dimanche 3 janvier 2010

La preuve nécessaire à la culpabilité d'infraction d'excès de vitesse constatée par radar

Baie-Comeau (Ville) c. D'Astous, 1992 CanLII 2956 (QC C.A.)

Il convient d'abord de souligner que l'infraction d'excès de vitesse créée par règlement municipal (comme en l'espèce) n'est pas différente de celle du Code de sécurité routière (le Code): toute les deux sont de responsabilité absolue (R. c. Hickey (1976) 30 C.C.C. (2d) 416 (Ont. C.A.); R. c. Lemieux, 41 C.C.C. (2d) 33 (Qué. C.A.); R. c. Naugler, 25 C.R. (3d) 392 (N.S. C.A.)).

Certains faits peuvent aussi être vérifiés aisément en consultant des documents généralement accessibles et dont l'autorité est reconnue comme une carte géographique, un dictionnaire, une encyclopédie. Fortin écrit:

La règle est la suivante: si le fait est notoire au point de ne pas être susceptible d'être raisonnablement contesté, ou si son exactitude peut être facilement vérifiée au moyen d'autorités accessibles, le juge peut en prendre connaissance d'office. Le critère est donc la fiabilité de la connaissance du tribunal, qui se mesure au regard de la notoriété du fait dans le milieu où siège le tribunal. Si le tribunal ne connaît pas le fait en question, il peut quand même en prendre connaissance d'office en vérifiant son exactitude dans une source accessible et indiscutable. En revanche, si le fait en cause peut être raisonnablement mis en doute, le juge du tribunal ne peut en prendre d'office connaissance.

Je crois donc que le ou les faits que le juge déclare faire partie de la connaissance judiciaire doivent être vus et considérés comme définitivement prouvés. Dès lors, il est essentiel que ces faits soient bien précisés et circonscrits.

Ces principes établis, qu'en est-il du radar? A mon avis et avec beaucoup d'égards pour l'opinion du juge de la Cour supérieure, je crois que le radar, comme instrument de détection et de mesure, est de connaissance judiciaire.

Toutefois, même si le principe du radar est connu et universellement accepté, cela ne signifie pas pour autant que le résultat donné par le radar opéré par le policier Picard, pour mesurer la vitesse de l'automobile de M. D'Astous sur le boulevard Laflèche à Baie-Comeau, le 2 juin 1986, soit exact. Ce fait doit être établi par le poursuivant; le juge doit être convaincu que l'instrument utilisé contre l'accusé était en bon état de fonctionnement, exact et fiable.

Bien plus, puisque le législateur n'a pas défini (comme il l'a fait pour l'instrument de mesure du taux d'alcoolémie dans le sang) le type d'appareil propre à constater la vitesse d'une automobile, l'inculpé est très certainement admis à faire une preuve pour démontrer son inefficacité pour les fins de cet usage ou son inexactitude à cause d'une trop grande marge d'erreur. C'est ce qui se dégage d'un obiter de l'opinion de M. le juge Beetz (R. c. Moreau 1978 CanLII 162 (C.S.C.), (1979) 1 R.C.S. 261). Cependant, on le constate, ce qui est alors combattu n'est pas le principe même du radar ou son utilisation générale comme instrument de détection et mesure de la vitesse, mais un appareil en particulier ou un genre d'appareil.

Dès lors, à cause du statut du radar par rapport à celui de l'ivressomètre, le poursuivant est tenu à une preuve plus étendue. Il devra démontrer que l'appareil utilisé est fiable, ce qui permet à l'accusé de soulever un doute sur les résultats obtenus. A ce sujet, je suis d'accord avec l'analyse de la jurisprudence du professeur Pierre Patenaude et les critères qu'il en dégage:

Il demeure que la contestation de la valeur des résultats repose généralement sur l'application pratique du radar au cas à l'étude. Ainsi, quoique les appareils soient ordinairement fiables, il arrive que les policiers qui en font usage aient une formation déficiente. Un rapport de la NHTSA suggère qu'un minimum de 24 heures de théorie, un examen écrit et 16 heures de pratique supervisée soient requis pour la formation adéquate des agents qui utilisent le radar. En effet, plusieurs détails inconnus du public peuvent fausser les résultats d'un radar; c'est pourquoi la preuve de vitesse excessive mesurée par radar pourra être rejetée si la preuve de l'incompétence de l'opérateur est faite. Ainsi, le radariste doit être conscient du lieu où il se poste: des erreurs sont possibles lorsque le radar est utilisé sur une voie multiple car alors l'identification du contrevenant pourrait être faussée, le radar cherchant le meilleur objectif dans son champ de réception ignorera un petit véhicule pour se refléter sur une masse plus importante, même si cette dernière est plus distante. De même, l'opérateur doit avoir été sensibilisé aux échos parasites: les tubes néons peuvent être des oscillateurs, les systèmes de ventilation, les lignes à haute tension, les radio CB, les ventilateurs du radiateur et même la fréquence de la radio-police, toutes les sources d'interférences électromagnétiques peuvent affecter le radar. Le radariste doit avoir une bonne formation car il devra régulièrement s'assurer du bon fonctionnement de l'appareil. Il utilisera à cette fin un oscillateur qui vérifiera la précision du convertisseur qui traite la fréquence et affiche une lecture numérique. Le défaut d'effectuer ce test amènera le rejet de la preuve. Enfin, un certificat attestant la précision de cet étalon pourra être exigé. Dans l'affaire Werenko, la Cour du banc de la Reine d'Alberta établit schématiquement les exigences pour qu'une preuve prima facie de vitesse excessive mesurée par radar soit établie: la Couronne pourra être appelée à démontrer:

que l'opérateur est qualifié

i) il a suivi un cours

ii) il a passé un examen avec succès

iii) il a plusieurs mois d'expérience

que l'appareil a été testé


i) avant l'opération

ii) après l'opération

que l'appareil est précis

i) précision vérifiée au moyen de test

ii) et du certificat attestant la valeur du diapason.

Alors, une fois ces éléments établis, le rapport du radariste aura sensiblement pour effet d'agir comme celui du technicien de l'alcooltest: lorsque la preuve de la compétence du policier et de l'utilisation adéquate de l'appareil est établie, la vitesse indiquée par le radar fait preuve prima facie de la vitesse du véhicule. Pour prouver son innocence, le prévenu devra présenter une preuve contraire.

En somme, la démonstration que l'opérateur est qualifié, que son appareil fut testé avant et après son usage et que le test démontre que l'instrument est précis, établit une preuve prima facie, sujette, bien sûr, au doute raisonnable que l'inculpé pourra soulever.

Qu'en est-il en l'espèce? La preuve ne repose que sur le témoignage du policier longuement contre-interrogé (j'en ai fait le résumé plus tôt). Sa lecture établit l'absence d'un élément de vérification: celui qui doit être fait après l'usage de l'instrument. Ce test est, à mon avis, aussi important que celui qui précède le début de l'opération policière, pour établir avec certitude l'état de bon fonctionnement de l'instrument et de l'exactitude de ses résultats à un moment précis. En effet, cette preuve circonstancielle permet au juge d'affirmer, en l'absence de toute autre preuve crédible, que si l'instrument était efficace et précis avant comme après le passage de l'automobile conduite par l'inculpé, il l'était aussi au moment de son interception.

C'est pourquoi, en l'absence d'une preuve complète, je serais d'avis de maintenir l'acquittement de l'intimé quoique pour des motifs quelque peu différents.

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