juge souscrivant à la position adoptée par le juge McDonald dans R. c. Rodrigue.
(22) Dans R. c. Cody, [2006] A.Q. no 6670, le juge Zigman de la Cour supérieure du Québec a refusé d’ordonner la traduction de trente-cinq pages de documents rédigés entièrement en français pour un anglophone unilingue qui avait demandé un procès en anglais.
(23) Dans Pien c. R., [2006] A.Q. no 14491, le juge Laflamme de la Cour du Québec a refusé d’ordonner la traduction de documents du français à l’anglais pour un accusé bilingue qui préférait parler anglais.
(24) Dans R. c. Hunt, [2007] A.Q. no 1549 (Cour du Québec), le juge Decoste a refusé d’ordonner la traduction de l’ensemble de la preuve, mais il a ordonné qu’un résumé de douze pages rédigé par le policier enquêteur soit traduit pour un accusé dont la langue maternelle était le français, mais qui n’avait que des connaissances de base en français et qui ne lisait pas le français. L’accusé avait demandé que son procès se déroule en anglais.
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