R. c. Fournier, 1987 CanLII 802 (QC C.A.)
Lorsqu'elle entend se servir d'une déclaration de l'accusé, la Couronne, comme on le sait, assume l'obligation de démontrer hors de tout doute raisonnable son caractère libre et volontaire (R. c. Erven, 1978, 1 R.C.S. 26; Park c. R., 1981, 2 R.C.S. 64, p. 66, m. le juge Dickson; Kaufman, The Admissibility of confessions, 3e ed., pp. 21-22). La détermination de ce caractère volontaire pose au juge du procès un problème d'évaluation des faits (voir Park c. R., loc.cit.p. 70, m. le juge Dickson; R. c. Settee, 1974, 229 C.R.N.S. 104, p. 117, m. le juge en chef Culliton. Le juge devra pour apprécier l'ensemble des circonstances de l'affaire et à partir de celles-ci, évaluer si la Couronne a démontré à sa satisfaction et au-delà d'un doute raisonnable que la déclaration a été obtenue librement et sans utilisation de moyens ou d'influence indus, comme la violence, les sévices les pressions ou les promesses d'avantages.
Afin que le juge du procès remplisse adéquatement son rôle et puisse vérifier effectivement le caractère volontaire de la déclaration, conformément aux exigences du droit de la preuve pénale, la jurisprudence a imposé à la Couronne une règle d'information complète sur les circonstances de la déclaration. Cette règle se trouve exprimée en droit canadien, par le juge en chef Anglin, dans l'arrêt Sankey c. R., 1927, R.C.S. 436, pp. 440 et 441:
"We feel, however, that we should not part from this case without expressing our view that the proof of the voluntary character of the accused's statement to the police, which was put in evidence against him, is most unsatisfactory. That statement, put in writing by the police officer, was obtained only upon a fourth questioning to which the accused was subjected on the day following his arrest. Three previous attemps to lead him to "talk" had apparently proved abortive - why we are left to surmise. The accused, a young Indian, could neither read or write. No particulars are vouchsafed as to what transpired at any of the three previous "interviews; and but meagre details are given of the process by which the writen statement ultimately signed by the appellant was obtained. We think that the police officer who obtained that statement should have fully disclosed all that took place on each of the occasions when he "interviewed" the prisoner; and, if another policeman was present, as the detendant swore at the trial, his evidence adduced before the statement was received in evidence. With all the facts before him, the Judge should form his own opinion that the tendered statement was indeed free and voluntary as the basis for its admission rather than accept the mere opinion of the police officer, who had obtained it, that it was made "voluntary" and "freely"."
Quelques années plus tard, un autre arrêt de la Cour suprême du Canada reprenait cette règle, l'assortissant d'une réserve, soit l'obligation de produire tout témoin de la déclaration, sauf explication raisonnable quant à son absence (Thiffault c. R., 1933, R.C.S. 509, p. 515):
"Where such a statement is elicited in the presence of several officers, the statement ought, as a rule, not to be admittted unless (in the absence of some adequate explanation of their absence) those who were present are produced by the Crown as witnesses, at least for cross-examination on behalf of the accused; and, where the statement professes to give the substance of a report of oral answers given by the accused to interrogatories, without reproducing the questions, then the written report ought not to be admitted in evidence unless the person who is responsible for its compilation is (here again in the absence of some adequate explanation of his absence) called as a witness."
Cette règle jurisprudentielle impose l'exclusion de la déclaration lorsque la Couronne, par négligence ou mauvaise foi, dissimule ou écarte un témoin. Le juge du procès ne peut remplir sa fonction de vérification et la défense est privée de ses droits au contre-interrogatoire, le cas échéant. Si elle crée l'obligation de produire tout témoin utile quant à la vérification du caractère volontaire de la déclaration, la jurisprudence n'introduit pas, cependant, une nouvelle règle d'irrecevabilité de la déclaration chaque fois qu'un témoin est absent ou ne peut rendre son témoignage. L'arrêt de notre Cour, Caron c. La Reine, 1979, C.A. 429, n'a pas, sur ce point, la portée que lui prête le premier juge. Il retenait la règle dégagée par l'arrêt Thiffault, imposant la production de tout témoin utile, mais permettant à la Couronne d'expliquer le motif de son absence:
"En matière de voir-dire, quant à l'admissibilité d'une déclaration faite hors cour par un accusé, il incombe à la Couronne d'établir que la déclaration a été libre et volontaire. Cette preuve comporte l'interrogatoire, dans la mesure du possible, de toutes les personnes en autorité qui ont pu être en mesure d'écouter l'accusé faire la déclaration, sauf dispense de la part de la défense." (Caron c. R., loc.cit. monsieur le juge Bernier, p. 432).
Dans l'affaire Caron, notre Cour reprochait au juge de première instance d'avoir empêché l'interrogatoire témoins qui auraient joué un rôle actif dans l'obtention de la déclaration. Elle réservait toutefois la possibilité de donner une raison valable de l'absence, comme l'indique une note à l'opinion de monsieur le juge Bernier (voir loc.cit. p. 432, note 6; voir aussi: Kaufman, The Admissibily of confessions, 3 ed, pp. 38 à 40, 3d supplement, pp. 15 à 19). Notre Cour avait donc écarté la déclaration de l'appelante Caron en employant le langage suivant:
"Dans le présent cas, la Couronne, par suite de l'intervention du premier juge, a fait défaut de faire entendre toutes les personnes en autorité qui auraient pu faire des pressions indus sur l'appelante. C'est à mon avis un vice fatal qui invalide le voir-dire et partant en l'espèce le procès..." (loc.cit. p. 432, monsieur le juge Bernier)
Ce passage doit être lu en relation avec l'ensemble de l'opinion de monsieur le juge Bernier et du jugement de la Cour. Il n'établit pas le principe de droit qu'invoque le jugement attaqué. Il exprime plutôt la règle jurisprudentielle traditionnelle qui laisse le juge apprécier la valeur de la preuve qui lui est offerte. L'absence d'un témoin peut s'expliquer: le juge appréciera alors son effet sur l'ensemble de la preuve. Il lui appartiendra de déterminer s'il reste assez de preuve pour qu'il soit capable de se satisfaire du caractère volontaire de la déclaration. Celle-ci ne doit être exclue, par principe, que si un témoin, tel que mentionné plus haut, n'est pas produit par la Couronne volontairement, par négligence ou sans motif. Le risque de porter atteinte à l'intégrité du procès pénal et aux droits de l'accusé et de le contre-interroger valablement, justifiera semblable conclusion. Lorsque ce principe n'est pas en jeu, le problème se réduit, cependant, à une question d'évaluation de la preuve que le juge pèsera au terme du voir-dire.
Ce principe ressort de la jurisprudence qui a appliqué l'arrêt Thiffault. Comme l'indiquent quelques exemples, les tribunaux dispensent en effet la Couronne de la production d'un témoin sans utilité, comme ce policier qui n'avait pas assisté à la prise d'une première déclaration non-utilisée (voir R. c. Tonnancourt, 1956, 24 C.R. 19). Aussi, dans R. c. Kacherowski, 1937, C.C.C. 2d, p. 257, la Cour d'Appel de l'Alberta ne jugea pas nécessaire de faire entendre un policier qui avait assisté à la prise d'une déclaration. La Cour appliquait à nouveau les critères exposés dans l'arrêt Thiffault. À l'inverse, dans l'ar- R. c. Botfield, 1973, 28 C.C.C., 2d, 477, la déclaration était rejetée parce que l'on n'avait pas produit, au voir-dire, un policier malade. À la lecture de ce jugement, l'on constate, cependant, que le témoin produit par la poursuite n'avait pas assisté à une partie de l'entrevue entre le policier qui avait recueilli la déclaration et l'accusé. L'on se trouvait donc devant une absence de preuve à l'égard d'au moins une partie importante des circonstances de la réception de la déclaration.
À cause du fardeau imposé à la Couronne, la déclaration devait alors être rejetée. Une semblable conclusion a été adoptée en raison du défaut de faire entendre les policiers présents avec l'accusé pendant une perquisition (R. c. Woodward, 1975, 23 C.C.C., 2d, 568, Cour d'Appel de l'Ontario). Ces témoins étaient en effet importants en raison de leur rôle dans la prise de déclaration. Leur absence n'était pas alors justifiée.
Même justifiée, l'absence ou l'incapacité d'un témoin peut laisser la preuve incomplète, ne permettant pas ainsi au juge d'évaluer le caractère volontaire de la déclaration conformément à la règle du doute raisonnable. L'absence peut alors rendre la preuve insuffisante, mais non pas irrévocable. La jurisprudence n'oblige pas un juge à appliquer, dans tous ces cas, une règle d'exclusion automatique de la déclaration mais, en définitive, elle leur demande de peser l'effet de l'absence du témoignage sur la qualité de la preuve offerte.
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