dimanche 3 janvier 2010

La peine pour une fraude de plus de 5 000$ envers le gouvernement peut-elle être purgée dans la collectivité?

R c. Bouchard, 2002 CanLII 41944 (QC C.S.)

[33] Notre Cour d’appel a aussi rejeté l’appel de la décision du juge Jean-Pierre Lortie dans une affaire de fraude envers le gouvernement pour une somme de 120 000 $. Celui-ci a déterminé que la peine appropriée était une peine de deux ans moins un jour d’emprisonnement. Il motive ainsi sa décision :

« Finalement, le fait que cette fraude visait à s’approprier des deniers publics réservés à l’assistance des personnes en difficulté constitue un autre facteur aggravant.

Le tribunal en vient donc à la conclusion que l’emprisonnement apparaît clairement être ici la sentence appropriée; en effet, une fraude de si grande ampleur, commise à l’endroit d’un bien public pendant 15 ans, planifiée, répétée et élaborée avec attention, nécessite une réplique ferme de la part des tribunaux : la dissuasion tant individuelle que générale est un objectif particulièrement important dans ce genre d’affaire. Une peine d’emprisonnement de deux ans moins un jour semble raisonnable dans les circonstances et conforme à la jurisprudence.

La question qui demeure est la solution préconisée par la défense : cette peine peut-elle être purgée dans la collectivité?

Suivant l’article 742.1 C.cr. une peine d’emprisonnement avec sursis doit être envisagée si la personne reconnue coupable établit premièrement, que le fait de purger sa peine dans la collectivité ne mettra pas en danger la sécurité de celle-ci et que deuxièmement, la peine satisfait à l’objectif et aux principes énoncés aux articles 718 à 718.2 C. cr.

Le tribunal partage entièrement la position de l’honorable juge François Doyon dans l’affaire R. c. HUBERT TOURIGNY lorsqu’il affirme que les critères d’exemplarité et de dissuasion doivent également être considérés en rapport avec le danger pour la sécurité publique. Voici comment il s’exprime :

« Dans les cas d’infractions de malhonnêteté, particulièrement celles impliquant un abus de confiance, il ne faut pas limiter l’analyse du danger pour la sécurité de la société, en rapport à un emprisonnement avec sursis, à la seule personnalité de l’accusé. »

Dans l’affaire R. c. PIERCE la Cour d’appel de l’Ontario s’exprimait ainsi :

« In the context of crimes of disonesty, and particularly those involving a breach of trust, for the purposes of resolving the issue of whether « serving the sentence in the community would… endanger the safety of the community », the risk of endangering the safety must not only be measured by an assessment of the danger which the particular offender may pose if permitted to serve the sentence in the community. The risk must also be measured by an assessment of the danger which others may pose if the offender is permitted to serve the sentence in the community. »

Puis dans l’affaire R. c. WALLACE la division générale de cette cour soutenait :

« I am inclined to the view that the use of the terminology « would not endanger the safety of the community », as used in s. 742.1(b) of the Code, includes both the notion of risk from the offender himself of herself , and endangerment of the community in the broader sense of dilution of the general deterrence principle to the point of eliminating any deterrent warning to like-minded individuals considering commission of the offence in question. »

[34] Dans l’arrêt Alain, on a substitué à une peine d’incarcération de trois ans, une peine de deux ans moins un jour à être purgée au sein de la collectivité. Monsieur le juge Gendreau a, entre autres, considéré les facteurs suivants :

« À la décharge de l’appelant, je retiens l’absence d’un dossier criminel antérieur. De plus, la fraude n’est pas la plus sérieuse qui se puisse concevoir. Il est incontestable que l’appelant a pris toutes les libertés pour atteindre son objectif et cet objectif, s’il lui était favorable et profitable, n’était pas que cela. À l’évidence, il a erronément cru que le temps lui permettrait de couvrir ses supercheries et que le résultat recherché, la construction du nouvel hôtel, serait atteint malgré tout.

En somme, la fraude de l’appelant ne peut pas se comparer à une autre où le bénéfice personnel est le seul objectif et la cupidité, l’unique motivation .

Sur le plan personnel, l’appelant, un quinquagénaire, vit séparé de son épouse à qui il paie une pension alimentaire. Ses enfants ont dépassé la vingtaine. Il a un emploi et a toujours travaillé. Il maintient l’offre faite au juge de procès de rembourser 1 000 $ à chaque victime, ce qui représente un engagement de 68 000 $ après impôt. »

[35] Monsieur le juge Letarte, dans l’arrêt Salomon, a refusé de modifier la décision du premier juge qui avait imposé une peine d’incarcération d’une année (concurrent) au délinquant en raison de complot, de parjure et de fraude (50 000 $), même si le délinquant, âgé de 65 ans, ne représentait pas un danger pour la société, qu’il n’a tiré aucun profit de sa fraude et que la victime n’a subi qu’un préjudice indirect dont elle sera indemnisée.

[36] Monsieur le juge Pidgeon a maintenu la peine d’incarcération dans une affaire de fraude de plus de 400 000 $. Il a considéré particulièrement la nécessité de privilégier les éléments de dissuasion générale et de dénonciation. Le fait que l’appelant ne manifestait aucun remords semble avoir été, aussi, déterminant.

[37] Par contre, dans l’arrêt Cantin, la Cour a unanimement accueilli l’appel pour ajouter des conditions plus strictes à l’emprisonnement au sein de la collectivité. On y a considéré qu’une partie de la peine avait été exécutée et que :

« Si on veut parler de rétribution, il faut savoir qu’à la suite de l’accusation en 1993 Cantin a fait faillite, s’est temporairement séparé de son épouse et a perdu des emplois, si bien qu’autrefois agent d’assurance, il est aujourd’hui pompiste. Il a tout perdu, tant ses biens que sa réputation et l’estime que plusieurs personnes avaient pour lui.

Ceux qui seraient tentés d’agir comme Cantin ne pourraient se dire qu’une peine d’emprisonnement de deux ans moins un jour dans la collectivité est un risque minime à courir pour faire de l’argent facile; ces personnes devraient également penser à tout ce que Cantin a perdu (rémunération réduite depuis 12 ans et probablement pour le restant de sa vie), à l’humiliation qu’il a subie et à la déchéance vers laquelle ses actes l’ont conduit; ces personnes devraient finalement penser à la privation réelle de liberté que je propose de lui faire subir. »

[38] Appliquant tous ces enseignements au cas sous étude, la Cour doit constater que la fraude commise affecte l’ensemble de la société et qu’elle prive ceux qui en ont le plus besoin. Il s’agit d’un acte planifié et structuré par une personne à l’intelligence supérieure, qui a impliqué des gens honnêtes dans une démarche malhonnête. Le stratagème s’est étendu sur plusieurs années et il y a absence totale de remords.

[39] Les objectifs de dénonciation et de dissuasion doivent ici, primer, et j’estime, qu’en l’espèce, seule l’incarcération peut atteindre cette fin.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire

Le processus que doit suivre un juge lors de la détermination de la peine face à un accusé non citoyen canadien

R. c. Kabasele, 2023 ONCA 252 Lien vers la décision [ 31 ]        En raison des arts. 36 et 64 de la  Loi sur l’immigration et la protection...