vendredi 4 septembre 2009

Défense de croyance sincère mais erronée du consentement

R. c. Bruneau, 2003 CanLII 52227 (QC C.Q.)

[39] Le procureur de la défense soulève la défense de croyance sincère mais erronée du consentement de S.D. basé sur la jurisprudence et l'article 265 (4) du Code criminel qui se lit comme suit:

"Lorsque l'accusé allègue qu'il croyait que le plaignant avait consenti aux actes sur lesquels l'accusation est fondée, le juge, s'il est convaincu qu'il y a une preuve suffisante et que cette preuve constituerait une défense si elle était acceptée par le jury, demande à ce dernier de prendre en considération, en évaluant l'ensemble de la preuve qui concerne la détermination de la sincérité de la croyance de l'accusé, la présence ou l'absence de motifs raisonnables pour celle-ci."

[40] La première question que le Tribunal doit se poser est la suivante: "ce moyen de défense est-il vraisemblable? Ce critère est bien expliqué dans le volume de monsieur le juge Boilard, Manuel de preuve pénale, paragraphe 5.217, p. 5-85.

"5.217 - La nature de cette défense et sa disponibilité furent encore une fois l'un des sujets considérés dans R. c. Davis, [1999] 3. R.C.S. 759, 139 C.C.C. (3d) 193, 29 C.R. (5th) 1, où le juge en chef Lamer, au nom d'une Cour unanime, fournissait l'utile résumé suivant:

«La défense de croyance sincère mais erronée au consentement est simplement une dénégation de la mens rea de l'agression sexuelle: R. c. Ewanchuk, [1999] 1 R.S. 330, au par. 44; R. c. Pappajohn, [1980] 1 R.C.S. 120, à la p. 148. L'actus reus de l'agression sexuelle est constitué par des attouchements, de nature sexuelle, sans le consentement du plaignant. La mens rea est constituée par l'intention de l'accusé de se livrer à des attouchements sur une personne et la connaissance de son absence de consentement ou l'insouciance ou l'aveuglement volontaire à cet égard: Ewanchuk, précité, aux par. 25 et 42. Dans certaines circonstances, il se peut que le plaignant ne consente pas aux attouchements sexuels, mais que l'accusé croit sincèrement mais erronément que le plaignant y a consenti. Dans de tels cas, l'actus reus de l'infraction est établi, mais la mens rea ne l'est pas.

Avant que la défense puisse être examinée, il faut qu'il y ait suffisamment d'éléments de preuve pour pouvoir convaincre un juge des faits raisonnable (1) que le plaignant n'a pas consenti aux attouchements sexuels, et (2) que l'accusé a néanmoins cru sincèrement mais erronément qu'il était consentant: voir R. c. Osolin, 1993 CanLII 54 (C.S.C.), [1993] 4 R.C.S. 595, à la p. 648, le juge McLachlin. En d'autres termes, compte tenu de la preuve, il doit être possible pour un juge des faits raisonnable de conclure que l'actus reus est établi, mais que la mens rea ne l'est pas. Dans ces circonstances, on dit que la défense a une certaine «vraisemblance» et le juge des faits, qu'il s'agisse d'un juge ou d'un jury, doit l'examiner. Par contre, lorsque la défense n'a aucune vraisemblance, il ne faut pas en tenir compte puisqu'aucun juge des faits raisonnable ne pourrait prononcer un verdict d'acquittement sur ce fondement: voir R. c. Park, 1995 CanLII 104 (C.S.C.), [1995] 2 R.C.S. 836, au par. 11.

Pour déterminer si la défense est vraisemblable, le juge du procès doit examiner l'ensemble de la preuve: voir Osolin, précité, à la p.683, le juge Cory: Park, précité, au par. 16. Le rôle du juge dans un tel cas a été énoncé par le juge Major dans l'arrêt Ewanchuk, précité, au par. 57. Il a statué que le juge ne devrait pas «soupeser les éléments de preuve». La seule préoccupation est «la plausibilité apparente de la défense», et le juge doit «éviter le risque de transformer le critère de la vraisemblance en une évaluation substantielle du bien-fondé de la défense». Il faut faire attention de ne pas usurper le rôle du juge des faits. Chaque fois qu'il est possible qu'un juge des faits raisonnable puisse prononcer un verdict d'acquittement sur le fondement de la défense, celle-ci doit être examinée.

Il n'est pas nécessaire pour l'accusé de faire spécifiquement valoir qu'il croyait que le plaignant avait donné son consentement. En alléguant simplement, directement sous serment ou par l'intermédiaire de son avocat, que le plaignant avait donné son consentement, l'accusé allègue aussi une telle croyance: voir Park, précité, par. 17. Cependant, la simple allégation de l'accusé ne conférera pas de vraisemblance à la défense: voir R. c. Bulmer, 1987 CanLII 56 (C.S.C.), [1987] 1 R.C.S. 782, à la p. 790.

Bien qu'il s'agisse d'une preuve de la croyance au consentement, ce n'est pas une preuve suffisante d'une croyance sincère mais erronée au consentement. L'agression sexuelle n'est pas un crime qui survient généralement par accident: voir Pappajohn, à la p. 155, le juge Dickson; Osolin, aux p. 685 et 686, le juge Cory. Dans la plupart des cas, la question qui se posera sera celle du «consentement ou de l'absence de consentement», et il n'y aura qu'une alternative. Soit le plaignant a consenti, auquel cas il n'y a pas d'actus reus. Soit le plaignant n'a pas consenti et l'accusé avait une connaissance subjective de ce fait. Dans ce cas, l'actus reus est établi et la mens rea s'ensuit simplement.» (par. 80-84)

«Même si le simple fait pour l'accusé d'affirmer sa croyance que le plaignant a donné son consentement ne constituera pas une preuve suffisante pour soulever la défense, la preuve requise peut néanmoins provenir de l'accusé: Voir Park, précité, aux p. 852 et 853, le juge L'Heureux-Dubé; Osolin, aux p. 686 et 687, le juge Cory, et aux p. 649 et 650, le juge McLachlin. Elle peut également provenir du plaignant, d'autres sources ou d'une combinaison de celles-ci. Dans l'arrêt R. c. Esau, 1997 CanLII 312 (C.S.C.), [1997] 2 R.C.S. 777, le juge McLachlin, qui était dissidente quant au résultat, a correctement expliqué la nature de cette preuve au par. 63:

Non seulement il doit y avoir une preuve d'absence de consentement et de croyance au consentement, mais il doit aussi y avoir une preuve susceptible d'expliquer comment l'accusé a pu se méprendre sur l'absence de consentement du plaignant et croire sincèrement qu'il consentait. Autrement, ce moyen de défense ne peut pas être valablement soulevé. Bref, il doit y avoir une preuve d'une situation d'ambiguïté dans laquelle l'accusé aurait sincèrement pu comprendre à tort que le plaignant consentait à l'activité sexuelle en question.

Enfin la Cour a statué qu'il n'y aura aucune vraisemblance lorsque la preuve montre que l'accusé a fait preuve d'insouciance ou d'aveuglement volontaire quant à la question du consentement du plaignant. Dans de telles circonstances, l'accusé a subjectivement pris conscience de l'absence de consentement et, par conséquent, ne peut pas avoir une croyance sincère mais erronée que le plaignant a donné son consentement.» (par. 86-87)

[41] Cette défense est basée uniquement sur le témoignage de l'accusé. Aucune des employées de ce dernier ne l'a encouragé de quelque manière que ce soit à poursuivre ses gestes à caractère sexuel, au contraire elles ont manifesté leur insatisfaction et leur mécontentement. Jamais monsieur Bruneau n'a demandé à une de ses employées si elle était d'accord avec les gestes qu'il posait, il n'en a jamais discuté avec elles. Il y a, à mon avis, absence totale de preuve permettant à monsieur Bruneau d'avoir cru sincèrement que S.D. ait pu consentir aux gestes sexuels qu'il a posés sur elle. Cette défense n'est pas vraisemblable et aucun juge des faits ne pourrait en arriver à un acquittement sur cette base. Monsieur Bruneau avait un plan en tête, a profité de sa situation de patron pour le mettre à exécution sans jamais s'informer ou même penser à le faire, face à S.D. La jeune plaignante a toujours été mal à l'aise et a subi l'agression sexuelle de son patron sans jamais consentir ni même lui faire croire qu'elle pouvait consentir. Même si monsieur le juge Lamer dans la cause de Bulmer c. La Reine [1987] (1) R.C.S. affirme:

"24: J'ajouterais en passant qu'à mon avis, la question de croyance erronée au consentement devrait être soumise au jury dans tous les cas où l'accusé témoigne au procès que le plaignant a consenti. On doit interpréter le témoignage de l'accusé que le plaignant a consenti comme voulant dire qu'il croyait que le plaignant consentait. Par conséquent, si le jury croit le plaignant et conclut que celui-ci n'a pas consenti, cela ne clos pas le débat car on ne peut statuer définitivement sur l'affirmation de l'accusé sans se demander s'il croyait sincèrement, mais à tort, que le plaignant consentait."

[42] Le Tribunal ne voit aucun élément de preuve "vraisemblable" dans le témoignage de l'accusé qui puisse lui avoir laissé croire sincèrement que la plaignante aurait pu consentir aux gestes à caractère sexuel qu'il a posés sur elle. Toute la preuve est à l'effet contraire.

[43] En ce qui concerne le deuxième chef d'accusation impliquant N.A. le Tribunal doit se poser la question suivante: est-ce que le consentement apparent de la plaignante était libre et éclairé ou s'il n'avait pas été donné en raison de l'exercice de l'autorité.?

[44] L'article 265 (3) du Code criminel stipule que:

"Pour l'application du présent article, ne constitue pas un consentement le fait pour le plaignant de se soumettre ou de ne pas résister en raison:

(d) soit de l'exercice de l'autorité."

[45] Les principes que le Tribunal doit appliquer ont été analysés par la Cour d'appel du Québec dans l'arrêt Lapointe c. Sa Majesté la Reine 500-05-001564-994 aux numéros 14 et suivants du jugement:

14 "Un consentement tacite ne peut pas être invoqué comme moyen de défense: ou la plaignante consent ou elle ne consent pas (R. c. Ewanchuk précité p. 349). Ce consentement doit être donné librement, ce qui signifie que le droit s'attache aux raisons qu'à la plaignante de décider de participer ou de consentir apparemment aux relations sexuelles: R. c. Ewanchuk précité p. 352: c'est l'état d'esprit de la plaignante qui est pris en compte pour décider de la validité du consentement.

15 Quant à savoir, comme en l'espèce, si le consentement est vicié en raison de l'exercice de l'autorité, le législateur n'a pas défini ce concept, il y a donc lieu de s'en remettre à l'interprétation qu'en propose la jurisprudence.

16 Des arrêts Norberg c. Wynrib 1992 CanLII 65 (C.S.C.), [1992] 2 R.C.S. 226, R. c. Litchfield 1993 CanLII 44 (C.S.C.), [1993] 4 R.C.S. 333, St-Laurent c. Hétu (1994) R.J.Q. (69) (C.A.), se dégagent les principes suivants: le Tribunal doit procéder à un examen attentif de la nature de la relation entre les parties, afin de déterminer (1) l'existence d'une inégalité de rapport de force et de dépendance, (2) l'exploitation de cette inégalité, et (3) l'effet causal de cet exercice de l'autorité sur le consentement de la plaignante."

[46] (1) Le Tribunal en vient à la conclusion que l'ensemble de la preuve démontre hors de tout doute raisonnable d'une inégalité concernant le rapport de force et de dépendance entre les parties.

[47] (2) Exploitation de cette inégalité.

(a) La plaignante est mère de famille monoparentale, elle vit des prestations d'aide financière de dernier recours depuis 4 ans et a besoin de son emploi.

(b) Elle considère monsieur Bruneau comme un bon patron et se confie à lui.

(c) Elle subit les fantasmes de ce dernier tout en étant mal à l'aise, elle n'aurait jamais accepté cette situation si la relation patron-employée n'avait pas existée.

(d) Les deux premières fois lorsque monsieur Bruneau lui prend la main pour qu'elle le masturbe, elle est très mal à l'aise, a des chaleurs et manifeste la peur de voir arriver l'épouse de ce dernier.

(e) Monsieur Bruneau admet que la plaignante avait des chaleurs et verbalisait la peur de voir arriver sa conjointe. Il admet aussi que la plaignante a peut-être fait cela pour se débarrasser.

(f) Les événements se sont toujours passés au commerce de l'accusé, endroit où il exerçait l'autorité.

(g) Monsieur Bruneau avait son plan établi au départ et ne s'est jamais soucié si la plaignante consentait ou pas aux gestes qu'il posait.

(h) Tout au long des événements, monsieur Bruneau n'a pensé qu'à sa satisfaction personnelle sans se soucier de l'état d'âme de la plaignante.

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