R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565
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55 Comme les appelants le soutiennent, l’existence d’une exception au principe de la confidentialité des communications avocat‑client est bien établie relativement aux cas où ces communications sont de nature criminelle ou qu’elles visent à obtenir un avis juridique pour faciliter la perpétration d’un crime. L’exception a été soulignée par le juge Dickson dans Solosky c. La Reine, 1979 CanLII 9 (C.S.C.), [1980] 1 R.C.S. 821, aux pp. 835 et 836:
Plus significatif, si un client consulte un avocat pour pouvoir perpétrer plus facilement un crime ou une fraude, alors la communication n’est pas privilégiée et il importe peu que l’avocat soit une dupe ou un participant. L’arrêt classique est R. v. Cox and Railton [(1884), 14 Q.B.D. 153], où le juge Stephen s’exprime en ces termes (p. 167): [traduction] «Une communication faite en vue de servir un dessein criminel ne «relève pas de la portée ordinaire des secrets professionnels»».
56 (...) [traduction] L’application de la règle [du secret professionnel de l’avocat] suppose, d’une part, un rapport de confidentialité professionnelle, et, d’autre part, une consultation professionnelle, mais si le client poursuit un dessein criminel en faisant des communications à son avocat, l’un de ces éléments doit nécessairement être absent. Le client doit, soit comploter avec l’avocat, soit le tromper. S’il lui fait part de son dessein criminel, le client ne consulte pas à titre professionnel, parce que la fonction de l’avocat ne peut pas être de favoriser la perpétration d’un crime. Si le client ne lui divulgue pas son dessein, il n’y a pas de confidence, car l’état de choses sur lequel repose la prétendue confidence n’existe pas. Il obtient l’avis de l’avocat par fraude.
Dans cette affaire, la cour a conclu que, bien que l’avocat n’ait pas pris une part active au complot pour léser le créancier, il avait été dupé par ses clients et le privilège avait été anéanti.
57 Les termes employés dans Cox and Railton («. . . si le client poursuit un dessein criminel en faisant des communications à son avocat») impliquent que cette exception ne vaut que si le client poursuit sciemment un dessein criminel, et c’est précisément ce que dit le professeur Wigmore (Wigmore on Evidence, op. cit., § 2298, à la p. 573) quand il apporte une réponse affirmative à la question: [traduction] «Le client doit-il demander l’avis sachant que la fin poursuivie est illégale?»
58 Quoique la question n’ait apparemment pas été abordée directement dans la jurisprudence au Canada, le point de vue de Wigmore a été approuvé par les auteurs de «The Future Crime or Tort Exception to Communications Privileges» (1964), 77 Harv. L. Rev. 730, aux pp. 730 et 731:
[traduction] Le secret professionnel de l’avocat a toujours été subordonné à cette condition: la protection des communications est écartée quand le client consulte l’avocat pour obtenir son aide, sachant que l’acte projeté constitue un crime ou un délit.
La portée de l’exception du «crime projeté» est délimitée selon des raisons de principes d’intérêt public, comme on l’explique à la p. 731:
[traduction] La condition relative à la connaissance réduit l’effet de l’exception sur des communications légitimes; à défaut de cette condition, le risque que leur objet se révèle illégal et que le privilège soit par conséquent écarté ferait obstacle aux consultations légitimes. De plus, c’est une partie importante de la fonction de l’avocat de déconseiller les revendications sans fondement et les projets illégaux. [Je souligne.]
59 Cette explication est conforme à l’énoncé du principe par le juge Lamer dans l’arrêt Descôteaux, précité, à la p. 881:
Confidentielles, qu’elles aient trait aux moyens financiers ou à la nature du problème, les communications ne le seront plus si et dans la mesure où elles ont été faites dans le but d’obtenir des avis juridiques pour faciliter la perpétration d’un crime.
L’exception à la création du privilège a été développée par lord Parmoor dans O’Rourke c. Darbishire, [1920] A.C. 581 (H.L.), à la p. 621:
[traduction] Le troisième moyen de l’appelant contre l’existence du secret professionnel invoqué est que la présente affaire est soumise au principe que ce privilège ne s’applique pas lorsqu’une fraude a été concoctée entre un avocat et son client ou lorsque l’avocat a conseillé son client de manière à lui permettre d’effectuer une opération frauduleuse. S’il est démontré que ce principe doit trouver application en l’espèce, le secret professionnel sera écarté puisque les obligations professionnelles de l’avocat excluent la planification d’une opération frauduleuse ou les conseils à un client sur la façon de commettre une fraude. On ne peut prétendre que les échanges et les communications effectuées dans ce but font l’objet du sceau de la confidentialité professionnelle rattaché à l’exercice des fonctions professionnelles.
60 Un arrêt de principe américain sur cette question est State ex rel. North Pacific Lumber Co. c. Unis, 579 P.2d 1291 (Or. 1978). Dans cette affaire, il était allégué qu’un employeur avait illégalement soumis les conversations téléphoniques d’un employé à l’écoute électronique. L’employeur a dit qu’avant de recourir à l’écoute électronique, il avait demandé un avis juridique et il a fait valoir le secret professionnel de l’avocat à l’égard de ces communications. L’employé a sollicité la divulgation de cet avis, mais celle‑ci lui a été refusée. La cour fait cette observation pertinente, à la p. 1295:
[traduction] Nous approuvons l’exigence selon laquelle, s’il veut invoquer l’exception au privilège, celui qui veut présenter la preuve doit démontrer que le client, lorsqu’il a consulté l’avocat, savait ou aurait dû savoir que l’acte projeté était illégal. Les consultations de bonne foi entre un avocat et un client qui est incertain des conséquences juridiques d’une ligne de conduite envisagée bénéficient de la protection du privilège, même si l’acte est jugé illicite par la suite.
61 En l’espèce, la seule preuve de la connaissance, présumée ou autre, de la GRC est le témoignage du caporal Reynolds qui maintient avoir cru que l’opération de vente surveillée était légale. Puisque le caporal Reynolds avait lu la décision Lore, précitée, de la Cour supérieure, on ne peut affirmer qu’au moment où il s’est adressé à M. Leising, il «savait ou aurait dû savoir que l’acte projeté était illégal». Rien dans la preuve n’établit non plus que M. Leising était un «comploteur ou une dupe». Rien ne permet donc de dire à partir du témoignage du capl. Reynolds que le secret professionnel de l’avocat n’a jamais pris naissance en l’espèce.
62 Il reste à décider si le privilège a été anéanti quand la GRC a vendu du haschisch aux appelants. Les auteurs de «The Future Crime or Tort Exception to Communications Privileges», loc. cit., à la p. 731, soutiennent que [traduction] «la formation ultérieure d’une intention criminelle devrait anéantir le privilège préexistant». Ceci signifierait que la preuve d’un crime, sauf dans les infractions de responsabilité absolue, qui entraîne la preuve de l’intention détruirait automatiquement le privilège dans tous les cas. Une telle proposition pourrait avoir une portée très large dans le domaine des infractions réglementaires, par exemple. À mon avis, la levée du privilège exige plus que la preuve de l’existence d’un crime et de la consultation préalable d’un avocat. Il faut quelque élément tendant à établir que l’avis a facilité le crime ou que l’avocat est devenu «dupe ou comploteur». Cela n’est pas démontré par le témoignage du capl. Reynolds, mais la position officielle du ministère public, avec l’appui de la GRC, va au‑delà de ce témoignage. La GRC a soutenu devant notre Cour que la décision d’exécuter l’opération de vente surveillée a été prise avec la participation et l’accord du ministère de la Justice. En adoptant cette position, la GRC s’est placée en fin de compte dans le cadre de l’exception de «crime projeté» et a mis en question le maintien du privilège.
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