mercredi 4 décembre 2013

La publicité du mandat de perquisition et de la dénonciation qui le justifie



11.              Le Code criminel fournit peu d'indications sur la question de l'accès du grand public aux mandats de perquisition et aux dénonciations qui les justifient. Peu de choses ont été écrites sur le sujet. Le procureur général de la Nouvelle‑Écosse appelant a invoqué l'ouvrage de Taylor, intitulé Treatise on the Law of Evidence (11e éd. 1920), une annotation à l'Ordonnance 63, règle 4, des Règles de cours anglaises et l'arrêt Inland Revenue Commissionners v. Rossminster Ltd., [1980] 2 W.L.R. 1. Ces sources indiquent que, d'après la pratique anglaise, il n'y a pas de droit absolu d'examiner et de copier les dossiers et pièces judiciaires. Le droit n'existe que si la personne peut faire la preuve d'un intérêt certain et immédiat ou d'un droit de propriété sur les pièces.

12.              Il semble clair qu'une personne qui est directement concernée par le mandat peut examiner la dénonciation et le mandat après que ce dernier a été exécuté. La raison en est, dans ce cas, que la partie concernée a le droit de demander l'annulation ou la cassation du mandat de perquisition qui se fonde sur une dénonciation viciée. ( R. v. Solloway Mills & Co., [1930] 3 D.L.R. 293 (C.S. Alta.)). Ce droit ne peut s'exercer que si le requérant peut examiner le mandat et la dénonciation immédiatement après que celui‑ci a été exécuté. Le juge MacDonald, de la Cour suprême de l'Alberta, traite ce point dans l'affaire Realty Renovations Ltd. v. Attorney‑General for Alberta et al. (1978), 44 C.C.C. (2d) 249, aux pp. 253 et 254:



[TRADUCTION]  Puisque la délivrance d'un mandat de perquisition est un acte judiciaire et non un acte administratif, il me paraît fondamental que, pour pouvoir exercer le droit de contester la validité d'un mandat de perquisition, la partie concernée ou son avocat puisse examiner le mandat de perquisition et la dénonciation sur laquelle il se fonde. Bien qu'il n'existe pas d'appel de la délivrance d'un mandat de perquisition, une cour supérieure a le droit, par bref de prérogative, de réviser l'acte du juge de paix qui délivre le mandat. Pour bien présenter sa requête, le requérant doit en connaître les raisons ou motifs qui tiennent fort probablement à la formulation de la dénonciation ou du mandat. Je ne puis rien voir d'autre qu'un déni de justice si l'on cache la teneur de la dénonciation et du mandat, après l'exécution de celui‑ci, jusqu'à ce que la police ait terminé l'enquête ou jusqu'à ce que le substitut du procureur général décide de permettre la consultation du dossier où se trouve le mandat. Une telle restriction pourrait de fait retarder, sinon empêcher, la révision de l'acte judiciaire du juge de paix qui a délivré le mandat. Si un mandat est nul, il faut le déclarer nul dès que possible; le plus tôt on peut présenter la requête en annulation, le mieux on protège les droits de la personne.

13.              Le procureur général de la Nouvelle‑Écosse appelant ne conteste pas le droit d'une «partie concernée» d'examiner les mandats et les dénonciations après exécution. Il soutient que M. MacIntyre, un simple citoyen, qui n'est pas directement touché par la délivrance du mandat, n'a pas de droit d'examen. La question est donc de savoir si on peut faire une distinction, en droit, quant à l'accessibilité, entre les personnes qu'on peut qualifier de «parties concernées» et les particuliers qui ne peuvent faire la preuve d'aucun intérêt spécial dans les procédures.

14.              Il semble n'y avoir que deux arrêts canadiens qui ont examiné la question. Dans (1959‑60), 2 Crim. L.Q. 119, on fait état de l'affaire Southam Publishing Company v. Mack, une décision non publiée rendue en chambre par le juge Greschuk de la Cour suprême à Calgary (Alberta). Il a accordé un mandamus qui enjoignait à un magistrat de laisser un journaliste duCalgary Herald consulter la dénonciation et les plaintes que le magistrat avait en sa possession relativement à des affaires dont il s'était occupé à une date donnée.



15.              Dans Realty Renovations Ltd. v. Attorney‑General for Alberta, précité, le juge MacDonald termine son jugement en ces termes:

[TRADUCTION]  Je déclare de plus qu'après l'exécution du mandat de perquisition, la dénonciation qui l'appuie et le mandat deviennent des pièces du dossier judiciaire qui peuvent être consultées sur demande.

Il n'est que juste cependant de souligner que dans cette affaire‑là, la personne qui demandait à voir les pièces était une «partie concernée», et, en conséquence, la déclaration générale précitée va, à proprement parler, au‑delà de ce qui était requis pour trancher l'affaire.

16.              Les tribunaux américains reconnaissent un droit général de consulter et de copier les dossiers et documents publics, y compris les dossiers et documents judiciaires. Ce droit decommon law a été admis, par exemple, par les tribunaux du district de Columbia (Nixon v. Warner Communications, Inc. (1978), 98 S. Ct. 1306). Dans cet arrêt, le juge Powell, qui expose l'opinion de la Cour suprême des États‑Unis, fait remarquer, à la p. 1311:

[TRADUCTION]  Aussi bien le requérant que les intimées reconnaissent l'existence d'un droit, en common law, d'accès aux dossiers judiciaires, mais ils sont en complet désaccord sur son étendue et sur les circonstances qui en justifient la limitation. Etant peu souvent débattus en cour, les paramètres de ce droit n'ont pas été fixés avec précision.

Plus loin, à la p. 1312, le juge Powell dit:



[TRADUCTION]  On a jugé que l'intérêt nécessaire pour justifier la délivrance d'une ordonnance qui oblige à laisser consulter peut être, par exemple, la volonté des simples citoyens de surveiller de près le fonctionnement des corps publics, voir par ex. State ex rel. Colscott v. King, 154 Ind. 621, 621‑627, 57 N.E. 535, 536‑538 (1900); State ex rel. Ferry v. Williams, 41 N.J.L. 332, 336‑339 (1879), et l'intention de l'éditeur d'un journal de faire paraître des renseignements sur le fonctionnement du gouvernement, voir par ex.State ex rel. Youmans v. Owens, 28 Wis.2d 672, 677, 137 N.W.2d 470, 472 (1965), modifié pour d'autres motifs, 28 Wis.2d 685a, 139 N.W.2d 241 (1966). Mais voir: Burton v. Reynolds, 110 Mich. 354, 68 N.W. 217 (1896).

17.              En raison du petit nombre de décisions judiciaires, il est difficile, et probablement peu sage, de vouloir donner une définition exhaustive du droit de consulter les dossiers judiciaires ou une délimitation précise des facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer s'il faut en permettre la consultation. La question qui nous est soumise est limitée aux mandats de perquisition et aux dénonciations. La solution de cette question me paraît dépendre de plusieurs grands principes généraux, notamment le respect de la vie privée des particuliers, la protection de l'administration de la justice, la réalisation de la volonté du législateur de faire du mandat de perquisition un outil efficace dans la détection du crime et, enfin, d'un principe cardinal d'intérêt public qui consiste à favoriser la «transparence» des procédures judiciaires. Bentham a énoncé de façon éloquente la justification de ce dernier principe dans les termes suivants:

[TRADUCTION]  «Dans l'ombre du secret, de sombres visées et des maux de toutes formes ont libre cours. Les freins à l'injustice judiciaire sont intimement liés à la publicité. Là où il n'y a pas de publicité, il n'y a pas de justice.» «La publicité est le souffle même de la justice. Elle est l'aiguillon acéré de l'effort et la meilleure sauvegarde contre la malhonnêteté*. Elle fait en sorte que celui qui juge est lui‑même un jugement.»



18.              Le fait que les mandats de perquisition peuvent être délivrés par un juge de paix à huis clos n'entame pas cette préoccupation de responsabilité. Au contraire, il donne du poids à la thèse en faveur de la politique d'accessibilité. Le secret qui préside d'abord à la délivrance de mandats peut occasionner des abus et la publicité a une grande influence préventive contre toute inconduite possible.

19.              En bref, ce qu'il faut viser, c'est le maximum de responsabilité et d'accessibilité, sans aller jusqu'à causer un tort à un innocent ou à réduire l'efficacité du mandat de perquisition comme arme dans la lutte continue de la société contre le crime.

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