dimanche 4 mars 2018

Revue des principes en matière de divulgation de la preuve

R. c. Antoine, 2017 QCCS 1325 (CanLII)

Lien vers la décision


[151]     Dans l’arrêt R. c. Dixon, la Cour suprême reconnait que « [l]a nature même du processus de divulgation l’expose à l’erreur humaine et à la contestation ».
[152]     Le processus de communication de la preuve était imparfait dans la présente affaire, mais le dossier ne révèle pas que la poursuite ait été négligente ou insouciante à cet égard.
[153]     Certes, le Tribunal a dû prononcer une ordonnance pour rendre la communication de la preuve facilement accessible de manière électronique.
[154]     Cependant, les imperfections ou erreurs dans la communication de la preuve ne paraissent pas avoir été la source de quelques délais que ce soit à l’enquête préliminaire ou dans la gestion de l’instance en préparation du procès.
[155]     La communication de la preuve s’est réalisée, jusqu’à maintenant, d’une manière soutenue et le rythme de celle-ci n’entrave pas la gestion efficace et équitable de l’instance.
[156]     De plus, compte tenu des délais institutionnels importants auxquels les parties sont confrontées, on ne peut conclure que les problèmes entourant la communication de la preuve expliquent ou constituent la source des délais dans la présente affaire.
[157]     Cette question fait l’objet de l’attention de la Cour d’appel dans l’arrêt Gariépy c. Autorité des marchés financiers.
[158]     Le juge Mainville aborde la question de la manière suivante :
[62]      Avec respect, la question n’est pas de savoir si une communication de preuve tardive est un manquement ou non à l’obligation de divulguer, mais plutôt si les délais qui résultent d’une communication tardive doivent être qualifiés de délais inhérents, institutionnels ou imputables à des actes du ministère public aux fins de l’analyse sous le paragraphe 11b) de la Charte.
[63]      Tel que le juge Sopinka le signalait dans R. c. Morin, les délais de communication de la preuve propres à chaque affaire sont des délais inhérents :
Outre la complexité d'une affaire, il existe des délais inhérents qui sont communs à presque toutes les affaires. L'intimée a décrit ces activités comme des [TRADUCTION] « délais préparatoires ». Peu importe la manière dont on désigne ces délais, ils sont constitués d'éléments comme le recours aux services d'un avocat, les audiences en matière de cautionnement, les documents de la police et de l'administration, les communications de la preuve, etc. Tous ces éléments peuvent ou non être nécessaires dans une affaire en particulier mais chacun d'entre eux prend un certain tempsSi le nombre et la complexité de ces éléments augmentent, la longueur du délai raisonnable augmente également. De même, moins il y a d'éléments nécessaires et plus chacun d'entre eux est simple, le délai devrait être court.
[64]      Toutefois, le juge Sopinka souligne aussi que les délais résultant des défauts ou des retards en matière de communication de preuve incombent au ministère public. Ces délais « comprennent les demandes d'ajournement par le ministère public, le défaut ou le retard en matière de communication de la preuve, les requêtes en renvoi devant une autre cour, etc. ».
[65]      D’ailleurs, la juge en chef McLachlin s’exprime comme suit dans R. c. MacDougall :
Le ministère public a la responsabilité de traduire les accusés en justice: [R. c.] Askov, [1990 CanLII 45 (CSC)[1990] 2 R.C.S. 1199]. Cette responsabilité inclut l'obligation de veiller à ce que, une fois engagées, les procédures judiciaires ne soient pas indûment retardées. […] Les demandes d'ajournement faites par le ministère public et le temps mis à communiquer la preuve sont des exemples de délais qui sont reprochés au ministère publicdans l'appréciation du caractère raisonnable du délai global: voir [R. c.] Morin, [1992 CanLII 89 (CSC)[1992] 1 R.C.S. 771].
[66]      Si cet extrait de R. c. MacDougall laisse entendre que tous les délais de communication de la preuve incombent au ministère public, il faut nuancer ces propos en tenant compte de la référence faite par la juge McLachlin à l’affaire R. c. Morin et les propos qu’y tient le juge Sopinka, lesquels sont reproduits ci-dessus.
[67]      Dans R. c. Godin, le juge Cromwell s’exprime comme suit quant à la qualification d’un délai à la suite d’un retard important à communiquer une preuve pertinente :
[6] Des échantillons ont été prélevés sur la victime par écouvillonnage vaginal le lendemain des infractions reprochées, soit en mai 2005. Cependant, ce n'est que près de neuf mois plus tard, seulement quatre jours avant la date fixée pour le début du procès à la mi-février 2006, que le ministère public a reçu un rapport du Centre des sciences judiciaires (« CSJ ») révélant les résultats de l'analyse génétique. La raison pour laquelle il a fallu neuf mois pour obtenir et communiquer les résultats de l'analyse n'a jamais été expliquée.
[11] Vu les incompatibilités possibles entre les déclarations de la plaignante et la preuve criminalistique, le ministère public s'est abstenu, avec raison, de mettre en doute l'importance potentielle de la preuve ou d'insister pour que le procès débute malgré la communication tardive. Rien ne laisse croire que l'avocat du ministère public ait retardé la communication ou qu'il ait provoqué ce retard par sa faute de quelque façon que ce soit. Le retard demeure néanmoins attribuable au ministère public. C'est en effet au ministère public qu'il incombe de mener un accusé à son procès et de fournir les installations et le personnel nécessaires pour que les inculpés soient jugés dans un délai raisonnable : R. c. Askov1990 CanLII 45 (CSC)[1990] 2 R.C.S. 1199, p. 1225. Il lui incombe en outre d'expliquer les retards inhabituels attribuables aux experts en criminalistique. En l'espèce, il n'a offert aucune explication.
[68]      Des propos similaires sont tenus par la Cour d’appel de la Saskatchewan dans R. v. Pidskalny :
Now, the Crown submits that not every single piece of disclosure needs to be provided to an accused before the preliminary hearing. I agree with this as a general proposition and in no way do I mean to say here that the Crown's disclosure obligations must be fully satisfied before a matter may proceed to the preliminary hearing. That is neither the state of the law nor, indeed, what occurred in this case. Nevertheless, the Crown will bear the consequences where its late or inadequate disclosure directly results in the postponement or interruption of the preliminary hearing and thereby adds to the delay (see:R. v. Thomson, at paras. 16-18). On the facts of this case, I am simply not persuaded that the judge erred in finding that the Crown's inaction with respect to timely and adequate disclosure had led to the adjournment of the preliminary hearing and, therefore, that that delay ought to be attributed to the Crown. I say this simply because I have before me the fact that a judge found Mr. Pidskalny's disclosure concerns to have been well-founded considering the nature of the case and the nature of the requested disclosure. Having no reason to look behind this finding, it would appear that Mr. Pidskalny's adjournment request was prudent and possibly staved off even further delay.
[69]      Dans l’affaire R. c. Cyr-Beauchemin, le juge Chapdelaine de la Cour du Québec s’exprime, avec raison, comme suit :
C'est pourquoi le Tribunal retient qu'à partir du moment où, dans ce dossier, la poursuite refuse, à tort, de divulguer la documentation entourant la certification de l'alcool type et des registres d'entretien (tous des renseignements raisonnablement disponibles), les délais ne peuvent être imputés au requérant en tentant de soutenir qu'il n'était pas prêt à procéder vu sa demande de divulgation. De l'avis du Tribunal, à partir de ce moment les délais engendrés par une divulgation tardive ou tatillonne doivent être imputés à la poursuite.
[70]      Ainsi, la communication de la preuve peut engendrer deux types de délais :
(a)        des délais inhérents à la communication de la preuve qui sont évalués à la lumière des circonstances de chaque cas; et
(b)        s’il y a défaut de communiquer la preuve ou s’il y a retard à communiquer celle-ci au-delà de ce qui peut être considéré comme étant les délais inhérents à l’affaire, les délais additionnels qui en résultent peuvent être qualifiés d’actes du ministère public.
de sorte que l’analyse des circonstances de chaque affaire est importante pour qualifier correctement les délais de communication de la preuve.
[Les soulignements sont ceux du juge Mainville]
[159]     Dans la présente affaire, les problèmes ou erreurs liés à la communication de la preuve ne peuvent être considérés comme la source des délais qui sont principalement institutionnels.
[160]     Pour les affaires en cours d’instance avant l’arrêt Jordan, si la communication de la preuve s’avère la source de délais, il faut considérer, selon l’arrêt Gariépy, si les délais relatifs à la communication de la preuve se trouvent attribuables à la poursuite et s’ils sont justifiés. 
[161]     Lorsqu’une date de procès éloignée a été fixée en raison des délais institutionnels chroniques, le processus de communication de la preuve qui ne conduit pas à des délais supplémentaires dans le déroulement d’une enquête préliminaire ou du procès ne peut donner lieu à une critique à l’égard de la poursuite qui se verrait alors inéquitablement attribuer la responsabilité de délais sans conséquence sur la progression d’un dossier.
[162]     En effet, dans le cadre d’une demande fondée sur l’alinéa 11 b) de la Charte, la poursuite ne peut être tenue responsable des délais entourant la communication de la preuve seulement s’ils entrainent des délais identifiables qui empêchent ou retardent la fixation d’une date d’une enquête préliminaire ou du procès et qui ralentissent le déroulement de l’instance.

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