lundi 11 octobre 2010

L'article 10b) de la Charte ne doit pas être interprété de manière à conférer le droit constitutionnel d’avoir un avocat présent pendant toute la durée d’un entretien de police

R. c. Sinclair, 2010 CSC 35

[33] M. Sinclair affirme que l’al. 10b) donne au détenu le droit d’avoir, sur demande, un avocat présent pendant toute la durée de l’entretien.

[34] Les précédents vont à l’encontre de cette interprétation de l’al. 10b). La Cour ne s’est jamais prononcée directement sur la question, mais les tribunaux d’instance inférieure semblent être unanimes pour dire qu’un tel droit n’existe pas au Canada :(références omises). Plus récemment, dans Osmond, la Cour d’appel (le juge Donald) a refusé de faire droit à un tel argument au motif qu’il renverserait une jurisprudence claire indiquant le contraire. Dans Friesen, le juge Côté a exprimé ainsi la position prépondérante : [traduction] « Nous ne devrions pas (et ne pouvons) modifier le droit canadien de façon à interdire à la police de parler à un suspect détenu sauf si l’avocat de la défense est présent et se prononce sur chaque question » (p. 182).

[35] Le libellé de l’al. 10b) ne semble pas envisager une telle exigence. (...) Certes, il est raisonnable d’estimer que l’expression « retain and instruct » et son équivalent français supposent plus qu’une consultation superficielle avant l’interrogatoire, comme nous l’avons déjà mentionné, mais ils n’impliquent pas nécessairement la présence continue d’un avocat pendant toute la durée de l’entretien.

[36] Cela nous ramène à l’objet de l’al. 10b). Répétons‑le, cette disposition vise à informer le détenu de ses droits et à lui donner la possibilité d’obtenir des conseils juridiques sur la façon de les exercer. Il est possible de réaliser ces objectifs en accordant au détenu le droit de consulter de nouveau un avocat lorsque de nouveaux faits rendent cette mesure nécessaire, comme nous le verrons ci-dessous. Ces objectifs n’exigent pas la présence continue d’un avocat pendant toute la durée de l’entretien.

[37] M. Sinclair fait valoir que d’autres pays reconnaissent le droit à la présence d’un avocat pendant toute la durée d’un entretien de police (voir Miranda c. Arizona, 384 U.S. 436 (1966), et Escobedo c. Illinois, 378 U.S. 478 (1964)), et que le Canada devrait faire de même. Il s’appuie sur la doctrine en la matière. Voir L. Stuesser : « The Accused’s Right to Silence : No Doesn’t Mean No » (2002), 29 Man. L.J. 149, p. 150.

[38] Nous ne sommes pas convaincues que la règle Miranda devrait être implantée en droit canadien. La portée de l’al. 10b) de la Charte est définie par rapport à son texte, au droit au silence, à la règle des confessions reconnue en common law et à l’intérêt public à ce que les lois soient appliquées effectivement dans le contexte canadien. Adopter des protections procédurales d’autres ressorts de façon fragmentaire risque de compromettre l’équilibre établi par les tribunaux et les organes législatifs canadiens.

[39] Il existe des différences significatives entre le régime canadien et le régime américain. L’arrêt Miranda faisait suite aux tactiques policières abusives alors courantes aux États‑Unis et il s’applique dans le contexte de nombreuses autres règles moins favorables à l’accusé que leurs équivalents canadiens. Par exemple, il ne s’applique qu’aux personnes « en détention ». À cet égard, la détention s’entend d’une [traduction] « “arrestation formelle ou entrave formelle à la liberté de mouvement” comparable à celle associée à une arrestation formelle » : California c. Beheler, 463 U.S. 1121 (1983), p. 1125; Yarborough c. Alvarado, 541 U.S. 652 (2004). Au Canada, la définition de détention psychologique déclenchant l’application de l’al. 10b) est plus large : R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353, par. 44. En outre, une violation de la règle Miranda n’empêche ni l’utilisation du témoignage du détenu lors du procès pour attaquer la crédibilité de l’accusé à ce moment-là (Harris c. New York, 401 U.S. 222 (1971); Oregon c. Hass, 420 U.S. 714 (1975)) ni la présentation, au procès, de preuve matérielle dérivée (United States c. Patane, 524 U.S. 630 (2004)). Par contre, les règles canadiennes sur l’admissibilité de la preuve obtenue en violation de l’al. 10b) sont beaucoup plus favorables à l’accusé : voir R. c. Calder, [1996] 1 R.C.S. 660; R. c. Noël, 2002 CSC 67, [2002] 3 R.C.S. 433, par. 55; Grant, par. 116‑128.

[41] Ajoutons que toute inférence tirée de l’expérience américaine au sujet des effets d’un régime de type Miranda sur l’application de la loi doit être tempérée par le fait qu’environ 80 p. 100 des suspects renoncent en fin de compte aux droits que leur reconnaît Miranda : (références omises). Cela a conduit certains auteurs à affirmer que Miranda n’offre que des protections illusoires à la vaste majorité des individus soumis à l’interrogatoire sous garde : (références omises).

[42] Nous concluons que l’al. 10b) ne devrait pas être interprété de manière à conférer le droit constitutionnel d’avoir un avocat présent pendant toute la durée d’un entretien de police. Bien sûr, rien n’empêche un avocat d’être présent à l’interrogatoire avec le consentement de toutes les parties, comme cela se produit déjà. La police demeure libre de faciliter un tel arrangement si elle choisit de le faire, et le détenu pourrait vouloir demander, comme condition préalable à sa déclaration, la présence d’un avocat.

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