samedi 10 janvier 2015

Revue du droit sur la responsabilité criminelle de la personne morale

R. c. Pétroles Global inc., 2013 QCCS 4262 (CanLII)

Lien vers la décision

[35]        À l’occasion des débats à la Chambre des communes (2e lecture), M. Paul Harold Macklin secrétaire parlementaire du ministre de la Justice et Procureur général du Canada, dit :
 Il reviendrait toujours aux tribunaux de décider dans chaque cas si telle personne est un cadre supérieur, mais je crois que la proposition montre clairement notre intention : l'intention coupable d'un cadre intermédiaire devrait être considérée comme l'intention coupable de la société même. Ainsi, le gestionnaire d'un secteur comme les ventes, la sécurité ou la commercialisation et le gestionnaire d'une entité de l'entreprise comme une région, un magasin ou une usine pourraient être considérés comme des cadres supérieurs par les tribunaux.
[36]        Le projet de loi C-45 a reçu la sanction royale le 7 novembre 2003.
[38]        Remarquons le nouveau vocabulaire : il n’est plus question d’âme dirigeante mais de cadre supérieur, d’agent et d’organisation.
[39]        Cette nouvelle définition de « cadre supérieur » de l’organisation vise l’agent qui  :
  • joue un rôle important dans l’élaboration des orientations de l’organisation
ou
  • assurant la gestion d’un important domaine d’activités de l’organisation.
[40]        Pour les auteurs Archibald, Jull et Roach, il s’agit d’un changement fondamental sinon d’une révolution de la responsabilité pénale des personnes morales. Ils écrivent :
It creates a new regime of criminal liability that applies not only to corporations, but unions, municipalities, partnerships and other associations of persons. It replaces the traditional legal concept of corporate liability based on the fault of the corporation's "directing mind(s)", the board of directors and those with the power to set corporate policy, with liability tied to the fault of all of the corporation's "senior officers". That definition includes all those employees, agents or contractors who play "an important role in the establishment of an organization's policies" or who have responsibility "for managing an important aspect of the organization's activities". It will no longer be necessary for prosecutors to prove fault in the boardrooms or at the highest levels of a corporation: the fault even of middle managers may suffice.
[Nos soulignés]
[41]        La conjonction ou entre les deux subordonnées (agent jouant un rôle important dans l’élaboration des orientations de l’organisation visée ou assurant la gestion d’un important domaine d’activités de celle-ci) est indicative de l’intention du législateur d’écarter définitivement l'arrêt Rhône. La dichotomie établie par l’arrêt Rhône entre « concevoir les politiques de la compagnie et en surveiller la mise en oeuvre plutôt que pour simplement les mettre à exécution » est mise au rancart.
[42]        Le fait que le cadre supérieur puisse être un agent assurant la gestion d’un important domaine d’activités de l’organisation indique bien qu’on veut étendre la responsabilité pénale pour les gestes d’agents se situant au niveau de la gestion (du management), bref, de la mise en œuvre ou de l’exécution des politiques. On veut sortir de la salle du conseil d’administration et descendre sur le plancher de l’usine.
[43]        C’est aussi l’opinion de l’auteur Darcy L. MacPherson :
[11]   The first part of the definition of "senior officer" ("plays an important role in the establishment of the organization's policies") appears largely to codify the common law; "directing minds" under the common law would fit this definition. The second portion, however, clearly extends the attribution of criminal corporate liability to the actions of mid-level managers. Anyone who "is responsible for managing an important aspect of the organization's activities" can render the corporation liable. This is a much lower standard than under the common law. "Senior officers" would include those managers who implement and operationalize corporate policies set by executives and/or directors. Bill C-45 essentially eradicates the distinction between those who create or set corporate policy and those charged with managing its implementation. In this sense, Bill C-45 extends corporate criminal liability.
[nos soulignés]
[44]        Le mot gestion est aussi nouveau dans le vocabulaire de la responsabilité pénale des personnes morales. En choisissant ce  mot, on a voulu s’éloigner de Rhône qui  mentionnait que l’âme dirigeante était celle qui exerçait un pouvoir décisionnel dans un champ d'activité pertinent de la compagnie. On a voulu aussi se mettre au diapason des formes modernes d’organisation corporative qui ont depuis longtemps abandonné le modèle hiérarchique pyramidal pour la segmentation ou la division de la gestion en plusieurs unités ou secteurs. Ce n’est pas un hasard.
[45]        Selon le Grand dictionnaire terminologique, le mot gestion se définit comme étant :
Mise en œuvre de tous les moyens humains et matériels d'un organisme ou d'une entreprise pour atteindre les objectifs préalablement fixés.
[46]        La question de savoir si une personne est un cadre supérieur d’une organisation n’est pas un exercice théorique ou abstrait. Le Tribunal devra déterminer si l’agent joue un « rôle important » ou gère un « important domaine d'activités ». Encore ici, il s’agit d’une question de fait qui nécessite l’examen, à travers toute la preuve présentée, de la structure organisationnelle et de l’ensemble des activités de la corporation.
[47]        Pour déterminer si l’agent est un cadre supérieur, le Tribunal devra procéder à l’examen minutieux des fonctions et responsabilités de l’agent dans l’organisation et ce, bien au-delà du titre de l’employé, des organigrammes de l’organisation ou du cloisonnement des fonctions de gestion (gestion des finances, des ressources humaines, matérielles, informatiques, etc.). Le Tribunal devra aussi évaluer  l'importance du secteur d'activités que la personne gère pour l’organisation.
[48]        Dans sa décision de citer l’accusée à procès, le juge Chapdelaine écrit :
La lecture de l'article 22.2 permet les constats suivants. Il peut exister plusieurs cadres supérieurs au sein d’une même organisation. Un cadre supérieur peut être associé à une sphère d’activité ou à un territoire précis, tout comme le voulait la théorie de l'identification. Cet article indique que l’on doit, afin de déterminer si un employé est un cadre supérieur, considérer les fonctions qu’il exerce et les responsabilités qui lui incombent dans le champ d’activités qui lui a été délégué. Il découle de cela que la notion de cadre supérieur n’inclut pas seulement les hauts dirigeants et le conseil d’administration d’une compagnie.
[49]        Le Tribunal partage cette opinion.
[50]        Ainsi, la responsabilité pénale des personnes morales ne sera plus établie selon la théorie de l’« âme dirigeante », mais plutôt des « cadres supérieurs », un changement substantiel de la common law connue jusqu’alors.
[51]        MM. Payette, Bourassa ou Leblond sont-ils des cadres supérieurs de Global ?
[52]        Si oui, la responsabilité pénale de Global est engagée.

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