dimanche 4 mars 2018

L’absence d’un plan de poursuite réaliste

R. c. Antoine, 2017 QCCS 1325 (CanLII)

Lien vers la décision

[184]     Dans l’arrêt R. c. Auclair, la Cour suprême affirme que la poursuite doit concevoir un « plan [de poursuite] réaliste pour que [l]es accusations donnent lieu à un procès et que celui-ci se déroule dans un délai raisonnable ».
[185]     Dans l’arrêt Jordan, la Cour suprême formule les commentaires suivants à ce sujet :
[79]      Il convient de rappeler que ces décisions relèvent entièrement de l’expertise du juge de première instance. Bien entendu, celui-ci voudra également se pencher sur la question de savoir si le ministère public, qui a introduit ce qui semblait raisonnablement être une poursuite complexe, a établi et suivi un plan concret pour réduire au minimum les retards occasionnés par une telle complexité (R. c. Auclair2014 CSC 6 (CanLII),[2014] 1 R.C.S. 83, par. 2). S’il ne l’a pas fait, le ministère public ne sera pas en mesure d’établir l’existence de circonstances exceptionnelles, parce qu’il ne pourra pas démontrer que les circonstances en question étaient indépendantes de sa volonté. Dans le même ordre d’idées, et pour la même raison, le ministère public pourrait vouloir se demander si l’existence de multiples accusations pour la même conduite ou si le fait de juger plusieurs coaccusés en même temps a pour effet de compliquer indûment l’instance. Même si le tribunal ne joue aucun rôle de surveillance à l’égard de telles décisions, l’avocat du ministère public doit être conscient du fait que tout délai qui découle de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du poursuivant doit respecter les droits de l’accusé protégés par l’al. 11b) (voir, p. ex., Vassell). Comme la Cour l’a affirmé dans R. c. Rodgerson,2015 CSC 38 (CanLII)[2015] 2 R.C.S. 760 :
Certes, il est loisible au ministère public d’intenter des poursuites lorsque la preuve permettrait à un jury raisonnable de déclarer l’accusé coupable. Toutefois, une sorte d’analyse de rentabilité servirait également le système de justice. Lorsque les autres accusations ou les accusations plus sévères sont d’importance secondaire et que la poursuite relative à ces accusations nécessiterait un procès et des directives au jury beaucoup plus complexes, le ministère public devrait sérieusement se demander si l’intérêt public serait mieux servi en décidant dès le départ de ne pas intenter de poursuite relativement aux accusations d’importance secondaire, ou en décidant de ne pas y donner suite lorsque la preuve au procès est complète. [par. 45]
[80]      Lorsque le juge conclut que l’affaire était particulièrement complexe, de sorte que sa durée était justifiée, le délai est jugé raisonnable et aucun arrêt des procédures n’est ordonné. Aucune autre analyse n’est nécessaire.
[81]      En termes clairs, la présence de circonstances exceptionnelles sera le seul fondement permettant au ministère public de s’acquitter du fardeau qui lui incombera de justifier un délai qui excède le plafond établi. Comme nous l’avons vu, une circonstance exceptionnelle peut découler d’un événement distinct (comme une maladie, une procédure d’extradition ou un imprévu au procès) ou de la complexité d’une cause. La gravité de l’infraction ne peut servir à justifier le délai, même si les causes plus complexes seront souvent celles qui mettent en cause des accusations graves, comme le terrorisme, le crime organisé et les activités liées à une organisation criminelle. Les délais institutionnels chroniques ne peuvent non plus servir de fondement au dépassement du plafond. Fait peut-être plus important encore, l’absence de préjudice ne peut en aucun cas servir à justifier des délais lorsque le plafond est dépassé. Quand il s’est écoulé autant de temps, seules des circonstances véritablement indépendantes de la volonté du ministère public et auxquelles celui-ci ne pouvait remédier peuvent donner une excuse suffisante pour justifier le délai prolongé.
[Le soulignement est ajouté]
[186]     Selon le Guide du Service fédéral des poursuites, le plan de l’enquête criminelle doit donner lieu à un plan de poursuite qui puisse être gérer sur la plan juridique (« legally manageable »).
[187]     L’exigence formulée par la Cour suprême quant à l’existence d’un plan de poursuite réaliste de nature à favoriser la tenue d’un procès dans un délai raisonnable amène les accusés à faire valoir que l’inexistence d’un tel plan dans la présente affaire explique la source ou la raison des délais.
[188]     À cet égard, l’envoi de l’ébauche d’une liste de témoins et d’un projet d’admissions le 11 avril 2014, soit trois jours après la première conférence préparatoire et avant la tenue de l’enquête préliminaire, réfute complètement la position des accusés.  
[189]     L’absence d’une réponse formelle de leur part tend à établir qu’ils en étaient satisfaits.
[190]     Rappelons qu’à ce moment, la Cour d’appel du Québec avait rendu, un an plus tôt, sa décision dans l’affaire Auclair où elle formulait déjà l’avis que la poursuite doit élaborer un tel plan de poursuite.
[191]     Si les accusés s’estimaient insatisfaits du rythme de progression du dossier ou de l’absence d’un plan de poursuite réaliste, l’opportunité de le faire leur était spécifiquement offerte par la poursuite dans sa communication par courriel. Ils ne s’en sont pas prévalus.
[192]     Leurs critiques actuelles apparaissent, encore une fois, le fruit d’une analyse rétrospective qui s’appuie sur le bénéfice que procure le recul.

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