Jacques c. R., 2025 QCCS 485
[122] Dans l’arrêt A. (L.L.) c. B. (A.), la Cour suprême résumait les grandes lignes de ce que constitue la règle audi alteram partem[117] :
Le principe audi alteram partem, règle de justice naturelle et précepte fondamental de notre système juridique, exige que les tribunaux accordent aux personnes visées par leurs décisions l'occasion d'être entendues. Les règles de justice naturelle ou d'équité procédurale sont le plus souvent abordées dans le contexte du contrôle judiciaire des décisions d'organismes administratifs, mais c'est en droit criminel qu'on en retrace l'origine.
[123] Plus récemment, dans l’arrêt Haevischer, elle a aussi souligné l’importance pour les accusés de pouvoir faire valoir leurs droits[118] :
[56] Dans les affaires criminelles, l’équité du procès est plus qu’un objectif de politique générale : c’est un impératif constitutionnel. Un procès criminel porte sur des allégations faites par l’État contre un accusé dont la liberté est souvent en jeu. Le rejet sommaire de requêtes en droit criminel peut restreindre le droit de l’accusé à une défense pleine et entière et son droit à un procès équitable, garantis par l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte, en empêchant celui‑ci de présenter en détail ses arguments et d’obtenir des éléments de preuve à l’appui de sa requête. Il y a, évidemment, des limites à ces droits. Par exemple, les personnes accusées n’ont pas droit à un voir‑dire et, si un voir‑dire est ordonné, elles n’ont pas droit au style de voir‑dire qu’elles préfèrent. Le juge du procès décide s’il y a un voir‑dire et, le cas échéant, de la façon dont celui‑ci se déroule et s’il devrait comprendre une audition de la preuve. Néanmoins, le rejet sommaire de requêtes présentées dans le contexte du droit criminel met en cause les droits de l’accusé et, dans certaines circonstances, peut les restreindre.
[Références omises]
3.4 Discussion
[124] À la lumière de ses arguments, l’appelant semble reconnaître que la juge d’instance disposait, par le biais de ses pouvoirs de gestion, de la latitude suffisante pour écarter un argument ayant déjà été tranché. Seulement, il soumet que la question de l’auto-incrimination n’a tout simplement jamais été abordée devant elle, justifiant que « la preuve en cause », soit « le taux d’alcoolémie », soit écartée.
[125] Avec égards pour la position de l’appelant, le soussigné ne peut en arriver à une telle conclusion.
[126] Comme l’écrivait la Cour suprême dans l’arrêt Jones, le principe interdisant l’auto-incrimination « est un principe directeur général de droit criminel, dont il est possible de tirer des règles particulières »[119]. Dans l’arrêt White, la Cour énumère certaines de ces règles[120] :
44 Il ressort clairement de la jurisprudence de notre Cour que le principe interdisant l’auto‑incrimination est un principe prépondérant dans notre système de justice criminelle, duquel émanent un certain nombre de règles issues de la common law et de la Charte, comme la règle des confessions et le droit de garder le silence, parmi tant d’autres. Ce principe peut aussi être la source de nouvelles règles en temps opportun. Dans la Charte, le principe interdisant l’auto‑incrimination se retrouve dans plusieurs protections procédurales plus précises, comme, par exemple, le droit à l’avocat selon l’al. 10b), le droit à la non‑contraignabilité selon l’al. 11c) et le droit à l’immunité contre l’utilisation de la preuve selon l’art. 13. La Charte prévoit également une protection résiduelle de ce principe par son art. 7.
[127] Encore récemment, dans l’arrêt J.J., la Cour suprême résumait les différentes manifestations du principe interdisant l’auto‑incrimination, soulignant qu’« [a]vant le procès, la loi empêche qu’un accusé soit contraint de prêter son concours aux poursuites intentées contre lui. Elle le fait au moyen de la règle des confessions, du droit de l’accusé de garder le silence lorsqu’il est interrogé par des agents de l’État et de l’absence d’une obligation générale de communication »[121].
[128] Ainsi, le Tribunal est d’avis que l’appelant fait erreur en affirmant que le droit au silence et le droit d’être protégé contre l’auto-incrimination sont deux droits distincts, la jurisprudence suggérant plutôt que le premier n’est que l’une des « manifestations »[122] du second.
[129] Cette conclusion n’est toutefois pas suffisante pour écarter le présent motif d’appel, puisque la juge d’instance aurait très bien pu refuser d’entendre un argument différent de celui sur lequel elle s’était déjà prononcée, qui se serait fondé sur une autre manifestation du principe interdisant l’auto‑incrimination. Dans la présente affaire, le soussigné ne peut toutefois pas en conclure ainsi.
[130] En effet, une lecture attentive des arguments que l’appelant entendait soulever dans la deuxième requête en exclusion de la preuve[123] a permis au Tribunal de constater une très grande similitude avec les arguments que l’appelant a plaidé devant le soussigné eu égard à la seconde question en litige, qui portait sur la violation du droit au silence. De toute évidence, il s’agissait essentiellement du même argument, mais présenté sous l’angle du droit à la non-incrimination. Comme ce droit n’existe pas à proprement parler, le cœur de son argumentaire reposait en fait sur le droit au silence.
[131] Le Tribunal se doit en outre de noter que l’appelant, par le biais de son procureur, cherchait à écarter le taux d’alcoolémie devant la juge d’instance en plaidant le droit d’être protégé contre l’auto-incrimination. Or, même en admettant l’existence d’une violation du principe interdisant l’auto‑incrimination par les policiers dans l’ambulance, ce que le Tribunal ne reconnaît pas, il convient de souligner que la preuve d’alcoolémie résulte de la mise en œuvre de l’article 254(3) a) C.cr. suivant l’arrestation de l’appelant, alors que celui-ci n’a pas porté en appel la conclusion de la juge d’instance sur la raisonnabilité des motifs d’arrestation. En d’autres termes, même en concluant à une violation d’une des règles émanant du principe interdisant l’auto‑incrimination par les policiers dans l’ambulance, le soussigné ne croit pas que la juge d’instance aurait été en mesure de rendre la conclusion recherchée par l’appelant.
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