lundi 11 octobre 2010

Le droit de consulter de nouveau un avocat lors de l'interrogatoire policier

R. c. Sinclair, 2010 CSC 35

[43] Il ressort de la jurisprudence que normalement l’al. 10b) accorde au détenu une seule consultation avec un avocat. Toutefois, il est également reconnu que, dans certaines circonstances, la Constitution exige qu’on accorde au détenu une nouvelle possibilité de consulter un avocat. Comme nous l’expliquerons davantage plus loin, il s’agit généralement des cas où se produit un changement important de la situation du détenu après la consultation initiale.

[44] L’interprétation selon laquelle l’al. 10b) prévoit une seule consultation avec un avocat a été clairement exposée dans R. c. Logan (1988), 46 C.C.C. (3d) 354 (C.A. Ont.). Après avoir examiné la jurisprudence, la cour a déclaré :

[traduction] Il ressort clairement de la décision du juge Lamer dans Manninen que l’al. 10b) confère le droit, en cas d’arrestation ou de détention, d’avoir recours à l’assistance d’un avocat et d’être informé par l’avocat, avant qu’on puisse soutirer des déclarations de l’accusé. L’expression « en cas d’arrestation ou de détention » indique un moment en particulier et non un continuum. Il ne porte pas sur le droit continu de consulter un avocat chaque fois que la police risque d’obtenir une déclaration de l’accusé. Il est vrai que le mot « retain » donne une idée de continuité (The Shorter Oxford English Dictionary (1973), p. 1813), mais il concerne la fourniture de services, c.‑à‑d. la disponibilité de ces services et leur utilisation par la suite, au moment voulu. Il ne crée pas une condition préalable à toute obtention de renseignements subséquente. [p. 381.]

[46] Bien qu’elle ait reconnu qu’une deuxième consultation s’impose lorsqu’un changement de situation la rend nécessaire, la Cour ne s’est pas prononcée de façon définitive sur la question : voir Evans; R. c. Burlingham, [1995] 2 R.C.S. 206; Black; R. c. Prosper, [1994] 3 R.C.S. 236. Nous examinons maintenant ces arrêts.

[47] Il faut interpréter l’alinéa 10b) de manière à respecter pleinement son objet d’étayer le droit du détenu, prévu par l’art. 7, de choisir de coopérer ou non à l’enquête policière. Normalement, une seule consultation, au moment de la mise en détention ou peu après celle‑ci, suffit pour atteindre cet objectif. Le détenu peut ainsi obtenir les renseignements dont il a besoin pour faire un choix utile quant à savoir s’il coopérera ou non à l’enquête. Toutefois, comme il ressort de la jurisprudence, il peut se produire des faits nouveaux qui rendent nécessaire une deuxième consultation pour permettre à l’accusé d’obtenir les conseils dont il a besoin pour exercer son droit de choisir dans la nouvelle situation.

[48] Selon l’idée générale qui se dégage des arrêts où la Cour a reconnu un deuxième droit de consulter un avocat, le changement de circonstances tend à indiquer qu’une nouvelle consultation s’impose pour permettre au détenu d’obtenir les renseignements dont il a besoin pour choisir de coopérer ou non à l’enquête policière. On craint, en effet, que les conseils reçus initialement ne soient plus adéquats par suite du changement de situation ou des faits nouvellement révélés.

[49] Il est évident que la police est libre de faciliter toute consultation supplémentaire avec un avocat. Il arrive parfois que l’interrogateur considère même comme une technique utile de rassurer le détenu sur la possibilité pour celui-ci de consulter de nouveau, au besoin, un avocat. Par exemple, dans le pourvoi connexe R. c. Willier, 2010 CSC 37, un interrogateur habile a commencé l’entretien en indiquant clairement au détenu qu’il était libre d’arrêter et d’appeler un avocat au cours de l’entretien. Il s’agit en l’espèce de se demander quand une consultation supplémentaire est requise aux termes de l’al. 10b) de la Charte. Il est utile d’indiquer à l’intention des interrogateurs de la police les situations où il ne fait aucun doute qu’une deuxième consultation s’impose. Les catégories ne sont pas limitatives. Toutefois, il ne faudrait ajouter que les cas où il est nécessaire d’accorder une autre consultation pour que soit réalisé l’objet de l’al. 10b).

1. Application de nouveaux procédés


[50] Les conseils donnés initialement par l’avocat seront orientés en fonction de ses attentes, à savoir que la police cherche à poser des questions au détenu. L’avocat chargé de conseiller le détenu au moment de la consultation initiale ne s’attend généralement pas à des procédés peu habituels, comme la séance d’identification ou le test polygraphique. Il s’ensuit qu’une nouvelle consultation est nécessaire pour que soit réalisé l’objet de l’al. 10b) de fournir au détenu les renseignements dont il a besoin pour choisir, de façon éclairée, de coopérer ou non à ces nouveaux procédés : R c. Ross, [1989] 1 R.C.S. 3.

2. Changement du risque

[51] Le détenu est informé dès le début de sa détention des raisons qui l’ont motivée : art. 10a). Viennent ensuite les conseils juridiques et la possibilité de consulter un avocat dont il est question à l’al. 10b). Les conseils donnés seront en fonction de la situation, telle que le détenu et son avocat la comprennent à ce stade. Si l’enquête prend une tournure nouvelle et plus grave au fur et à mesure du déroulement des événements, il se peut que ces conseils ne soient plus adéquats compte tenu de la situation ou du risque réels auxquels est confronté le détenu. Pour que soit réalisé l’objet de l’al. 10b), le détenu doit avoir la possibilité de consulter de nouveau un avocat et d’obtenir des conseils au sujet de la nouvelle situation. Voir Evans et Black.

3. Raisons de se demander si le détenu comprend le droit que lui confère l’alinéa 10b)

[52] S’il ressort des événements que le détenu qui a renoncé à son droit à l’assistance d’un avocat n’a peut-être pas compris son droit, la police doit l’en informer de nouveau pour que soit réalisé l’objet de l’al. 10b) : Prosper. En termes généraux, cela peut vouloir dire que, si les circonstances indiquent que le détenu n’a peut‑être pas compris les conseils reçus initialement en vertu de l’al. 10b) au sujet de son droit à l’assistance d’un avocat, la police a l’obligation de lui accorder de nouveau la possibilité de parler à un avocat. De même, si la police dénigre les conseils juridiques reçus par le détenu, cela peut avoir pour effet de les dénaturer ou de les réduire à néant, ce qui mine l’objet de l’al. 10b). Pour faire contrepoids à cet effet, on a estimé nécessaire d’accorder de nouveau au détenu le droit de consulter un avocat. Voir Burlingham.

[53] Le principe général sur lequel reposent les arrêts examinés ci‑dessus est le suivant : si le détenu a déjà reçu des conseils juridiques, la police a, dans le cadre de la mise en application, notamment l’obligation prévue à l’al. 10b) de lui fournir une possibilité raisonnable de consulter de nouveau un avocat si, par suite d’un changement de circonstances, cette mesure est nécessaire pour que soit réalisé l’objet de l’al. 10b) de la Charte de fournir au détenu des conseils juridiques quant à son choix de coopérer ou non à l’enquête policière.

[54] La jurisprudence jusqu’à maintenant offre des exemples de situations où intervient le droit à une autre consultation. Toutefois, les catégories ne sont pas limitatives. Lorsque les circonstances ne correspondent pas à une situation reconnue à ce jour, il s’agit de se demander s’il faut accorder une nouvelle possibilité de consulter un avocat pour que soit réalisé l’objet de l’al. 10b) de fournir au détenu des conseils dans sa situation nouvelle ou émergente.

[55] D’après la jurisprudence, le changement de circonstances doit être objectivement observable pour donner naissance à de nouvelles obligations pour la police en matière de mise en application. Il ne suffit pas que l’accusé affirme, après coup, qu’il n’avait pas bien compris ou qu’il avait besoin d’aide alors qu’il n’existe aucun élément objectif indiquant qu’une nouvelle consultation juridique était nécessaire pour lui permettre d’exercer un choix utile pour ce qui est de coopérer ou non à l’enquête policière.

[56] Selon notre interprétation de ses motifs, le juge Binnie reconnaît que la Constitution exige que l’on accorde d’autres consultations avec un avocat si de nouvelles circonstances rendent cette mesure nécessaire pour que soit réalisé l’objet de l’al. 10b). Cependant, il irait jusqu’à étendre la catégorie des cas où ce droit prend naissance, de manière à englober toutes les situations où le détenu fait une demande raisonnable à cet effet dans le cadre d’un entretien sous garde. Il établit ensuite à l’intention de la police et des tribunaux de révision une liste non exhaustive de facteurs qui peuvent fournir des motifs raisonnables pour accorder une autre consultation (par. 106).

[57] Pour autant que nous puissions en juger, la thèse selon laquelle il faut suspendre les questions jusqu’à ce que le détenu ait une possibilité raisonnable de consulter de nouveau un avocat — s’il existe un « fondement objectif » pour penser que le détenu peut avoir besoin d’autres conseils juridiques — n’est pas suffisamment liée à l’objectif de veiller à ce que le détenu demeure bien informé de la façon d’exercer ses droits. On suppose que les conseils juridiques reçus initialement sont suffisants et bons quant à la façon dont le détenu devrait exercer ses droits dans le cadre de l’enquête policière. Le fait de ne pas accorder une nouvelle consultation constitue une violation de l’al. 10b) seulement s’il devient clair, par suite d’un changement de circonstances ou de faits nouveaux, que les conseils reçus au départ, compte tenu du contexte, ne suffisent plus ou ne sont plus bons. Cette façon de voir est compatible avec l’objet de l’al. 10b) de veiller à ce que la décision du détenu de coopérer ou non avec la police soit à la fois informée et libre. (...)

[58] (...) Les détenus ont le droit absolu de garder le silence et, par conséquent, l’ultime contrôle de l’interrogatoire. Ils ont le droit de ne rien dire, de décider de ce qu’ils veulent dire et quand le dire. Il ne faut pas oublier que la possibilité de consulter de nouveau un avocat va de pair avec l’obligation pour la police de suspendre les questions jusqu’à ce que le détenu ait consulté un avocat ou qu’on lui ait accordé une possibilité raisonnable de le faire. Il se peut fort bien qu’on ait à attendre longtemps avant de pouvoir poursuivre l’interrogatoire. Les droits garantis par la Charte « doivent être exercés d’une façon qui soit conciliable avec les besoins de la société » : R. c. Smith, [1989] 2 R.C.S. 368, p. 385. Le droit à l’assistance d’un avocat ne vise pas à permettre aux suspects, surtout les personnes bien avisées et sûres d’elles, de « retarder inutilement et impunément une enquête et même, dans certains cas, de faire en sorte qu'une preuve essentielle soit perdue, détruite ou impossible à obtenir » : Smith, p. 385. C’est pourtant le résultat que risque, à notre avis, d’entraîner la démarche proposée par le juge Binnie.

[60] La meilleure démarche consiste à continuer d’examiner selon la règle des confessions les allégations d’incapacité ou d’intimidation subjectives. Par exemple, dans R. c. Oickle, 2000 CSC 38, [2000] 2 R.C.S. 3, par. 61, la Cour a reconnu que l’utilisation d’éléments de preuve inexistants pour soutirer des aveux risque de créer une atmosphère oppressive et de rendre les déclarations non volontaires. Dans Singh, la Cour a souligné que la persistance à poursuivre l’entretien, surtout devant les affirmations répétées du détenu qu’il souhaite garder le silence, permet de « faire valoir sérieusement que toute déclaration obtenue par la suite ne résult[e] pas d’une libre volonté de parler aux autorités » (par. 47). Toutefois, la jurisprudence jusqu’à maintenant n’appuie pas le point de vue selon lequel la tactique, souvent utilisée par la police, de révéler petit à petit des éléments de preuve (réels ou faux) au détenu pour démontrer ou exagérer la solidité de la preuve contre lui donne automatiquement naissance au droit à une deuxième consultation avec un avocat en faisant renaître les droits garantis à l’al. 10b).

[62] Nous ne pouvons souscrire à la prétention que notre interprétation de l’al. 10b) donnera carte blanche à la police. Cet argument ne tient pas compte de l’exigence selon laquelle les confessions doivent être volontaires dans le sens large maintenant reconnu en droit. La police doit non seulement respecter les obligations qui lui incombent selon l’al. 10b), mais aussi conduire l’entretien en se conformant strictement à la règle des confessions. (...) Comme il est expliqué plus en détail dans Singh, la règle des confessions est de nature générale et englobe manifestement le droit au silence. Loin de restreindre le droit au silence garanti aux détenus par la Constitution, sa reconnaissance en tant que composante de la règle de common law le renforce, car tout doute raisonnable au sujet du caractère volontaire entraîne obligatoirement l’exclusion automatique de la déclaration. (...) On ne peut déterminer le caractère volontaire qu’en tenant compte de l’ensemble des circonstances. Comme l’a indiqué la majorité dans Singh (par. 53) :

Là encore, il faut souligner que ces situations dépendent fortement des faits de chaque affaire et que le juge du procès doit tenir compte de tous les facteurs pertinents pour déterminer si le ministère public a établi que la confession de l’accusé est volontaire. Dans certains cas, la preuve permettra de conclure que la poursuite de l’interrogatoire de la police, malgré que l’accusé ait invoqué, à maintes reprises, son droit de garder le silence, a privé ce dernier de la possibilité de faire un choix utile de parler ou de garder le silence : voir l’arrêt Otis. Le nombre de fois que l’accusé invoque son droit de garder le silence entre dans l’appréciation de l’ensemble des circonstances, mais il n’est pas déterminant en soi. En définitive, la question est de savoir si l’accusé a usé de son libre arbitre en choisissant de faire une déclaration : Otis, par. 50 et 54.

(...) Comme l’a fait observer la majorité, « en fait, son analyse de la jurisprudence applicable et son examen des faits pertinents sont impeccables, particulièrement en ce qui concerne le droit de garder le silence » (par. 50). De l’avis de la majorité, il n’y avait pas lieu de modifier sa décision.

[63] (...) À notre avis, pour définir la portée du droit au silence reconnu à l’art. 7 et celle des droits connexes garantis par la Charte, il faut tenir compte non seulement de la protection des droits de l’accusé, mais aussi de l’intérêt de la société à ce que les crimes fassent l’objet d’une enquête et soient résolus. La police a l’obligation d’enquêter sur les crimes présumés et, dans l’exercice de cette fonction, elle doit nécessairement interroger des sources d’information pertinentes, y compris les personnes soupçonnées ou même accusées d’avoir commis le crime présumé. Certes, la police doit respecter les droits que la Charte garantit à un individu, mais la règle selon laquelle elle doit automatiquement battre en retraite dès que le détenu déclare qu’il n’a rien à dire ne permet pas, à notre avis, d’établir le juste équilibre entre l’intérêt public à ce que les crimes fassent l’objet d’une enquête et l’intérêt du suspect à ne pas être importuné.

[64] (...) Au contraire, comme nous l’avons déjà expliqué, nous prenons la position bien établie selon laquelle le droit à l’assistance d’un avocat s’applique essentiellement une seule fois, sauf quelques exceptions reconnues, et développons la jurisprudence existante en reconnaissant le droit à une nouvelle consultation lorsqu’un changement de circonstances rend cette mesure nécessaire pour que soit réalisé l’objet de l’al. 10b) de fournir au détenu des conseils dans sa situation nouvelle ou émergente. Nos motifs élargissent plutôt la protection dont disposent les suspects et restreignent le champ des questions de la police. (...)

[65] Nous concluons que ni les principes applicables ni la jurisprudence n’appuient la thèse selon laquelle une demande, à elle seule, suffit à redonner naissance au droit à l’assistance d’un avocat et au droit d’être informé de ce droit, qui sont prévus à l’al. 10b). Il faut qu’il y ait un changement de circonstances tendant à indiquer que le choix qui s’offre à l’accusé a considérablement changé, de sorte qu’il a besoin d’autres conseils sur la nouvelle situation pour que soit réalisé l’objet de l’al. 10b) de fournir à l’accusé des conseils juridiques lui permettant de décider de coopérer ou non à l’enquête policière. Si les tactiques policières n’entraînent pas un tel changement, il est possible que le ministère public ne puisse pas établir hors de tout doute raisonnable qu’une déclaration subséquente était volontaire, ce qui la rendrait inadmissible. Mais il ne s’ensuit pas qu’il y a eu atteinte aux droits procéduraux conférés par l’al. 10b).

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