dimanche 27 décembre 2009

Examen de la jurisprudence par le juge Bonin sur l'infraction de production de cannabis

R. c. Savard, 2002 CanLII 22567 (QC C.Q.)

[2] Le législateur, par le processus des peines, cherche à assurer un certain degré de réparation des torts causés à une victime, à son entourage et à la collectivité. En matière de production de cannabis, c’est la société tout entière qui est visée, considérant le fléau social que représente l’usage des drogues, les conséquences pour les proches qui résultent de la dépendance reliée aux drogues et la criminalité engendrée par celles-ci. Cependant, le législateur vise aussi à dénoncer le comportement illégal, à dissuader la collectivité et quiconque de commettre des infractions, au besoin d’isoler les délinquants. De façon tout aussi importante, le législateur vise à favoriser la réinsertion sociale d’un accusé et susciter chez lui la conscience de ses responsabilités.

[3] Le Tribunal doit considérer, aux fins de déterminer la peine appropriée, les circonstances aggravantes comme celles atténuantes. Le Tribunal doit chercher l’harmonisation des peines à l’égard de circonstances semblables, éviter l’excès, examiner, avant d’envisager la privation de liberté, la possibilité de sanctions moins contraignantes et de toutes sanctions substitutives à l’incarcération lorsque les circonstances le justifient.

[4] Le principe fondamental est que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité de l’accusé.

[6] Le Tribunal doit examiner la jurisprudence.

[7] Dans l’affaire Luc Rivard, la Cour d’appel se prononçait sur la sentence de l’accusé, qui avait plaidé coupable à deux chefs de possession pour fins de trafic, l’un de marijuana, soit les plants de cannabis, et l’autre de 2 908 kilogrammes de cannabis. L’accusé était impliqué dans la culture de marijuana et reconnaissait son intention d’en faire le trafic. La Cour d’appel, était d'avis que les limites acceptables en matière de peine, en proportion avec la quantité et la nature des stupéfiants en cause, se situaient entre 3 et 9 mois d’emprisonnement et que, même en certaines circonstances, le paiement d'amende pouvait être approprié. La Cour d'appel a cassé la sentence de première instance, de 18 mois, et a ordonné une peine de 6 mois d’emprisonnement avec sursis. La Cour d'appel avait cependant considéré qu'il s'agissait d'une entreprise de peu d'envergure, compte tenu que la valeur des stupéfiants se chiffrait à quelques milliers de dollars. Il y a lieu de noter que l'individu avait un casier judiciaire, qu'il avait fait preuve de peu d'empressement à se remettre en question. Par ailleurs, il avait réussi à se trouver un emploi lui permettant d'assumer ses obligations financières à l'endroit de sa famille.

[8] Dans l’affaire La Reine c. Kopf, où l’accusé a plaidé coupable à l’accusation d’avoir cultivé du cannabis et d’en avoir en sa possession pour fins de trafic, la Cour d’appel a considéré qu’il s’agissait d’un individu faiblement criminalisé, vivant avec une compagne, avec laquelle il a fait des projets d’avenir, et que son aventure dans la culture du chanvre indien était marquée de l’amateurisme, voire de la naïveté. La Cour d’appel a aussi considéré le fait que l’accusé n’était lié à aucune organisation criminelle connue. La Cour d’appel maintenait la période de 12 mois avec sursis en considérant une période de six semaines où l’accusé était détenu, en attente de l’audience devant la Cour d’appel, soit une peine totale équivalente à 13 ½ mois.

[9] Dans l'affaire R. c. Couture, la Cour d'appel maintenait une sentence de deux ans moins un jour pour un individu condamné à possession pour fins de trafic de 335 plants de marijuana. La Cour d'appel a considéré que dans le cas où un individu offrirait des garanties sérieuses de réhabilitation, au moment où la peine est prononcée, l'emprisonnement avec sursis peut légitimement être considéré.

[10] Dans l’affaire R. c. Gatien, la Cour d’appel du Québec maintenait une sentence de 30 mois d’emprisonnement pour une accusation de possession dans le but de trafic où l’accusé était en possession de 741 plants. La Cour a considéré la quantité, la valeur sur le marché, les antécédents judiciaires de l’accusé à titre de circonstances aggravantes

[12] Dans le dossier Procureur général du Canada c. Monderie, l’accusé a reçu une peine de 9 mois d’emprisonnement avec sursis après avoir plaidé coupable à culture et possession dans le but de trafic. Il était en possession de 358 plants, entre quatre et six pouces de haut, lesquels étaient forcément en croissance, et de 52,6 grammes de marijuana à l’intérieur de sa résidence. Il avait débuté ses activités illégales deux mois avant d’être arrêté. Il n’y avait aucune preuve de l’implication de l’accusé dans un réseau de distribution. Les plants étant jeunes, ils avaient évidemment peu de valeur.

[13] Dans le dossier R. c. Legrand, l’accusé a reçu la même peine pour des accusations similaires. Les policiers avaient trouvé environ 100 plants de marijuana au deuxième étage d’une serre aménagée pour la culture hydroponique ainsi que 500 grammes de marijuana prêts à la consommation. Il agissait en partenariat avec trois personnes non-reliées à un groupe criminalisé.

[14] Dans le dossier R. c. Selby, l’accusé avait plaidé coupable aux accusations de production de cannabis et de détournement d’électricité. Il a reçu une peine d’incarcération ferme de 22 mois. Ont été découverts, au deuxième étage d’une maison louée par l’accusé, 560 plants matures de cannabis. Il s’y trouvait une organisation sophistiquée. L’alimentation en électricité y avait été modifiée. L’accusé avait installé des contrôles de façon à répartir la consommation d’électricité. L’organisation, tant technique que physique, était loin de relever de l’amateurisme. Il avait été évalué que, selon le mode de vente, ces stupéfiants pouvaient générer entre 172 000$ et 588 000$. L’accusé avait des antécédents de possession simple pour lesquels il avait reçu une sentence de 100$ d’amende. Le rapport pré-pénal lui était défavorable.

[15] Dans le dossier R. c. Gabriel Larouche, l’accusé a plaidé coupable à des accusations similaires. Les policiers ont saisi 477 plants et 2 050 grammes de cannabis en vrac, à l’intérieur des immeubles résidentiels de l’accusé, dont l’un était inhabité. Il s’y trouvait une culture hydroponique, une consommation supérieure à la normale d’électricité. Il s’agissait de la seconde récolte de l’accusé. Il avait retiré 8 000$ de la première récolte. L’accusé reconnaissait sa faute et avait collaboré avec les autorités policières. Le Tribunal a considéré que la production de cannabis s’inscrivait dans un contexte ponctuel où des difficultés économiques familiales ressurgissaient. L’accusé a eu 23 mois d’emprisonnement avec sursis.

[16] Dans le dossier Patrick Longpré, l’accusé a enregistré un plaidoyer de culpabilité à une accusation de production de cannabis. La participation de l’accusé dans cette activité criminelle consistait à assumer le loyer et les coûts d’électricité de la maison où la culture de cannabis était faite et où 110 plants de marijuana, d’une hauteur de trois à quatre pieds, s’y trouvaient. Il s’agissait d’une culture marquée par l’amateurisme. L’accusé avait été condamné à une peine de 6 mois en milieu carcéral.

[17] Outre la nature et la quantité de stupéfiants en cause, la maturité des plants et leur valeur sur le marché, tous ces éléments sont des facteurs à considérer. En effet, la Cour d'appel dans Couture signale qu'une personne ne saurait prétendre à un usage personnel lorsque les plants sont à maturité et qu'ils ont une importante valeur sur le marché. Un des éléments majeurs de la jurisprudence consiste à examiner si l'accusé peut être qualifié d'amateur ou s'il a utilisé un certain degré de sophistication dans l'appareil et l'organisation de la production. Un autre élément consiste à examiner s'il y a une preuve que l'infraction soit reliée à une organisation criminalisée. Évidemment, le rôle de l'accusé dans la commission de l'infraction, la personnalité et les circonstances spécifiques de l'accusé sont déterminantes.

[18] Nul ne peut mettre en cause, ici, qu'il ne s'agit pas d'amateurisme. Le fait qu'un bon nombre de plants n'aient pas réussi ne signifie pas qu'il ne faille pas tenir compte de l'organisation sur place qui a mené à terme une centaine de plants. (...)

[23] Il n'y a pas de doute qu'une peine d'emprisonnement s'impose. Reste à voir si le prononcé de la peine d'emprisonnement doit être fait au sein de la communauté, si c'est conforme aux objectifs et principes de détermination de la peine énoncés aux articles 718 à 718.2.

[24] À la lumière de la jurisprudence, ni l'emprisonnement dans un pénitencier, ni une amende, ni une simple mesure probatoire ne sont des sanctions appropriées. Il faut donc déterminer si l'accusé doit purger sa peine au sein de la prison provinciale ou au sein de la communauté. En l'espèce, suivant l'agente de probation, le risque de récidive est faible. Il y a donc plusieurs critères préalables à 742.1 qui sont réunis. Le Tribunal doit envisager alors sérieusement la possibilité de prononcer l'emprisonnement avec sursis. Il peut survenir des cas où le besoin de dénonciation et de dissuasion est si pressant que l'incarcération est alors la seule peine qui convienne pour exprimer la réprobation sociale. Par ailleurs, il ne faut pas oublier, non plus, que l'emprisonnement avec sursis peut aussi avoir un effet dénonciateur et dissuasif appréciable.

[25] En l'espèce, vu les importants problèmes causés par le trafic de stupéfiants, la dénonciation et la réprobation sociale de ce crime sont importantes. La Cour suprême a rappelé que les juges doivent prendre soin, cependant, de ne pas accorder un poids excessif à la dissuasion quand ils choisissent entre l'incarcération et l'emprisonnement avec sursis. La Cour suprême a rappelé que la prison, en certaines circonstances, peut produire des effets néfastes et que ceux-ci sont particulièrement manifestes dans les cas des délits relatifs aux stupéfiants.

[26] Il faut aussi se rappeler qu'il n'est pas nécessaire qu'il y ait équivalence entre la durée de l'ordonnance d'emprisonnement avec sursis et celle d'une peine d'incarcération ferme.

[27] La Cour suprême, dans l'arrêt Proulx, rappelle que:

La société doit, par l'entremise des tribunaux, communiquer sa répulsion à l'égard de certains crimes, et les peines qu'ils infligent sont le seul moyen qu'ont les tribunaux de transmettre ce message. L'incarcération produit habituellement un effet dénonciateur plus grand que l'emprisonnement avec sursis, (…). Cela dit, l'emprisonnement avec sursis peut néanmoins avoir un effet dénonciateur appréciable, particulièrement dans les cas où l'ordonnance de sursis est assortie de conditions rigoureuses et que sa durée d'application est plus longue que la peine d'emprisonnement qui aurait ordinairement été infligée dans les circonstances.

[28] En l'espèce, il n'y a aucun doute que le crime commis requiert la réprobation de la société. Néanmoins, les circonstances très particulières de l'accusé doivent être considérées. Il apparaît au Tribunal que l'emprisonnement avec sursis doit être considéré. (...)

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