dimanche 9 juin 2024

Différences entre la race et le profilage racial au regard de l’art. 9 de la Charte

R. c. Le, 2019 CSC 34 

Lien vers la décision


[74]                        Il importe de comprendre dès le départ la place qu’occupe la race et son objet en tant que considération dans le cadre de l’analyse relative à la détention, et en quoi cette notion diffère de celle de profilage racial.

[75]                        À l’étape de l’examen de la détention, il faut déterminer comment une personne raisonnable ayant vécu une expérience similaire liée à la race percevrait l’interaction avec les policiers. L’analyse est axée sur l’effet conjugué qu’auraient un contexte racialisé et l’appartenance à une minorité sur la perception d’une personne raisonnable mise à la place de l’accusé quant à savoir si elle était libre de partir ou tenue de rester sur place. L’analyse relative à la détention au regard de l’art. 9 est donc de nature contextuelle et de large portée. Elle tient compte du contexte historique et social plus large des relations interraciales entre la police et les divers groupes raciaux et les divers individus dans notre société. La personne raisonnable mise à la place de M. Le est présumée connaître ce contexte racial plus large.

[76]                        En revanche, la notion de profilage racial s’attache principalement à la motivation des agents de police. Le profilage racial se produit lorsque la race ou les stéréotypes raciaux concernant la criminalité ou la dangerosité sont dans une quelconque mesure utilisés, consciemment ou inconsciemment, dans la sélection des suspects ou le traitement des individus (Service de police d’Ottawa, Racial Profiling (27 juin 2011), politique no 5.39 (en ligne), p. 2).

[77]                          La Cour a adopté la définition suivante du profilage racial dans Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation)2015 CSC 39, [2015] 2 R.C.S. 789 :

                    Le profilage racial désigne toute action prise par une ou des personnes en situation d’autorité à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes, pour des raisons de sûreté, de sécurité ou de protection du public, qui repose sur des facteurs d’appartenance réelle ou présumée, tels [sic] la race, la couleur, l’origine ethnique ou nationale ou la religion, sans motif réel ou soupçon raisonnable, et qui a pour effet d’exposer la personne à un examen ou à un traitement différent.

                    Le profilage racial inclut aussi toute action de personnes en situation d’autorité qui appliquent une mesure de façon disproportionnée sur des segments de la population du fait, notamment, de leur appartenance raciale, ethnique ou nationale ou religieuse, réelle ou présumée. [Soulignement omis; par. 33.]

[78]                          Le profilage racial est donc ancré dans un processus mental que suit une personne en autorité — en l’espèce, l’un ou l’autre des policiers. Ainsi, le profilage racial entre surtout en jeu au regard de l’art. 9 lorsqu’il s’agit de déterminer si la détention est arbitraire, parce que, par définition, la détention fondée sur un profilage racial ne repose pas sur des soupçons raisonnables. Le profilage racial entre aussi en jeu au regard du par. 24(2) lorsqu’il s’agit de déterminer si la conduite policière est si grave et dénuée de bonne foi que l’utilisation des éléments de preuve au dossier est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

[79]                        Pour cette raison, une conclusion d’absence de profilage racial n’a guère d’incidence sur la question du moment où il y a détention, lequel repose principalement sur la perception qu’aurait une personne raisonnable mise à la place de l’accusé, et non sur ce qui a motivé les policiers à agir de la sorte[2].

[80]                        Au procès, la question du profilage racial a été soulevée au regard du par. 24(2). Le juge du procès a rejeté cet argument et a conclu à l’absence de profilage racial en l’espèce. Même si le juge Doherty faisait observer, dès 2006, que [traduction] « la jurisprudence reconnaît [désormais] l’existence du profilage racial qui fait partie du quotidien des minorités visées » (Peart c. Peel Regional Police Services Board (2006), 2006 CanLII 37566 (ON CA), 43 C.R. (6th) 175 (C.A. Ont.), par. 94), il demeure loisible au juge qui préside le procès de conclure qu’une chose qui arrive souvent ne s’est pas dans les faits produite dans l’affaire dont il est saisi. Ni l’une ni l’autre des parties n’a contesté la conclusion du juge du procès, et nous ne sommes pas en désaccord avec celle‑ci.

[81]                        Cependant, répétons‑le, la conclusion d’absence de profilage racial concerne la motivation des policiers et non la question particulière et distincte de l’incidence qu’aurait pu avoir la race sur la perception d’une personne raisonnable mise à la place de l’accusé. Alors que la question du profilage racial comporte un examen axé sur ce qui a motivé l’interaction des policiers avec une personne, l’analyse du contexte racial pertinente à l’égard du moment où il y a détention au regard de l’art. 9 porte plutôt sur les rapports entre la police et les collectivités racialisées afin de déterminer quelle serait la perception d’une personne raisonnable dans les circonstances. L’analyse fondée sur l’art. 9 porte donc principalement sur la perception qu’aurait une personne raisonnable mise à la place de l’accusé, question à laquelle nous passons maintenant.

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