dimanche 15 février 2015

Le témoin peut faire l'objet d'un contre-interrogatoire sur toutes questions visant sa personnalité ou encore sa crédibilité (fait collatéral)

R. c. Thériault, 2004 CanLII 26986 (QC CS)


[7]               Il est reconnu qu'un témoin peut faire l'objet d'un contre-interrogatoire sur toutes questions visant sa personnalité ou encore sa crédibilité.
[8]               Il est également reconnu que la preuve de moralité ou de caractère d'un témoin ne saurait être admise que si celle-ci est reliée à une question en litige.  Ainsi, si cette preuve est pertinente, elle sera, de ce fait, admissible.
[9]               Par exemple, la preuve de propension ou d'un trait de caractère d'un témoin sera admissible si cette preuve est susceptible d'aider le juge des faits à déterminer qui est l'auteur de l'infraction.  Incidemment, dans notre dossier, Martin Laroche n'a pas nié avoir agi à titre d'auteur pour certains vols qualifiés, il a tout simplement témoigné sur les personnes qui y avaient participé.
[10]            Dans l'arrêt Arcangioli, le juge du procès avait permis la preuve de propension d'un tiers à la violence pour établir que ce dernier était susceptible d'avoir poignardé la victime, tel que le soutenait l'accusé.  Bien que la question sous étude visait l'absence de directives adéquates quant à l'utilisation de cette preuve, le juge Major, rendant jugement pour la Cour, indiquait que la preuve de mauvaise moralité d'un tiers ne sera admise que si celle-ci est pertinente.  Comme il l'indique, cette preuve n'aurait aucune valeur probante si elle était sans rapport avec les circonstances entourant l'accusation.
[11]            De la même façon dans l'arrêt Scopelliti, l'on a permis une preuve de disposition à la violence de la victime dans un contexte de légitime défense.
[12]            Plus récemment, dans l'arrêt Watson, la Cour d'appel de l'Ontario, dans un jugement rendu par le juge Doherty au nom de la Cour, ordonnait un nouveau procès au motif que le juge du procès aurait dû permettre à la défense de présenter un témoin qui établissait que la victime portait toujours une arme sur elle.
[14]            Cet arrêt nous enseigne que la preuve de propension, soit la violence d'un tiers ou d'une victime, peut être pertinente même si l'accusé ne soulève pas la légitime défense et, à ce titre, la pertinence de la preuve proposée devra s'évaluer dans le contexte des circonstances de l'affaire.
[18]            Cependant, la pertinence doit s'évaluer en fonction de la pertinence logique du fait à prouver.  Que veut-on prouver en contredisant Laroche sur ses craintes ou croyances que des policiers sont partout sinon que d'établir que Laroche imagine des choses.
[19]            Comme l'indiquent les auteurs Sopinka, Lederman et Bryant dans The Law of Evidence in Canada:
There is a general rule that answers given by a witness to questions put to him or her on cross-examination concerning collateral facts are treated as final, and cannot be contradicted by extrinsic  evidence.  Without such a rule, there is the danger that litigation will otherwise be prolonged and become sidetracked and involved in numerous subsidiary issues.  The rule does permit the use of extrinsic evidence to contradict a witness who has made a statement in cross-examination which is relevant to the substantive issue.  However, with respect to questions which are directed solely to impeaching a witness' credibility, the answers must, save for certain common law and statutory exceptions, be accepted as final.
[20]            Les exceptions traditionnelles à cette règle de finalité des réponses sur les questions collatérales sont :
        les condamnations antérieures ;
        les déclarations antérieures contradictoires ;
        l'animosité ou la partialité d'un témoin ;
        la réputation de menteur ; ou
        la preuve médicale du peu de fiabilité du témoin.
Cette dernière exception fait référence à une preuve qu'un témoin a eu un suivi médical et qu'il peut être dangereux d'accepter son témoignage : quant à l'analyse de ces exceptions et sur l'obligation de la défense de contre-interroger sur ces faits, voir l'arrêt Renaud.
[24]            Cela dit, même si la preuve ne tombe pas sous l'une des exceptions prévues à la règle de l'inadmissibilité en preuve de faits collatéraux, peut-on considérer que cette preuve est reliée à une question en litige dans le présent dossier, comme le proposent les auteurs Hill, Tanovich, Strezos et Hutchison dans McWilliams' Canadian Criminal Evidence,  dans les termes suivants :
[…] the traditional position is that independent contradictory evidence is not admissible to attack an opponent's witness on credibility alone unless the fact in question is covered by an exception to the collateral fact rule or otherwise relates to an essential issue to be proved or to rebut a defense.
et plus loin, on semble élargir la question dans les termes suivants:
Judicial discomfort with the limitations of pigeon-holing and admissibility exceptions in other areas of the law of evidence, notably similar fact evidence and hearsay evidence, has prompted a more principled approach determined to ensure reliability and fairness in individual cases consistent with the policy rationale for the admission of evidence generally.
[25]            Dans le cas sous étude, comme je l'ai indiqué antérieurement, la preuve n'est pas couverte par l'une des exceptions prévues à la règle interdisant la preuve des faits collatéraux.
[26]            Il y a donc lieu si on applique le 'principled approach', tel que proposé par les auteurs mentionnés précédemment, d'analyser la valeur probante de cette preuve versus son effet préjudiciable.  Est-ce que cette preuve est pertinente au litige ?  J'estime que non.
[28]            Toute la preuve visant le caractère, la propension du témoin ou son style de vie de même que des actes répréhensibles qu'il a pu commettre dans le passé, a été permise dans le cadre du contre-interrogatoire du témoin Laroche.  Toutes les questions concernant sa mauvaise moralité ou sa mauvaise réputation ont également été permises lors de son contre-interrogatoire.
[30]            Tel que mentionné à l'audience, un tel procès serait sans fin, si une partie était admise à contredire un témoin sur tous les points abordés lors du contre-interrogatoire.
[31]            De plus, cette preuve pourrait laisser croire au jury qu'il s'agit non plus du procès des accusés mais bien du procès du témoin.
[32]            Cela dit, toute preuve pour être admissible doit avoir une pertinence logique avec les faits que l'on cherche à établir. J'estime que la preuve proposée n'est pas pertinente ni ne constitue une preuve logique d'un fait à prouver au dossier.
[40]            Je ne vois pas en quoi la preuve des faits collatéraux visant le comportement de Laroche pourrait être utile aux jurés pour déterminer les questions relatives à la culpabilité ou à l'innocence de même que pour établir qui étaient les auteurs des crimes qui ont été établis en preuve.
[41]            Cela dit, je considère tout comme dans l'arrêt French que :
To receive such evidence might, indeed, open a pandora's box, from which there could be no resiling, of confusion and usurpation of function.

et je réfère également les parties à l'arrêt Desmoulin dont j'ai parlé hier.
[42]            J'estime que cette preuve a moins de poids que l'effet préjudiciable qu'elle pourrait avoir et reprenant les propos de Mme McLachlin dans l'arrêt Seaboyer :
Le problème est qu'un procès est une affaire complexe qui soulève des questions très diverses.  Il ne faut pas examiner la question de la pertinence en vase clos, mais plutôt par rapport à certaines des questions en litige.  Une preuve peut-être pertinente à l'égard d'une question, mais ne pas l'être à l'égard d'une autre et, qui pis est, elle peut induire en erreur le juge des faits sur la seconde.  Ainsi, une preuve peut avoir une valeur probante à l'intérieur du procès, mais risquer de porter atteinte à l'appréciation des faits sur une autre question. 

Et  elle explique plus loin que c'est la raison pour laquelle le droit de la preuve confie au juge du procès le soin de déterminer la valeur probante d'une preuve par rapport à son effet préjudiciable.
[43]            Pour l'ensemble de ces motifs, je considère que l'effet préjudiciable l'emporterait sur le peu de valeur probante de cette preuve, bien que je n'y vois pas de pertinence logique comme telle, et la preuve proposée est déclarée inadmissible.

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