Jacques c. R., 2025 QCCS 485
[95] Dans ses motifs concordants dans l’arrêt Rothman, le juge Lamer a clairement identifié les grands principes duquel émane le droit au silence[96] :
Au Canada, le droit d’un suspect de ne rien dire à la police ne découle pas d’un droit de ne pas s’incriminer, mais n’est que l’exercice, de sa part, du droit général dont jouit toute personne de ce pays de faire ce qui lui plaît, de dire ce qui lui plaît ou de choisir de ne pas dire certaines choses à moins que la loi ne l’y oblige. C’est parce qu’aucune loi ne dit qu’un suspect, sauf dans certaines circonstances, doit dire quelque chose à la police que nous disons qu’il a le droit de garder le silence; c’est une façon positive d’expliquer que la loi ne l’oblige pas à agir autrement. […]
[Référence omise]
[96] Ce passage, couramment cité, a jeté les bases du régime de droit au silence applicable au Canada depuis l’entrée en vigueur de la Charte canadienne. Plus tard, dans l’arrêt Turcotte, cité par l’appelant, la Cour suprême s’est à nouveau prononcée sur la portée du droit au silence[97] :
51 […] En général, en l’absence d’une exigence légale contraire, les personnes ont le droit de choisir de parler à la police ou non, même si elles ne sont pas détenues ou en état d’arrestation. Le droit de garder le silence reconnu en common law existe en tout temps contre l’État, peu importe que la personne qui le revendique soit ou non assujettie au pouvoir ou contrôle de ce dernier. Comme c’est le cas pour la règle des confessions, le droit de l’accusé de garder le silence s’applique chaque fois qu’il interagit avec une personne en situation d’autorité, qu’il soit détenu ou non. Il s’agit d’un droit fondé sur la liberté d’une personne de choisir dans quelle mesure elle collabore avec la police, et animé par la reconnaissance de l’impact potentiellement coercitif de l’autorité de l’État et le désir que les personnes ne soient pas tenues de s’incriminer. Ces considérations de principe existent tant avant qu’après l’arrestation ou la détention. Il n’y a, par conséquent, aucune raison fondée sur des principes de ne pas étendre l’application du droit de garder le silence reconnu en common law aux deux périodes.
52 […] La volonté de communiquer certains renseignements à la police ne fait pas complètement disparaître le droit d’une personne de ne pas répondre aux questions de la police. Elle n’a pas à rester muette pour manifester son intention de l’invoquer. Une personne peut fournir certains, aucun ou la totalité des renseignements qu’elle possède. L’interaction volontaire avec la police, même si elle est engagée par l’intéressé, ne constitue pas une renonciation au droit de garder le silence. Le droit de choisir de parler ou de garder le silence demeure entier tout au long de l’interaction.
2.4 Discussion
[101] D’entrée de jeu, le soussigné croit nécessaire de souligner que la jurisprudence semble limiter la portée du droit au silence aux renseignements communiqués à un agent de l’État. Ainsi, dans l’arrêt Branch, la Cour suprême a écarté l’application de l’article 7 de la Charte canadienne à des documents[102]. Plus récemment, dans l’arrêt Schneider, le juge Rowe s’est penché sur la notion d’aveux émanant d’une partie[103] :
[57] Dans le présent pourvoi, les aveux émanant d’une partie correspondent à des paroles que l’accusé a formulées, que le témoin a entendues et que la Couronne a présentées en preuve pour établir la culpabilité de l’accusé. Cependant, des aveux émanant d’une partie peuvent être autre chose que des paroles; en common law, il a été jugé que peuvent constituer des aveux émanant d’une partie, notamment, le silence d’une partie, des actes de celle‑ci et son comportement. Ainsi que l’a fait observer le professeur I. Younger, selon une règle pratique, [traduction] « [t]out ce que l’autre partie a pu dire ou faire est admissible tant que cet élément est en lien avec l’affaire ». Je ne cherche pas ici à définir les limites précises de la notion d’aveux émanant d’une partie, car il ne s’agit pas d’une question en litige.
[Les soulignements du Tribunal; références omises]
[102] Partant, et avec égards pour la position de l’appelant, le soussigné ne croit pas que le fait que les policiers aient pu détecter l’haleine éthylique émanant de l’appelant alors qu’ils étaient dans l’ambulance constitue une violation du droit au silence de ce dernier. Bien qu’il s’agisse d’un élément de preuve pouvant être préjudiciable à l’appelant, celui-ci pouvait être constaté par les policiers, indépendamment d’une quelconque volonté de l’appelant de parler ou de garder le silence en présence des policiers[104]. Il en serait de même pour d’autres indices suggérant une consommation d’alcool, comme des yeux injectés de sang ou une démarche chancelante; ce n’est pas parce que l’haleine éthylique provient de la bouche de l’appelant qu’elle constitue un renseignement devant être protégé par l’article 7.
[103] Dans l’arrêt LaChappelle, la Cour d’appel de l’Ontario concluait justement que le constat passif par un policier de l’odeur d’alcool émanant d’un accusé dans l’ambulance ne constituait pas une violation des droits constitutionnels de ce dernier[105], bien que dans ce cas, l’accusé alléguait alors une violation de l’article 8 de la Charte.
[104] Plus largement, le Tribunal ne voit pas en quoi le fait que les policiers aient pris place dans l’ambulance contrevient à la protection du droit au silence que confère la Charte canadienne à l’appelant.
[105] Bien qu’il soit incontestable que l’appelant n’avait aucune obligation de communiquer des informations aux policiers, il ne peut toutefois pas leur reprocher d’avoir noté des informations qu’il a volontairement divulguées en leur présence.
Quatrièmement, il faut établir une distinction entre le recours à des agents banalisés pour observer le suspect et le recours à des agents banalisés pour obtenir de façon active des renseignements contrairement au choix du suspect de garder le silence. Lorsque les policiers font usage d'artifices pour interroger un accusé après que celui‑ci leur a dit qu'il ne voulait pas leur parler, ils tentent alors d'obtenir de façon irrégulière des renseignements qu'ils ne pouvaient obtenir en respectant le droit constitutionnel du suspect de garder le silence: les droits du suspect sont violés parce qu'il a été privé de son choix. Cependant, en l'absence d'un tel comportement de la part des policiers, il n'y a aucune violation du droit de l'accusé de choisir de parler ou non aux policiers. Si le suspect parle, c'est parce qu'il a choisi de le faire et il faut présumer qu'il a accepté de courir le risque que son interlocuteur puisse informer les policiers.
[Les soulignements du Tribunal]
[107] Dans une décision récente, notre collègue, le juge Mario Longpré, s’est prononcé sur un argument semblable à celui de l’appelant, soulevé par un homme accusé d’un double meurtre qui avait spontanément confessé ses gestes dans l’ambulance, en présence des policiers[107] :
[107] Quant à la présence ou à l’absence de ruses policières, le Tribunal considère sans fondement l’argument de l’accusé selon lequel constitue une ruse le fait de noter les paroles de l’accusé en réponse aux questions du personnel médical.
[108] Il convient de souligner que les déclarations faites en réponse à des questions formulées par le personnel médical ne sont pas couvertes par un privilège générique. Il appartient donc à la partie qui évoque le privilège de l’établir.
[109] Il y a lieu, pour déterminer si une communication doit être reconnue privilégiée, d’appliquer le test de Wigmore qui comporte les conditions suivantes :
(1) Les communications doivent avoir été transmises confidentiellement avec l’assurance qu’elles ne seraient pas divulguées;
(2) Le caractère confidentiel doit être un élément essentiel au maintien complet et satisfaisant des rapports entre les parties;
(3) Les rapports doivent être de la nature de ceux, qui, selon l’opinion de la collectivité, doivent être entretenus assidûment;
(4) Le préjudice permanent que subiraient les rapports par la divulgation des communications doit être plus considérable que l’avantage à retirer d’une juste décision. [Italique omis].
[110] En appliquant les critères du test de Wigmore, le fardeau appartient à celui qui revendique le privilège, et ce, selon la balance des probabilités.
[111] De plus, il n’y a pas d’expectative de vie privée quant à la divulgation d’un crime au personnel médical, comme le souligne la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans R. v. Batstone.
[112] À la lumière de la preuve présentée, les déclarations faites par l’accusé au personnel médical ne satisfont pas aux critères du test de Wigmore. Plus particulièrement, les communications n’ont pas été faites confidentiellement. Elles étaient volontaires, spontanées et ne sauraient faire l’objet d’un privilège selon la preuve présentée au voir-dire.
[113] Ceci étant dit, pour revenir à l’argument de l’accusé que l’écoute par les policiers des conversations entre le personnel médical et l’accusé constitue une ruse policière venant vicier le caractère libre et volontaire des déclarations de l’accusé, le Tribunal retient qu’en aucun moment les policiers ne sont intervenus auprès du personnel médical pour que l’accusé soit positionné à quelque endroit que ce soit de manière à ce qu’ils puissent entendre ses échanges avec le personnel médical.
[114] Il est normal que, pour assurer la garde de l’accusé, un policier soit à proximité du détenu.
[115] Les policiers n’ont fait que leur travail de gardien de l’accusé qui était détenu depuis son arrestation initiale par le SPVM à 12 h 27, puis pour un double meurtre à 12 h 35.
[116] La preuve ne révèle pas non plus que les policiers ont refusé que l’accusé puisse parler en toute confidentialité au personnel soignant à leur demande ou à sa demande.
[117] De plus, la preuve n’appuie pas l’argument que l’attitude des policiers constituerait une ruse policière affectant le caractère libre et volontaire des déclarations notées.
[118] Le Tribunal conclut que le fait d’avoir entendu les paroles de l’accusé lorsqu’il s’adressait au personnel médical ne constitue pas une ruse policière, et encore moins un comportement qui choquerait la collectivité. Au surplus, l’accusé savait qu’il y avait des policiers à proximité de lui.
[Références omises]
[108] Contrairement à l’affaire Leblanc, et comme le reconnaissait son ancienne avocate, l’appelant n’a fait aucune déclaration incriminante en présence des policiers. Pour qu’un élément de preuve soit écarté en raison d’une contravention au droit au silence, encore faut-il qu’une telle preuve ait été colligée par les policiers.
[109] En l’espèce, rien ne permet de conclure à l’existence d’une ruse de la part des policiers pour recueillir de la preuve que l’appelant ne souhaitait pas leur divulguer. Ce dernier ne pouvait en effet pas ignorer être en présence d’un policier, l’agent Gingras ayant aidé les ambulanciers à le mettre sur la civière et est rentré dans l’ambulance en même temps que lui, avant d’être relayé par l’agent Laliberté[108].
[113] En fait, les seules informations de nature médicale provenant du témoignage de l’agent Laliberté sont le fait que l’appelant disait avoir mal à la hanche et qu’il ne souhaitait pas avoir de fentanyl pour atténuer sa douleur[110]. Avec égards, le soussigné ne peut conclure au caractère préjudiciable de celles-ci ni qu’elles ont été obtenues par la ruse.
[114] Le Tribunal est d’opinion que la juge d’instance n’a donc pas commis d’erreur en concluant à l’absence d’une violation du droit au silence de l’appelant. Ce motif d’appel est rejeté.
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