samedi 6 novembre 2010

Revue de la jurisprudence sur la question de garde et le contrôle d'un véhicule automobile alors que sa capacité de conduire était affaiblie

R. c. Gravel, 2010 CanLII 63047 (QC C.M.)

[44] Pour établir qu'un accusé a la garde et le contrôle d'un véhicule automobile, la poursuite bénéficie de deux modes de preuve qu'elle peut cumuler : la preuve directe d'actes de garde et de contrôle et la présomption prévue à l'article 258(1)a) du Code criminel.

[45] En vertu de cette présomption, lorsqu'il est prouvé hors de tout doute raisonnable qu'une personne occupe le siège du conducteur, celle-ci sera considérée à toutes fins que de droit comme ayant la garde et le contrôle du véhicule automobile à moins qu'elle n'apporte une preuve prépondérante qu'elle n'occupait pas cette place dans le but de mettre le véhicule en mouvement (références omises).

[46] On notera que la possession des clefs n’est pas une condition requise pour que la présomption s’applique. La preuve d'absence de moyen de mettre le véhicule en marche, comme l'absence de possession des clefs, ne suffit pas pour rencontrer ce fardeau de preuve. L'accusé doit convaincre que son intention n'était pas de mettre le véhicule en marche. Il doit établir une intention autre. Le seul fait de nier l'intention de mettre le véhicule en marche est insuffisant (MacAulay, précitée, par. 19 et 22; Paskimin c. La Reine, [2006] S.J. n° 787, par. 4 (C.A. Sask.)).

[47] La preuve servant à renverser la présomption peut découler de la preuve présentée en défense comme de celle présentée par la poursuite (MacAulay, précitée, par. 14; R. v. Lohnes, 2007 NSCA 24 (CanLII), (2007) 217 C.C.C. (3d) 392, par. 22).

[48] Tel que mentionné précédemment, la poursuite peut aussi présenter une preuve directe d'actes de garde et de contrôle. Cette preuve devra cependant permettre au Tribunal de conclure hors de tout doute raisonnable que l'accusé exerçait la garde et le contrôle du véhicule (Ford, précitée, p. 246; R. c. Toews, 1985 CanLII 46 (C.S.C.), [1985] 2 R.C.S. 119, 125).

[49] La définition la plus précise de ce qui constitue des actes de garde et de contrôle paraît avoir été donnée par la Cour d'appel de Colombie-Britannique dans l'arrêt R. c. Sinclair, [1990] B.C.J. no 2244 :

« Three different circumstances which, short of driving, could establish care and control of a vehicle :

a) Acts which would involve some use of the car, or

b) Acts which would involve some use of its fittings and equipment, or

c) Some course of conduct associated with the vehicle;

which would involve a risk of putting the vehicle in motion so that it could become dangerous. »

[50] De toute évidence, cette définition s'inspire des arrêts Ford (précité, p. 249) et Toews (précité, p. 125 et 126).

[51] En outre du comportement à l'égard du véhicule ou de ses équipements, l'élément déterminant est le risque de danger pour le public. La Cour suprême a fait référence à cette notion essentielle de risque actuel ou potentiel dans l'affaire Saunders c. La Reine, 1967 CanLII 56 (S.C.C.), [1967] R.C.S. 284, 290 et dans l'affaire Toews (précitée, p. 126) où la Cour mentionnait plus précisément :

« Même si une personne n'a pas l'intention immédiate de le mettre (le véhicule) en mouvement, elle peut à tout instant décider de le faire parce que son jugement est si affaibli qu'elle ne peut prévoir les conséquences possibles de ses actes. »

[52] Dans l'arrêt Penno, 1990 CanLII 88 (C.S.C.), [1990] 2 R.C.S. 865, 877 à 885, le juge Lamer mentionnait :

« […] lorsque l'utilisation du véhicule à moteur ne comporte aucun risque de le mettre en marche ou de le rendre dangereux, les cours de justice devraient conclure qu'il y a absence d'actus reus. »

[53] Cette notion de risque pour le public a été reprise maintes fois par la Cour d'appel du Québec (référenes omises). Elle a été retenue à la récente décision de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick, Mallery, précitée, par. 51 et 52).

[54] Dans l'arrêt Drakes, Monsieur le juge Fish mentionnait :

« … The offence is complete if, with an excessive blood-alcohol level, the accused is shown to have been involved in « some course of conduct associated with the vehicle which would involve a risk of putting the vehicle in motion so that it could become dangerous » … »

[55] Dans l'arrêt Hamel, Monsieur le juge Proulx tirait des arrêts Toews (précité) et Thomson, (1940) 75 C.C.C. 141 le postulat suivant :

« Une personne qui se trouve dans une voiture et a à sa portée les moyens de la mettre en marche en a le contrôle. »

[56] Plus particulièrement dans l'affaire Olivier, précitée, la Cour d'appel mentionnait :

« La proposition de l'appelante suivant laquelle le fait pour un conducteur d'être assis derrière le volant d'une voiture, avec la clé dans le contact, entraîne nécessairement la conclusion que le conducteur a le contrôle de la voiture est trop absolu: dans la très grande majorité des situations on pourra conclure que c'est le cas, mais, devant un jeu de circonstances donné, le tribunal pourra, sans errer en droit, conclure que ce n'est pas le cas. »

[57] La Cour d'appel du Nouveau-Brunswick a ainsi cerné cette notion de risque potentiel dans R. c. Clarke, (1997) 27 M.V.R. (3d) 91, 95-96 :

« There is no necessity of proving that the offender was posing an immediate danger to the public in order to find him guilty. It is the possibility that the vehicle may be in motion, intentionally or unintentionnally, by a person who is intoxicated, that poses a problem for the public safety. »

[58] Cette citation a été retenue de façon déterminante par la Cour d'appel du Québec dans la décision Sergerie (précitée).

[59] Madame la juge Côté de la Cour d'appel a retenu cette notion de possibilité de danger dans la décision Miron c. La Reine, REJB 2007-127610, par. 4.

[60] Dans R. c. Lockerby, (1999) 42 M.V.R. (3d) 54, 59, la Cour d'appel de Nouvelle-Écosse se prononçait sur ce point comme suit :

« When a person with more than the legal limit of alcohol in his or her blood has the present ability to make the car respond to his or her wish, there is a risk that the car may be placed in motion, even when the person's intentions are not to do so. »

[61] Le risque de danger ne se limite pas au risque immédiat. Il inclut le risque potentiel que le véhicule soit mis en mouvement accidentellement, non intentionnellement ou encore que l'accusé change d'avis (références omises).

[62] L'état d'intoxication de l'accusé participe à l'évaluation du risque (références omises).

[63] La possession des clefs n'est pas un facteur absolu et nécessairement déterminant, bien que l'absence des clefs puisse soulever un doute raisonnable quant au risque de danger (Hamel, précitée; Paradis c. La Reine, J.E. 2007-548 (C.A.)). Ainsi, plusieurs décisions ont conclu à la culpabilité de l'accusé alors que les clefs n'étaient pas dans le contact, lorsque l'accusé occupait le siège du conducteur (Rioux, précitée; R. c. MacInnis, (1982) 16 M.V.R. 70 (S.C. I.P.E.); R. c. Pilon, (1999) 39 M.V.R. (3d) 1 (C.A. Ont.)).

[64] Plus particulièrement dans l'affaire Rioux (précitée), Madame la juge Thibault de la Cour d'appel s'exprimait comme suit :

« […]

[47] En l'espèce, la preuve a établi que l'intimé était assis derrière le volant de son véhicule et qu'il présentait un taux d'alcoolémie supérieur à celui permis par la loi. De plus, même si les clés n'étaient pas dans le véhicule, elles étaient facilement accessibles et l'intimé pouvait les reprendre à son gré.

[48] La défense de l'intimé a consisté à démontrer qu'il n'était pas de son intention de mettre le véhicule en marche. À cet égard, il a déclaré qu'il voulait attendre jusqu'au lendemain après-midi ou encore jusqu'au moment où son état le lui permettrait avant de quitter les lieux:

[…]

[49] Manifestement, l'explication donnée par l'intimé n'a pas convaincu le premier juge de l'inexistence du danger qu'il remette le véhicule en marche. Pour ce dernier, l'astuce à laquelle l'intimé a eu recours en déposant ses clés en dehors du véhicule n'était pas de nature à enrayer le danger qu'il le mette en marche.

[…]

[50] Comme la Cour suprême l'énonce dans Toews, la question de savoir si les actes de garde ou de contrôle ou une conduite quelconque d'un accusé à l'égard du véhicule comportent le risque de le remettre en mouvement repose sur l'analyse de la preuve:

Il y a, bien sûr, d'autres précédents qui portent sur la question. Cependant, la jurisprudence citée illustre le point et amène à conclure que les actes de garde ou de contrôle, hormis l'acte de conduire, sont des actes qui comportent une certaine utilisation du véhicule ou de ses accessoires, ou une conduite quelconque à l'égard du véhicule qui comporterait le risque de le mettre en mouvement de sorte qu'il puisse devenir dangereux. Chaque affaire sera décidée en fonction de ses propres faits et les circonstances où l'on pourra conclure qu'il y a des actes de garde ou de contrôle varieront beaucoup. […]

[51] À mon avis, le juge du procès a appliqué judicieusement les principes énoncés par la Cour suprême à l'égard de l'infraction en cause. Conformément à ces enseignements, il s'est rattaché aux faits qui démontraient l'existence d'un danger que l'intimé mette son véhicule en marche. Même si ce dernier n'avait pas les clés du véhicule sur lui, celles-ci étaient tout de même à sa portée. Il avait donc les moyens de mettre son véhicule en marche alors que ses facultés étaient toujours affaiblies par l'alcool.

[…] »

[65] Il faut noter que l’intention de mettre le véhicule en mouvement n’est pas pertinente en matière de preuve directe d’actes de garde et de contrôle (références omises). La preuve de l’intention de mettre le véhicule en marche devrait mener à la conclusion qu’un risque de danger existait (Mallery, précitée, par. 52). L'intention requise en matière de garde et contrôle est celle d'assumer la garde et contrôle du véhicule après avoir volontairement consommé de l'alcool ou des drogues, selon le courant dominant de jurisprudence (références omises). Pour d'autres juges, l'élément moral de l'infraction repose sur l'intoxication volontaire (Penno, précitée, p. 890, 896 et 904).

[66] Dans l'arrêt Hamel, Monsieur le juge Proulx écrivait :

« Il n'est pas requis que cette personne ait l'intention immédiate de mettre le véhicule en marche puisque la disposition vise à empêcher qu'une personne en état d'ébriété et qui est en présence immédiate d'un véhicule et qui a les moyens de le contrôler ou de le mettre en mouvement, ne devienne un danger pour le public. »

[67] Dans la décision Rousseau, la Cour d'appel s'exprimait comme suit quant à la notion de garde et contrôle, sous la plume de l'honorable juge Letarte :

« La garde ou le contrôle d’un véhicule automobile est l’exercice de fait d’une prérogative de droit. C’est l’utilisation d’un véhicule ou ses accessoires de la façon qu’en autorise la propriété ou la possession. L’élément de risque ou de danger public qui s’infère des articles pertinents du Code criminel résulte de la coexistence de deux facteurs : les facultés affectées par l’alcool ou la drogue et le fait que, consciemment, l’accusé se place dans une situation susceptible de devenir dangereuse. »

[69] Chaque cas est un cas d’espèce où ces principes doivent être appliqués en fonction des faits propres à l’affaire (références omises)

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