R. c. Zarzour, 2005 CanLII 10474 (QC CS)
[38] La Cour suprême, dans Mohan, 1994 CanLII 80 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 9, a défini les règles relatives à l'admissibilité de la preuve d'expert. Elles sont au nombre de quatre, soit, la pertinence, la nécessité d'aider le juge des faits, l'absence de toute autre règle d'exclusion et la qualification suffisante de l'expert.
[39] Dans R. c. Moran, (1992), 1992 CanLII 12786 (ON CA), 77 C.C.C. (3d) 300 (Ont. C.A.), confirmé par la Cour Suprême, 1993 CanLII 49 (CSC), [1993] 4 R.C.S. 499, la Cour d'appel d'Ontario estime qu'il est tout à fait inapproprié d'inviter un témoin ou même l'accusé à se prononcer sur la véracité d'autres témoins entendus[1].
[40] Dans R. c. R. (A.), (1994) 1994 CanLII 4524 (MB CA), 88 C.C.C. (3d) 184 (Man. C.A.), le juge Twaddle écrit que, d'une façon générale, l'opinion d'un accusé sur la véracité d'un témoin de la Couronne est non pertinent :
"As a general rule, the opinion of an accused as to the veracity of a Crown witness is irrelevant"[2]
[41] Appliqué aux faits de la présente affaire, il est manifeste que l'accusé s'apprête à inviter son témoin à se prononcer sur la véracité d'autres témoins entendus, tels messieurs Dell'Oste et Hum. Cela est tout à fait inapproprié. Pas plus un témoin que l'accusé ne peut se prononcer sur la véracité de ce que d'autres témoins ont dit.
[42] Ainsi, si la véracité d'un témoin dépend de facteurs observables par le jury, tels son comportement, ses contradictions ou d'autres faits de même nature, on ne permettra pas à un expert de la véracité d'envahir le domaine traditionnellement réservé au juge des faits[3].
[43] Pour la même raison, on défend aussi la présentation d'une preuve confirmatoire de la véracité du témoin. À ce propos le juge Iacobucci a résumé succinctement le genre de preuve visé par cette règle dans R. c. B. (F.F.), 1993 CanLII 167 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 697[4]:
"La règle interdisant les témoignages justificatifs vise à empêcher une partie de produire une preuve destinée uniquement à renforcer la crédibilité d'un témoin avant que celle-ci ne soit attaquée. Ce type de preuve tendrait à établir la franchise du témoin plutôt que la véracité de ses déclarations. Tel est le cas notamment de la preuve psychiatrique que le témoin est susceptible de dire la vérité en cour (voir, par ex., R. c. Kyselka (1962), 1962 CanLII 596 (ON CA), 133 C.C.C. 103 (C.A. Ont.)), de la preuve de bonne moralité présentée à seule fin de montrer qu'un témoin dira vraisemblablement la vérité (voir, par ex., R. c. Clarke (1981), 1981 ABCA 222 (CanLII), 63 C.C.C. (2d) 224 (C.A. Alb.)) et de la preuve obtenue au moyen d'un détecteur de mensonges (voir, par ex., R. c. Béland, 1987 CanLII 27 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 398)".
[44] La règle qui régit l'auto-corroboration vaut également pour une preuve discréditant un témoin et fournie par des témoins de la défense déposant au sujet de la réputation de la victime pour la véracité R. c. Clarke, (1998) 1998 CanLII 14604 (ON CA), 129 C.C.C. (3d) 1, par 47, 18 C.R. (5th) 219 (Ont. C.A.) (voir par. 2.059)[5].
[45] Dans R. c. French, (1997) 1977 CanLII 2117 (ON CA), 37 C.C.C. (2d) 201 (Ont. C.A.), confirmé par la Cour suprême, 1979 CanLII 49 (CSC), [1980] 1 R.C.S. 158, 47 C.C.C. (2d) 411, le juge MacKinnon s'était exprimé ainsi[6] :
"To receive such evidence might, indeed, open a Pandora's box, from which there could be no resiling, of confusion and usurpation of function. It does trouble me that the case against the appellant should rest on the evidence of one such as Nadine Deveau, but the members of the jury, properly instructed, are the ones to make the assessment of such a witness when her contradictions are obvious. The Courts must be chary of limiting or usurping the jury's duty and function in this area. It is not "empty rhetoric" to speak of the "usurpation" of the function of the jury in these circumstances." (nos soulignements)
[46] Dans R. c. Marquard 1993 CanLII 37 (CSC), [1993] 4 R.C.S. 223, la Cour suprême réitère le principe que la crédibilité ou la sincérité d'un témoin donné appartient au juge des faits et ne doit pas être soumise à l'opinion d'expert :
"Notre procédure d'instruction repose sur l'axiome fondamental que la conclusion finale quant à la crédibilité ou la sincérité d'un témoin donné appartient au juge des faits, et ne doit pas être soumise à l'opinion d'expert. Notre Cour a confirmé cette position dans R. c. Béland, précité, à la p. 408, en rejetant l'utilisation de détecteurs de mensonges pour établir la crédibilité de témoins :
Il se dégage de ce qui précède que la règle interdisant les témoignages justificatifs, c'est-à-dire toute preuve produite uniquement pour confirmer la crédibilité d'un témoin, repose sur un solide fondement jurisprudentiel.
Le juge ou jury qui se contente d'accepter une opinion d'expert sur la crédibilité d'un témoin ne respecterait pas son devoir d'établir lui-même la crédibilité du témoin. La crédibilité doit toujours être le résultat de l'opinion du juge ou du jury sur les divers éléments perçus au procès, de son expérience, de sa logique et de son intuition à l'égard de l'affaire: voir R. c. B. (G.) (1988), 1988 CanLII 208 (SK CA), 65 Sask. R. 134 (C.A.), à la p. 149, par le juge Wakeling, confirmé par 1990 CanLII 113 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 3. La question de la crédibilité relève de la compétence des profanes. Les gens ordinaires jugent quotidiennement si une personne ment ou dit la vérité. L'expert qui témoigne sur la crédibilité n'est pas tenu par la lourde tâche du juge ou du juré. De plus, il se peut que l'opinion de l'expert repose sur des éléments qui ne font pas partie de la preuve en vertu de laquelle le juge et le juré sont tenus de rendre un juste verdict. Enfin, la crédibilité est un problème notoirement complexe, et l'opinion d'un expert risque d'être beaucoup trop facilement acceptée par un jury frustré pour faciliter la résolution de ses difficultés. Toutes ces considérations ont donné naissance à la sage politique en droit qui consiste à rejeter le témoignage d'expert sur la sincérité des témoins.
En revanche, il se peut que certaines parties de la déposition d'un témoin dépassent la capacité d'un profane de comprendre, et justifient donc le recours au témoignage d'expert." (nos soulignements)
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