vendredi 4 septembre 2009

L'ordre de fournir un échantillon d'haleine

R. c. Beauséjour, 2004 CanLII 27812 (QC C.Q.)

[11] L'article 254(3) accorde à l'agent de la paix le pouvoir d'ordonner à une personne de fournir un échantillon d'haleine:

"Prélèvement d'échantillon d'haleine ou de sang lorsqu'il y a motif raisonnable de croire qu'une infraction a été commise - L'agent de la paix qui a des motifs raisonnables de croire qu'une personne est en train de commettre, ou a commis au cours de trois heures précédentes, par suite d'absorption d'alcool, une infraction à l'article 253 peut lui ordonner immédiatement ou dès que possible de lui fournir immédiatement ou dès que possible les échantillons suivants :

a) soit les échantillons d'haleine qui de l'avis d'un technicien qualifié sont nécessaires à une analyse convenable pour permettre de déterminer son alcoolémie;

b) soit les échantillons de sang suivant le paragraphe (4), qui, de l'avis d'un technicien ou d'un médecin qualifié, sont nécessaires à l'analyse convenable pour permettre de déterminer son alcoolémie, dans le cas où l'agent de la paix a des motifs raisonnables de croire qu'à cause de l'état physique de cette personne, une de ces conditions se présente :

(i) celle-ci peut être incapable de fournir un échantillon d'haleine,

(ii) le prélèvement d'un échantillon d'haleine ne serait pas facilement réalisable.

Aux fins de prélever les échantillons de sang ou d'haleine, l'agent de la paix peut ordonner à cette personne de le suivre."

[12] Il n'existe aucune formulation spécifique quant à l'ordre de fournir un échantillon d'haleine, il suffit que les paroles soient suffisamment claires pour que l'accusé comprenne l'obligation d'y obtempérer :

▪ R. c. Mandeville, 31 M.V.R. 63 (Alberta Court of Queen's Bench 1985)

▪ R. c. Nicholson [1970] 8 C.C.C. (2d) 170 (Cour Suprême N.E.)

▪ R. c. Flegel [1972] 7 C.C.C. (2d) 55 (C.A. Sask.)

▪ R. c. Green [1992]1 R.C.S. 614

▪ R. c. Binette [1992] 136 A.R. 161 (Prov. Ct)

▪ R. c. Roesslein [1989] 22 M.V.R. (2d) 294, confirmé par C.A. reflex, [1990] 84 Sask R. 283

▪ R. c. Gorski [1979] 2 M.V.R. 219 (A.R. Dist. Ct.)

▪ R. c. Ackerman [1972] 6 C.C.C. (2d) 425 (C.A. Sask.)

[13] L'article 258(1)(c) prévoit la production des résultats d'analyse des échantillons d'haleine prélevés conformément à l'ordre prévu à l'article 254(3).

Article 258(1)(c): Lorsque des échantillons de l'haleine de l'accusé ont été prélevés conformément à un ordre donné en vertu du paragraphe 254(3), la preuve des résultats des analyses fait foi, en l'absence de toute preuve contraire, de l'alcoolémie de l'accusé au moment où l'infraction aurait été commise, ce taux correspondant aux résultats de ces analyses, lorsqu'ils sont identiques, ou au plus faible d'entre eux s'ils sont différents, si les conditions suivantes sont réunies :

(i) au moment où chaque échantillon a été prélevé, la personne qui le prélevait a offert de remettre à l'accusé, pour son propre usage, un spécimen de son haleine dans un contenant approuvé, et si, sur demande de l'accusé faite à ce moment-là, un tel spécimen lui a été remis,

(ii) chaque échantillon a été prélevé dès qu'il a été matériellement possible de le faire après le moment où l'infraction aurait été commise et, dans le cas du premier échantillon, pas plus de deux heures après ce moment, les autres l'ayant été à des intervalles d'au moins quinze minutes,

(iii) chaque échantillon a été reçu de l'accusé directement dans un contenant approuvé ou dans un alcootest approuvé, manipulé par un technicien qualifié,

(iv) une analyse de chaque échantillon a été faite à l'aide d'un alcootest approuvé, manipulé par un technicien qualifié.

[14] Cet article crée une présomption d'exactitude des résultats obtenus, présomption qui peut être réfutée par une preuve contraire.

[15] Lorsqu'il y a absence de preuve sur une demande de fournir un échantillon d'haleine, les résultats obtenus de l'ivressomètre ne seront pas admissibles par le dépôt du certificat.

▪ R. c. Coates, [1972] S.W.W.R. 487 (Yukon Territory Magistrate's Court)

▪ R. c. Reynolds, décision de l'honorable Claude Provost, C.Q. 4-10-94 no. 505-01-000935-946

▪ Lavoie c. La Reine, C.A. Québec, J.E. 2000-1756

▪ Tsiris c. La Reine, C.A. Québec, J.E. 2000-1757


[16] Mais le témoignage du technicien peut palier à cette lacune.

▪ R. c. Showell [1971] 3 O.R. 460

[17] D'autre part, le consentement de l'accusé à fournir un échantillon crée une présomption qu'il y a eu préalablement une demande.

▪ R. c. Roesslein, (précité)

[18] Dans Rilling c. La Reine 1975 CanLII 159 (C.S.C.), [1976] 2 R.C.S. 183, la Cour Suprême appelée à trancher sur l'opposition de l'accusé au dépôt du certificat d'analyse parce que la preuve du ministère public était déficiente sur l'existence, par le policier ayant donné l'ordre de fournir l'échantillon d'haleine, de motifs raisonnables et probables de croire qu'une infraction avait été commise, conclue par l'opinion du juge Judson :

[TRADUCTION] "J'estime que cette Cour doit faire siennes les opinions émises dans les affaires Orchard, Showell et Flegel, précitées, et conclure que l'absence de motifs raisonnables et probables de croire que la capacité de conduire du prévenu était affaiblie, bien que constituant un moyen de défense opposable à une accusation portée en vertu du par. (2) de l'art. 235 du Code pour avoir refusé de subir un alcootest, ne rend pas irrecevable le certificat de l'analyse dans le cas d'une accusation portée en vertu de l'art. 236 du Code. Le motif qui a incité un agent de la paix à faire une sommation en vertu du par. (1) de l'article 235 n'est pas un élément pertinent lorsque l'on a obtempéré à cette sommation."

[19] La venue de la Charte canadienne des droits et libertés ayant marqué notre droit, les tribunaux ont interprété cet arrêt et tenté de l'écarter. Cependant, monsieur le juge Cory, dans R. c. Bernshaw 1995 CanLII 150 (C.S.C.), [1995] 1 R.C.S. 254, au nom de la minorité discute des critères d'application dans l'arrêt Rilling aux pages 280 et 281 :

"Dans l'arrêt Rilling, notre Cour a statué que l'absence de motifs raisonnables d'ordonner l'alcootest n'était pas pertinent dans les cas où le conducteur avait, de toute façon, obtempéré à l'ordre. (…)

En l'espèce, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a statué que l'arrêt Rilling ne constitue plus le droit applicable puisqu'il a été rendu avant l'adoption de la Charte.

À mon avis, la Cour d'appel a commis une erreur en adoptant cette position. Certes, la Charte est pertinente. Il est possible qu'un accusé puisse établir, selon la prépondérance des probabilités, que le prélèvement des échantillons d'haleine contrevient aux droits que lui garantit la Charte. Par exemple, on pourrait soutenir que le policier n'avait pas, comme la disposition l'exige, de motifs raisonnables d'ordonner l'alcootest, et que, dans ces circonstances, l'utilisation des résultats obtenus serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Dans ces circonstances, la preuve obtenue au moyen de l'alcootest pourrait ne pas être utilisée. Cependant, lorsqu'un accusé obtempère à l'ordre de se soumettre à un alcootest, le ministère public n'a pas à établir qu'il avait des motifs raisonnables de donner l'ordre en question. À mon avis, il appartient plutôt à l'accusé d'établir, selon la prépondérance des probabilités, qu'il y a eu violation de la Charte et que les éléments de preuve recueillis devraient être écartés conformément au par. 24(2). Les résultats des alcootests ne devaient pas être écartés automatiquement.

Plusieurs cours d'appel provinciales ont adopté comme position que l'arrêt Rilling est toujours applicable dans les circonstances appropriées. C'est-à-dire, que lorsque des échantillons d'haleine sont obtenus sans qu'il existe de motifs raisonnables d'en ordonner le prélèvement, les éléments de preuve recueillis devraient être écartés seulement si l'accusé en fait la demande conformément au par. 24(2) de la Charte. Voir R. c. McNulty (1991), 35 M.V.R. (2d) 27 (C.A. Ont.); R. c. Linttell reflex, (1991), 64 C.C.C. (3d) 507 (C.A. Alb.); R. c. Dwernychuk 1992 CanLII 2762 (AB C.A.), (1992), 77 C.C.C. (3d) 385 (C.A. Alb.), autorisation de pourvoi refusée, [1993] 2 R.C.S. vii; R. c. Marshall 1989 CanLII 201 (NS C.A.), (1989), 91 N.S.R. (2d) 211 (C.A.); R. c. Langdon 1992 CanLII 2776 (NL C.A.), (1992), 74 C.C.C. (3d) 570 (C.A. T.-N.); R. c. Leneal 91990), 68 Man. R. (2d) 127 (C.A.). Je crois que c'est la démarche qui devrait être adoptée."

[20] De l'opinion du juge Rochette dans Lavoie c. La Reine (précité), cette opinion sur laquelle la majorité ne s'est pas prononcée doit «servir de guides», page 10.

[21] Ainsi l'on peut conclure que l'ordre de fournir un échantillon d'haleine n'a pas à être répété devant l'appareil ivressomètre, en autant qu'il a validement été fait au préalable. Le technicien qualifié, qui somme lui-même le prévenu de fournir un échantillon d'haleine, n'a pas l'obligation de connaître toutes les circonstances de l'intervention, de même que les motifs raisonnables en autant que l'agent de la paix qui les détient l'en informe ou est présent lors de la prise des échantillons.

[22] De plus, toujours dans Lavoie c. La Reine (précité), le juge Rochette précise que le ministère public n'a pas :

"…à faire la démonstration hors de tout doute raisonnable que l'ordre donné à l'appelant en vertu de l'article 254(3) du C.cr. était fondé sur des motifs raisonnables."

[23] L'accusé qui entend soulever un argument en exclusion de la preuve (24(2) de la Charte) doit le faire au moment où la preuve est offerte, à ce sujet Tsiris c. La Reine, (précité):

"CONSIDÉRANT au surplus que la requête d'un accusé pour exclure une preuve obtenue en violation de la Charte canadienne des droits et libertés (article 24(2)) doit, généralement, être présentée au moment où cette preuve est offerte, ou même avant qu'elle ne le soit, et non pas après que le ministère public ait déclaré sa preuve close (R. c. Kutynec, 70 C.C.C. (3d) 289, le J. Finlayson, pages 294-295 (C.A. Ontario); R. c. Dwernychuk, 77 C.C.C. (3d)385 (C.A. Alberta); R. c. Vukelich, 108 C.C.C. (3d) 193 (C.A. Colombie-Britannique); R. c. Yorke, 77 C.C.C. (3d) 529 (C.A. Nouvelle-Écosse), confirmé par la Cour suprême le 15 octobre 1993, 84 C.C.C. (3d) 286; R. c. Timm, [1998] A.Q. no. 3168, le juge Fish, par. [89]-[91]);…"

et Lavoie c. La Reine (précité):

"Si l'appelant entendait soulever l'absence de motifs raisonnables tant au plan du Code criminel que de la Charte, il aurait dû s'objecter au dépôt des résultats d'analyse de l'alcootest et forcer le ministère public à faire la démonstration de tels motifs. Il aurait dû soulever cette prétendue lacune dans la preuve et forcer l'administration d'une preuve additionnelle, ou faire lui-même cette preuve. Il aurait dû le faire assez tôt pour que le poursuivant puisse répliquer efficacement."

[24] Au surplus, l'opinion du juge Lamer dans Knox c. La Reine 1996 CanLII 171 (C.S.C.), [1996] 3 R.C.S. 199, à l'effet que ne déconsidère pas l'administration de la justice la production en preuve d'un échantillon de sang obtenu sans conformité aux prescriptions de l'article 254(4) lorsqu'un accusé y a vraiment obtempéré, rend l'exclusion sous 24(2) quasi impossible.

[25] Appliquant ces principes à la présente affaire, devant la preuve que

a) l'accusé a reçu un ordre de fournir un échantillon d'haleine par le technicien;

b) le policier intercepteur avait les motifs raisonnables et probables d'arrêter l'accusé et de le conduire devant l'appareil ivressomètre;

c) il était présent lors de l'ordre de fournir un échantillon d'haleine et lors de la prise des échantillons;

d) l'accusé ne s'est pas objecté au dépôt des certificats d'analyse;

e) la demande d'exclusion a été faite tardivement;

f) l'administration de la justice n'est pas déconsidérée par la production de résultats, étant donné que l'accusé a consenti à la prise d'échantillons d'haleine,

la requête en exclusion de la preuve est rejetée.

[26] En terminant, l'arrêt Pavel (précité) cité par le procureur de l'accusé ne peut recevoir application. Il s'agissait dans cet arrêt d'une première demande de fournir un échantillon d'haleine par un agent de la paix qui ne fut pas réalisé suite au transport de l'accusé à l'hôpital en cours de route. Par la suite, un autre agent de la paix, totalement ignorant des motifs de l'interception et des circonstances de l'infraction a exigé un échantillon de sang; c'est pour cette raison que la Cour a conclu au non respect des conditions préalables d'introduction d'un certificat conformément à l'article 254(3)(b). Or, preuve a été faite que l'agent Montpetit était présente lors de la demande de l'agent Métayer.

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