R. c. Dorfeuille, 2020 QCCS 1499
[32] Même si la question du profilage racial a fait l’objet de nombreux commentaires dans la jurisprudence antérieure de la Cour suprême[13], l’arrêt R. c. Le représente la première décision substantielle sur la question du profilage racial entourant les interventions policières[14].
[33] Bien que divisée sur l’issue du pourvoi, la Cour prend unanimement connaissance d’office de l’existence du profilage racial lors d’interventions policières.
[34] En effet, la Cour conclut à « l’existence d’un nombre disproportionné d’interventions policières auprès des collectivités racialisées et à faible revenu »[15].
[35] Le juge Moldaver, dissident à l’égard d’autres questions, écrit ce qui suit au sujet de la prise de connaissance d’office du profilage racial :
Les rapports, études et autres documents crédibles sur les relations interraciales peuvent aider les tribunaux à comprendre comment les personnes racialisées peuvent vivre différemment les interactions avec les policiers, et les tribunaux peuvent prendre connaissance d’office de ces documents — qui constituent de la preuve relative au « contexte social » — lorsqu’il est satisfait au test énoncé dans l’arrêt R. c. Spence, 2005 CSC 71, [2005] 3 R.C.S. 458. De plus, je ne conteste pas la justesse des documents dont mes collègues prennent connaissance d’office et je ne remets pas en question leur décision de s’appuyer sur ces documents […][16].
[Le soulignement est ajouté]
[36] La Cour décrit en ces termes l’importance des renseignements relatifs au profilage racial :
Les renseignements concernant les questions de race et de maintien de l’ordre jouent un rôle essentiel et peuvent également s’avérer utiles à l’égard de nombreuses questions, notamment la recherche des faits, l’appréciation de la crédibilité, la détermination des éléments de preuve considérés convaincants, l’analyse de la question de savoir s’il y a eu détention et si celle‑ci est arbitraire au sens de l’art. 9, et l’examen de la question de savoir si les éléments de preuve devraient être utilisés en application de l’art. 24[17].
[37] Comme on le constate, dans le cadre d’un voir-dire constitutionnel au sujet de l’exclusion de la preuve sous le paragraphe 24(2) de la Charte, ces informations s’avèrent cruciales et essentielles à toutes les étapes de la détermination de l’existence ou non d’une détention arbitraire résultant d’un profilage racial.
[41] Dans l’arrêt R. c. Dudhi[24], le juge Paciocco de la Cour d’appel de l’Ontario analyse et résume la portée de l’arrêt Le.
[43] Le premier est le volet « attitude », lequel constitue l'acceptation par une personne en autorité que la race ou les stéréotypes raciaux sont pertinents pour identifier la propension à commettre un crime ou à être dangereux[26].
[44] Le deuxième est le volet « lien de causalité », lequel requiert que le raisonnement fondé sur la race motive ou influence, consciemment ou inconsciemment, à une quelconque mesure les décisions prises par les personnes en autorité dans le choix des suspects ou le traitement des personnes[27].
[45] Ainsi, lorsque la race ou les stéréotypes raciaux sont utilisés dans une quelconque mesure ( to any degree ) dans le choix des suspects ou le traitement des personnes, il n'y aura aucun soupçon raisonnable ou motif raisonnable. La décision constitue du profilage racial[28].
[46] Le volet subjectif des normes juridiques applicables joue un rôle important pour veiller à ce que les policiers agissent à des fins légitimes et se concentrent sur le pouvoir légal dont ils jouissent. Le profilage racial peut exister, indépendamment du fait que la conduite policière provoquée par le profilage racial pourrait être justifiée hormis le recours aux stéréotypes négatifs fondés sur la race[29].
[47] Par ailleurs, si l'état d'esprit d'un policier constitue un élément important, la conduite postérieure de ce policier, y compris les remarques faites par celui-ci, peut également servir de preuve circonstancielle de son état d'esprit antérieur[30].
[54] Dans l’arrêt Peart v. Peel Regional Police Service[35] que cite la Cour suprême dans l’arrêt Le[36], le juge Doherty réitère cette perspective en ces termes :
[95] Racial profiling can seldom be proved by direct evidence. Rather, it must be inferred from the circumstances surrounding the police action that is said to be the product of racial profiling. The courts, assisted by various studies, academic writings, and expert evidence have come to recognize a variety of factual indicators that can support the inference that the police conduct was racially motivated, despite the existence of an apparent justification for that conduct: R. v. Brown, supra, at paras. 44-46[37].
[Le soulignement est ajouté]
[55] Dans une affaire où le profilage racial se soulève, le juge doit évaluer l’ensemble des circonstances et tirer les inférences raisonnables du portrait général révélé par la preuve circonstancielle à la lumière de la connaissance d’office au sujet du profilage racial.
[56] Il ne doit pas isoler et compartimenter les différents éléments de la preuve circonstancielle.
[57] Ainsi, comme l’explique le juge Major dans le contexte de l’analyse de la preuve hors de tout doute raisonnable dans l’arrêt R. c. White « la portée de chacune de ces composantes de la preuve était nécessairement modulée par les autres [et] « chacun des éléments de preuve présentés » […] « constitue, individuellement, une partie seulement du tableau »[38] et « [c]e n’est que vue dans son ensemble que la preuve peut véritablement appuyer une conclusion de culpabilité hors de tout doute raisonnable »[39].
[58] La même approche se justifie à l’égard d’une preuve circonstancielle de profilage racial.
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