mercredi 11 juillet 2018

Un juge présidant un procès devant jury ne pouvait exprimer son opinion sur la culpabilité de l'accusé, cette question devant être tranchée par le jury

Grenier c. R., 2006 QCCA 983 (CanLII)

Lien vers la décision

[56]           L'appelant reproche également à la juge du procès la directive suivante :
Alors, mesdames et messieurs, vous pouvez raisonnablement inférer de l'ensemble de la preuve indépendante du témoignage de madame Vallée que celle-ci n'avait jamais battu son enfant, au moins rendu jusqu'au lundi matin, 7 octobre. Il serait surprenant que cette femme que vous avez vu témoigner se soit transformée en marâtre en l'espace de quelques jours, allant même jusqu'à infliger des blessures corporelles d'une intensité telle qu'elles ont tué son enfant.
[Je souligne.]
[57]           Il plaide qu'elle a, par ce commentaire, clairement indiqué son opinion aux jurés sur la question ultime du dossier, soit l'identité de l'auteur du coup porté à l'enfant. Il soutient qu'un tel commentaire ne pouvait avoir qu'un effet préjudiciable sur la défense de l'appelant et qu'il s'agit d'une opinion quant à la culpabilité.
[58]           Il nous réfère à l'arrêt R. c. Aflalo[4], où notre Cour a décidé qu'un juge présidant un procès devant jury ne pouvait exprimer son opinion sur la culpabilité de l'accusé, cette question devant être tranchée par le jury.
[59]           Dans cette affaire, le juge Proulx a conclu que les constatations du juge exprimées au jury, conjuguées aux commentaires sur la culpabilité, avaient vicié l'équité du procès et qu'il y avait lieu d'ordonner un nouveau procès. Il s'agissait d'un dossier où la preuve était exclusivement circonstancielle, d'où l'importance de laisser au jury le soin de tirer les inférences découlant de cette preuve. Toutefois, les directives du juge telles que formulées équivalaient à un verdict dirigé de culpabilité[5].
[60]           Dans le cadre de l’analyse des autorités sur la question, le juge Proulx énonce les principes suivants :
      1.   il est inacceptable qu'un juge, dans ses directives au jury, exprime sa conviction personnelle quant à la culpabilité de l'accusé, même s'il a mis les jurés en garde qu'ils ne sont pas liés par son opinion;
      2.   il en résultera un vice fondamental qui vicie le processus si, considérées dans l'ensemble des directives, les opinions du juge
      i)   sont formulées avec force et présentent ainsi un risque que le jury soit influencé par ces opinions, ou
      ii)   sont imposées au jury ou ont un effet dominant dans le contexte des directives, ou
      iii)   font pencher la balance en faveur de la poursuite et déprécient ainsi la thèse de la défense.[6]
[61]           Par ailleurs, dans l'arrêt R. c. Gunning[7], la Cour suprême a eu à étudier les fonctions respectives du juge et du jury relativement aux moyens de défense soulevés par un accusé.
[62]           On y mentionne les rôles de chacun :
27           Un principe de droit peut-être élémentaire mais néanmoins fondamental veut que, dans un procès avec jury, il appartienne au juge de trancher toutes les questions de droit et de donner des directives en conséquence au jury; toutefois le jury, qui doit tenir du juge ses directives sur le droit applicable, est le seul arbitre des faits. Dans la mesure où cela est nécessaire, le juge a aussi l’obligation d’aider le jury en passant en revue la preuve qui se rapporte aux questions en litige. Le juge a également le droit d’exprimer une opinion sur une question de fait et de le faire aussi fermement que le permettent les circonstances, à la condition de dire clairement au jury qu’il s’agit seulement d’un conseil et non d’une directive.[8]
[Je souligne.]
[63]           Or, en l’espèce, immédiatement après cette remarque, la juge du procès a rappelé aux jurés qu'ils étaient maîtres des faits :
Mais ça, c'est une question qui vous appartient, à vous et à vous seuls. C'est une question que vous aurez à résoudre. Pour ce faire, vous devez analyser attentivement toute la preuve au dossier.
[64]           Bien que je considère souhaitable qu'un juge se limite à donner au jury des directives sur le droit applicable, je ne crois pas que la première juge ait imposé son opinion, ni que l'on puisse conclure comme dans l'affaire Aflalo que « […] le jury n'avait d'autre choix que d'entériner le verdict de culpabilité qu'avait ainsi rendu le juge »[9].

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