vendredi 10 mai 2013

Le droit applicable aux délais pré-inculpatoires

Huot c. R., 2011 QCCQ 6860 (CanLII)

Lien vers la décision

[42] C’est dans la décision de Kalanj, qu’on a demandé à la Cour suprême de se prononcer sur la question de savoir à quel moment l’accusé devient inculpé au sens de l’article 11 de la Charte. Le juge McIntyre avec ses collègues, les juges La Forest et L’Heureux-Dubé, concluent qu’il y a inculpation au moment du dépôt de la dénonciation. De plus, le juge McIntyre déclare ce qui suit, quant à l’application des articles 7 à 13 de la Charte :

« Le texte de la Charte de même que son régime et son économie étayent cette interprétation. L'article 11 est l'un des huit articles figurant sous la rubrique "Garanties juridiques". L'article 7 garantit le "droit [général] à la vie, à liberté et à la sécurité de sa personne" en plus d'affirmer qu'il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale". Cet article s'applique à toutes les étapes du processus d'enquête et du processus judiciaire. Les articles 8 et 9 garantissent des droits particulièrement importants à l'étape de l'enquête, c'est-à-dire celle antérieure à l'accusation, tout comme le fait l'art. 10 qui a trait aux droits que possède une personne en cas d'arrestation. L'article 11 porte sur une étape ultérieure des procédures, savoir l'initiation de procédures judiciaires par voie d'accusation. Les articles12 et 13 ont trait à des questions ultérieures au procès alors que l'art. 14 traite de questions liées au déroulement du procès lui-même ».
[43] Ainsi, selon Kalanj, l’article 7 de la Charte s’applique à toutes les étapes du processus d’enquête et du processus judiciaire.

[44] Le juge McIntyre ajoute ce qui suit quant aux périodes du processus judiciaire couvertes par les articles 7 et 11 b).

« […] L’objet de l'al. 11b) est clair. Il vise le délai écoulé entre le dépôt de l'accusation et la fin du procès et il prévoit qu'une personne inculpée sera promptement jugée.

La durée du délai antérieur à la dénonciation ou de l'enquête est totalement imprévisible. Il n'est pas facile de faire une évaluation raisonnable de ce qu'est un délai raisonnable. Les circonstances diffèrent d'un cas à l'autre et beaucoup de renseignements recueillis au cours d'une enquête doivent, en raison de leur nature même, demeurer confidentiels. Le tribunal sera rarement, sinon jamais, en mesure de prescrire de manière réaliste un délai pour enquêter sur une infraction donnée. Il est remarquable que, sous réserve de quelques exceptions restreintes prévues dans les lois, le droit n'a jamais reconnu de délai de prescription pour l'initiation de procédures criminelles. Cependant, quand l'enquête révèle des éléments de preuve qui justifieraient le dépôt d'une dénonciation, il devient alors possible pour la première fois d'évaluer quel serait le délai raisonnable dans lequel la question devrait être tranchée à l'issue d'un procès. C'est pour ce motif que l'application de l'art. 11 se limite à la période postérieure au dépôt de la dénonciation. Avant le dépôt de l'accusation, les droits de l'accusé sont protégés par le droit en général et garantis par les art. 7, 8, 9 et 10 de la Charte. » Ce sont nos soulignés.

[45] Le juge Richard Laflamme dans la décision de Alain Roy c. La Reine, traite des principes applicables pour l’analyse des délais pré-inculpatoires et post-inculpatoires. Dans cette cause, le juge Laflamme était saisi d’une requête en exclusion de la preuve basée sur les articles 7 et 11 b) de la Charte. L’accusé alléguait l’abus de procédures.

[46] Le juge Laflamme résume aux paragraphes 16 et suivants de son jugement, le droit applicable aux délais pré-inculpatoires.

« [16] La Cour d'appel a récemment réitéré ces principes dans l'arrêt Papatie où elle ajoute :

La Cour suprême a établi que lorsqu'un accusé invoque les articles 7 et 11 b) de la Charte, à l'étape du délai pré-inculpatoire, il a le fardeau de démontrer qu'il a subi un préjudice réel relativement à l'équité de son procès ou à son droit à une défense pleine et entière. L'équité du procès n'est pas automatiquement compromise par un long délai avant le dépôt de l'acte d'accusation².

[17] Dans cette affaire la Cour d'appel a conclu à l'absence de préjudice portant atteinte à l'équité du procès malgré un délai pré-inculpatoire de 22 mois.

[18] Dans R. c. Lepage, la Cour d'appel rappelle que l'accusé doit établir le préjudice réel dû à ce délai.

[19] La Cour suprême dans R. c. L. (W.K.)4 a déterminé que ce n'est pas la durée du délai qui importe, mais plutôt l'effet de ce délai sur l'équité du procès. Mettre fin aux procédures simplement en raison du temps écoulé équivaudrait à imposer une prescription de création judiciaire. Pour apprécier l'équité d'un procès, le juge d'instance doit évaluer les considérations et les circonstances propres à l'espèce.

[20] Quant au retard à poursuivre, le juge Stevenson précise ce qui suit :

Le retard à accuser et à poursuivre une personne ne peut, en l'absence d'autres facteurs, justifier l'arrêt des procédures au motif qu'elles constitueraient un abus de procédure selon la common law. Dans l'arrêt Rourke c. La Reine, 1977 CanLII 191 (CSC), [1978] 1 R.C.S. 1021, le juge en chef Laskin (avec l'accord de la majorité sur ce point) a dit ce qui suit, aux pp. 1040 et 1041:

En l'absence de toute prétention que le retard mis à arrêter l'accusé avait quelque but caché, les tribunaux ne sont pas en mesure de dire à la police qu'elle n'a pas enquêté avec assez de diligence et ensuite, comme sanction, de suspendre les procédures quand la poursuite est engagée. Le délai qui s'écoule entre la perpétration d'une infraction et la mise en accusation d'un prévenu à la suite de son arrestation ne peut pas être contrôlé par les tribunaux en imposant des normes strictes aux enquêtes. Preuves et témoins peuvent disparaître à brève comme à longue échéance; de même, on peut avoir à rechercher le prévenu plus ou moins longtemps. Sous réserve des contrôles prescrits par le Code criminel, les poursuites engagées longtemps après la perpétration alléguée d'une infraction doivent suivre leur cours et être traitées par les tribunaux selon la preuve fournie, preuve dont le bien fondé et la crédibilité doivent être évalués par les juges. La Cour peut demander une explication sur tout retard fâcheux de la poursuite et être ainsi en mesure d'évaluer le poids de certains éléments de la preuve. »

[47] En résumé, l’accusé a le fardeau de démontrer qu’il a subi un préjudice réel relativement à l’équité de son procès ou à son droit à une défense pleine et entière. Le préjudice doit être dû au délai, et ce n’est pas la durée de ce délai qui prime mais son effet sur l’équité du procès.

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