dimanche 15 février 2015

Le fait collatéral vu par la Cour d'Appel

R. c. Renaud, 1998 CanLII 12447 (QC CA)


La preuve d'un fait incident commence par le contre-interrogatoire d'une partie.  Comme le souligne le professeur R. J. Delisle: « By the common law, impeachment by proof of a prior contradictory statement could only be done if preceded by a cross‑examination of the witness as to the matter thereof » (Evidence : Principles and Problems, 4th ed., Toronto, Carswell, 1996, p. 351).  Un tel contre-interrogatoire ne donne pas dans tous les cas, toutefois, le droit de présenter une contre‑preuve.  Dans R. c. Krause1986 CanLII 39 (CSC), [1986] 2 R.C.S. 466, p. 474, le juge McIntyre explique :

Les avocats jouissent, en matière de contre-interrogatoire, d'une grande liberté qui leur permet de vérifier et d'attaquer les dépositions des témoins et leur crédibilité.  Lorsqu'un élément nouveau ressort du contre‑interrogatoire, nouveau dans le sens que le ministère public n'a pas eu l'occasion d'en traiter dans sa preuve principale (c.‑à‑d. qu'il n'avait aucune raison de prévoir que la question serait soulevée), et lorsque la question porte sur le fond de l'affaire (c.‑à‑d. sur une question essentielle pour statuer sur l'affaire), le ministère public peut alors être autorisé  à présenter une contre‑preuve.  Toutefois, lorsque la nouvelle question est incidente, c'est‑à‑dire, non déterminante quant à une question soulevée dans les plaidoiries ou dans l'acte d'accusation ou sans rapport avec des questions dont la preuve est nécessaire pour trancher l'affaire, aucune contre‑preuve ne sera autorisée.  [Je souligne.]

Ainsi, lorsqu'un témoin est contre-interrogé sur un fait incident, sa réponse sera généralement jugée définitive et la présentation d'une contre‑preuve ne sera pas permise.  Cette règle, qui n'est finalement qu'une application du principe de la pertinence (R. c. A.(1989) 70 C.R. (3d) 298, à la p. 301, par le juge Westmore (B.C. Co. Ct.)), comporte cependant certaines exceptions.  Ainsi, selon J.‑G. Boilard, dans Manuel de preuve pénale, Cowansville, Yvon Blais, 1997, p. 0-27 :


0.025 – L'on peut formuler ainsi les exceptions à la règle de la finalité des réponses collatérales :

1.   Condamnation antérieure;

2.   Déclaration antérieure contradictoire;

3.   Animosité ou partialité du témoin à l'égard de l'une des parties.

4.   Réputation de menteur du témoin;

5.   Preuve médicale du peu de fiabilité du témoin.

Il faut donc, pour qu'une personne soit autorisée à présenter une contre‑preuve visant à contredire un témoin déjà contre-interrogé sur un fait incident, qu'elle démontre que l'on est en présence de l'une des exceptions.

Dans ces circonstances, la demande du procureur de l'accusé pour être autorisé à présenter une contre‑preuve ne pouvait être reçue.  C'est d'ailleurs ce qu'a décidé le premier juge, à mon avis avec raison, dans sa décision interlocutoire (m.a., vol. 2, pp. 359-361) alors qu'il a surtout insisté sur le caractère non pertinent de la demande qui, à son avis, visait des faits trop pointus pour faire avancer l'enquête et qui, si elle était admise, provoquerait des débats inutiles.

J'estime donc que le procureur de l'accusé ne pouvait pas procéder comme il l'a fait et présenter une contre‑preuve sur les prétendus mensonges de la plaignante car celle‑ci n'a jamais été contre-interrogée sur ces faits et, par conséquent, n'a jamais eu l'occasion de donner sa propre version à leur sujet, laquelle aurait alors pu être contredite par le témoignage de ses frères et soeurs lors d'un interrogatoire

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