R. c. Villeneuve, 2010 QCCQ 498 (CanLII)
[38] Le juge Chamberland adopte une interprétation englobante du terme "jouissance" (p.7):
Le Parlement a voulu sanctionner criminellement les faits et gestes de quiconque, volontairement, empêche une personne, par exemple un voisin, de jouir de son bien, par exemple l'immeuble dont il a fait l'achat, et, à mon avis, il s'en est exprimé clairement à l'al. 430 (1)d) du Code criminel. Je ne crois pas que l'énumération de situations, souvent des cas limites, où l'accusation de méfait pourrait être portée justifie que nous occultions le sens commun des mots, et notamment du mot jouissance.
Si le Parlement avait voulu que le mot "jouissance" signifie "possession", il aurait utilisé le mot "possession". L'al. 430 (1)d) est rédigé de manière à viser le bien dans son aspect dynamique (l'emploi, la jouissance ou l'exploitation du bien) plutôt que dans son aspect statique (la propriété, le louage ou la possession). L'utilisation du mot jouissance s'inscrit tout à fait dans cette logique.
A mon avis, le mot jouissance a ici un sens plus englobant que le seul fait d'être titulaire d'un droit à la possession du bien; il inclut l'action de tirer d'un bien qu'une personne détient légalement les satisfactions que ce bien est en mesure de procurer. En somme, la personne qui, animée d'une intention coupable, gêne volontairement son voisin dans la jouissance de sa propriété s'expose à devoir répondre à une accusation de méfait fondée sur l'al. 430 (1)d) du Code criminel. L'infraction exige évidemment du ministère public qu'il fasse la preuve de faits et gestes posés volontairement par l'accusé et d'une intention coupable (mens rea) de sa part.
[39] Le juge Fish adopte quant à lui une interprétation plus restrictive et limite le sens de ce mot au seul fait ou droit de posséder un bien et rejette l'interprétation du juge Chamberland (p.15):
With the greatest of respect, however, I do not believe that Parliament intended the word "enjoyment" in sec. 430(1)d) to bear all of the definitions given by general dictionaries such as Robert and Random House. It is not so much a matter, in my view, of giving the word its "ordinary meaning" or "sens commun", rather, we are required to determine the maning of the word in the particular context of sec. 430 of the Criminal Code. […]
[…] I do not beleive that "enjoyment" in sec. 430(1)d) refers to a purely subjective state, such as the nature or intensity of the pleasure derived from a property by its owner, possessor or occupant. Nor do I believe that a person who diminishes that pleasure, event knowingly, is liable for that reason alone to conviction for criminal mischief.
To conclude otherwise, in my respectful view, is to make of a crime in relation to property an offence against feelings and tastes. With respect for the views expressed by my colleague Chamberland, I would not interpret the law so broadly as to permit that result, and then impose on policemen and prosecutors the thankless task of enforcint it.
[40] Pour le juge Beauregard (p.9):
La difficulté du dossier ne réside pas dans l'interprétation des mots «emploi», «jouissance» et «exploitation» ou, en anglais, «use», «enjoyment» et «operation» du par. 430 (1)d) C.cr.
[41] Il poursuit ainsi (p.9):
La solution de la difficulté que pose le dossier réside plutôt dans la réponse à la question suivante. Lorsque l'appelant a ennuyé les Bélanger au moment où ceux-ci étaient sur leur terrain, voulait-il simplement les ennuyer, sans égard au fait qu'ils étaient sur leur terrain (dans ce cas l'appelant ne serait pas coupable), ou voulait-il les gêner dans la jouissance de leur terrain, ou, à tout le moins, savait-il qu'il les gênait dans cette jouissance (dans ce cas il y aurait culpabilité)?
Après réflexion je ne peux me défaire d'un doute à cet égard, doute qui profite à l'appelant.
[42] Le juge Beauregard fait donc droit à l'appel parce qu'il ne peut se défaire d'un doute quant à l'intention de l'appelant. La difficulté du dossier ne résidant pas pour lui dans l'interprétation des mots, il n'est pas étonnant que le juge Beauregard ne discute pas dans ses motifs de l'interprétation à donner au mot "jouissance", ni des opinions divergentes des juges Chamberland et Fish, et qu'il ne se prononce finalement pas sur la question.
[43] D'ailleurs, dans Maddeaux, le juge Austin écrira que l'opinion du juge Beauregard sur la question ne jaillit pas clairement de ses motifs (p.126):
I am not clear from his reasons what position Beauregard J.A. took on the significance of the word "enjoyment".
[44] Certains qualifient l'opinion du juge Chamberland de "dissidente" (voir notamment à 96 C.C.C. (3d) 554, p.563).
[45] Respectueusement, si le juge Chamberland est "dissident" sur le résultat de l'appel, il ne l'est certainement pas sur l'interprétation à donner au mot "jouissance", pas plus que le juge Fish. Chacun a simplement son opinion sur la question. Dans ces circonstances, j'estime que la Cour d'appel du Québec ne s'est pas prononcée clairement sur l'interprétation à donner au mot "jouissance" et donc, j'estime ne pas être lié par la décision de Drapeau.
[46] Dans Maddeaux, la Cour d'appel d'Ontario adopte clairement la position du juge Chamberland (p.127).
[47] Pour ma part, et avec respect pour l'opinion du juge Fish, pour les motifs énoncés par le juge Chamberland dans Drapeau, et par le juge Austin dans Maddeaux, j'adopte leur interprétation du mot "jouissance".
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