samedi 7 novembre 2015

La communication de la preuve et le privilège de l'informateur

R. c. Tshiamala, 2011 QCCA 439 (CanLII)


[107]      De plus, l'impact sur la crédibilité du témoin n'est pas à négliger, puisque la poursuite cherchait à convaincre le jury qu'il mentait en témoignant et que la vérité se trouvait donc dans sa déclaration antérieure. En somme, tout ce qui affaiblissait la crédibilité du témoin pouvait rehausser la valeur probante de sa déclaration antérieure et, par le fait même, la force de la preuve à charge. Ainsi, en décidant d'utiliser la lettre P-27, sachant qu'elle ne pourrait communiquer la preuve contradictoire, et en n'avisant pas la défense de l'existence d'une telle preuve (sans en divulguer bien entendu le sens exact), elle a brimé les droits des accusés à une défense pleine et entière.
[108]      Cette interprétation du droit est d'ailleurs confirmée par la directive PRE-1, publiée par le Directeur des poursuites criminelles et pénales du Québec à l'intention des procureurs de la poursuite, qui prévoit ceci :
[Obligation de communication] Dans toute poursuite relative à une infraction criminelle ou pénale, le procureur a le devoir constitutionnel de communiquer à une personne accusée ou à son avocat tous les renseignements qu'il détient et qu'il considère pertinents, sous réserve des renseignements qu'il a l'obligation de protéger.
[Pertinence des renseignements] Un renseignement est pertinent s'il tombe dans l'une des catégories suivantes :
b) il permet directement ou indirectement de réfuter la preuve et les arguments présentés par la poursuite;
[Confidentialité et privilèges] Le procureur doit protéger tout renseignement confidentiel ou privilégié.
Notamment, il doit protéger :
a) tout renseignement permettant de connaître ou de déduire l'identité d'un informateur de police;
[…]
h) tout autre renseignement faisant l'objet d'un privilège ou d'une interdiction de communication en vertu de la loi ou de la common law.
[…]

Afin de protéger les renseignements visés par le présent paragraphe, le procureur doit adopter la méthode qui aura pour effet à la fois de protéger les renseignements et de porter le moins possible atteinte au droit de l'accusé à une défense pleine et entière.
À cet effet, il pourra notamment :
i) expurger d’un document les parties de renseignements qui risquent de porter atteinte à la confidentialité ou au privilège tout en communiquant les renseignements périphériques contenus dans ce document qui n'ont pas cet effet;
ii) retarder la communication, notamment lorsqu'il est nécessaire de protéger la vie ou la sécurité des personnes jusqu'à ce que ce danger soit écarté;
iii) refuser de communiquer les renseignements.
Quelle que soit la méthode utilisée par le procureur pour préserver la confidentialité ou le privilège, ce dernier doit toujours donner à l'accusé l'information minimale permettant à ce dernier de savoir que certains renseignements ne lui ont pas été communiqués
[Je souligne.]
[109]      Ainsi, ce n'est pas parce que l'information doit être protégée que la poursuite ne doit pas informer la défense de l'existence d'une preuve pertinente. Au contraire, elle doit l'en informer, sans en préciser la teneur, pour que celle-ci puisse agir en conséquence, notamment en présentant les requêtes nécessaires. En l'espèce, l'avocat de la poursuite n'a pas respecté cette règle.
[110]      Le guide du service fédéral des poursuites va dans le même sens :
      18.5 Éléments de preuve exclus
      L'obligation de communiquer imposée à la Couronne n'est pas absolue : seuls les éléments de preuve pertinents doivent être communiqués et l'existence d'un privilège légal peut justifier un refus de communiquer des renseignements pertinents pour la défense.
Lorsque le procureur de la Couronne décide de ne pas communiquer des renseignements, il doit aviser la défense du refus, du motif de celui-ci (c.-à-d., le type de privilège invoqué) et, dans la mesure du possible, de la nature générale des renseignements non communiqués. Cependant, dans certaines circonstances, la simple reconnaissance de l'existence de l'information (c.-à-d., dans le cas où celle-ci se rapporte aux relations internationales, à la défense ou à la sécurité nationales, à un indicateur de police ou à une enquête policière en cours) porterait préjudice aux renseignements que l'on tente de protéger. Dans ces cas, on attend du procureur qu'il fasse preuve de discernement et consulte les avocats directeurs principaux pour évaluer le mode d'action à adopter selon chaque dossier.
Lorsqu'il retarde la communication d'éléments de preuve pour assurer la sécurité de témoins, selon les dispositions énoncées précédemment à la s. 18.4.2, ou pour permettre qu'une enquête soit menée à terme, dans les conditions prévues à la s. 18.5.3, le procureur de la Couronne doit communiquer les renseignements dès que disparaît la justification du report. Il doit aviser la défense du fait qu'une partie de la communication est retardée sans que cela porte atteinte au motif du report. 
[Je souligne.]
[111]      On comprend qu'il pourrait arriver que l'avocat de la poursuite ne puisse pas dévoiler même la simple existence d'une autre preuve. Il devrait alors faire preuve de discernement, ce qui signifie, dans certains cas, ne pas présenter la preuve partielle. C'était clairement le cas ici.
[112]      Il ne saurait être question, comme le soutient l'appelante, de considérer, par analogie, la preuve contradictoire comme une preuve non disponible, parce que perdue ou détruite. Cette preuve existait et la poursuite n'était donc pas confrontée à l'impossibilité de la communiquer parce qu'elle serait disparue ou détruite. La possibilité demeurait et l'avocat devait agir en conséquence.
[113]      Bref, même si la poursuite ne pouvait ici divulguer l'essence de la preuve contradictoire sans, ce faisant, divulguer l'identité de l'informateur, il n'en reste pas moins qu'elle devait faire un choix. Soit elle n'utilisait pas la lettre P-27, ce qui lui permettait de ne pas divulguer la preuve contradictoire puisque non pertinente, soit elle l'utilisait et elle devait alors informer la juge et lui demander des directives sur la marche à suivre, à huis clos et ex parte, conformément à la common law ou à l'article 37 de la Loi sur la preuve. De cette façon, la juge aurait pu assurer le respect des droits des accusés, soit en interdisant l'utilisation de la preuve, en toute connaissance de cause (ce qui aurait sûrement permis d'éviter l'incident de la lecture de la lettre), soit en fixant des conditions à son utilisation.
[114]      De plus, l'avocat de la poursuite, pendant de longues journées, a tenté de procéder à la présentation de sa preuve en cachant l'existence de la preuve contradictoire et ensuite de convaincre la juge de l'à-propos de sa décision de ne pas en parler. Dans l'un ou l'autre cas, cette conduite devait être prise en compte par la juge, comme elle l'a fait.
[115]      L'appelante reproche aussi à la juge de première instance de ne pas avoir indiqué en quoi le droit à une défense pleine et entière aurait été enfreint ni en quoi il y aurait eu atteinte à l'équité du procès. Ce reproche n'est pas fondé. Les paragraphes 102 à 115 du jugement, qui demeurent confidentiels, mais dont l'appelante a pu prendre connaissance, expliquent amplement pourquoi l'utilisation de la lettre, tout en sachant qu'une autre preuve pouvait la contredire ou en diminuer substantiellement la valeur probante, enfreignait la protection accordée par la Charte aux accusés et portait atteinte à l'intégrité du système de justice.

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