R. c. Chrétien, 1988 CanLII 562 (QC CA)
Un fonctionnaire qui reçoit un cadeau relativement aux devoirs de sa charge sans aucune contrepartie pour le donateur ou ses représentants et sans préjudice pour le public peut-il être trouvé coupable d'une accusation portée en vertu de l'article 111 du Code criminel ?
Au terme d'une analyse de la jurisprudence, le juge conclut que non. Je ne puis, non sans égards, partager son avis.
(...)
Mais, en revanche, le juge Lamer n'est guère équivoque: (p.419)
Il n'est aucunement nécessaire pour qu'une infraction soit commise en vertu de l'article 111 duCode criminel que l'accusé ait agi malhonnêtement, de façon corrompue ou encore qu'il ait posé un geste illégal. Ce sont là des conditions de fond d'infractions que l'on retrouve ailleurs au Code dont, à titre d'exemple, aux articles 108 et 109 du Code criminel où on prévoit que l'accusé doit avoir agi "par corruption". Ces crimes sont d'ailleurs punis de façon beaucoup plus sévère.
L'infraction prévue à l'article 111 du Code criminel est, à quelques nuances près, la codification des crimes de Common Law connus sous le nom de "misbehaviour" et de "misfeasance in public office".
Russell en disait ceci:
Misbehaviour in office is an indictable offence at common law and it is not essential that pecuniary damage should have resulted to the public by reason of such irregular conduct, nor that the defendant should have acted from corrupt motives.
En 1893, le juge Boyd de la Cour du Banc de la Reine, Chancery Division d'Ontario, dans la cause de R. c. Arnoldi, commentant ce crime de Common Law, disait, avec l'accord de ses collègues de la Cour:
The gravity of the matter is not so much in its merely profitable aspect as in the misuse of power entrusted to the defendant for the public benefit, for the furtherance of personal ends. Public example requires the infliction of punishment when public confidence has thus been abused, and my judgment is, that the conviction should be sustained.
Plus tard, en 1967, la Cour d'Appel d'Ontario commentant cette infraction dans sa forme codifiée conférait aux mots "abus de confiance" que l'on retrouve au texte d'incrimination une portée assez large pour correspondre à ce crime de Common Law de "misbehaviour in public office" dont Lord Mansfield, dans la cause de R. c. Bembridge en 1783, disait ceci:
(références omises)
Here there are two principles applicable: first, that a man accepting an office of trust concerning the public, especially if attended with profit, is answerable criminally to the King for misbehaviour in his office; this is true, by whomever and in whatever the way the officer is appointed. In Vidian (Vidian's Entries, p. 213) there is a precedent of an indictment against the custos brevium for losing a record. Secondly, where there is a breach of trust, fraud, or imposition, in a matter concerning the public, though as between individuals it would only be actionable, yet as between the King and the subject it is indictable. That such should be the rule is essential to the existence of the country.
À mon avis, le fait qu'un fonctionnaire accepte des sommes d'argent autres que ses émoluments officiels, pour offrir à celui qui les lui donne un meilleur service que celui dont bénéficieront tous autres qui, à juste titre, se croient justifiés de ne payer que leurs impôts et leurs taxes constitue de l'inconduite dans l'exécution de ses fonctions au sens que l'entendait le Common Law et, partant, est "un abus de confiance" au sens de l'article 111 du Code criminel.
D'ailleurs, les tentatives par l'appelant de camoufler ces cadeaux en disent long sur l'opinion qu'il pouvait avoir lui-même de cette pratique.
Mon collègue, monsieur le juge Kaufman, commentant l'argument de l'appelant à l'effet que personne n'ait subi de préjudice du fait de la conduite de l'appelant, soulignait qu'effectivement "les autres" ont été moins bien servis que l'urbaniste Roger Gagnon. Je crois opportun d'ajouter que, de toute façon, le Législateur en 1954 apporta au texte d'incrimination des modifications, dont entre autres l'élimination du membre de phrase "quelque fraude ou abus de confiance affectant le public" des mots "affectant le public".
Saisi du pourvoi contre cet arrêt de notre Cour, la Cour Suprême du Canada l'a laconiquement confirmé se déclarant à l'unanimité d'accord avec les motifs prononcés par les juges Kaufman et Lamer.
(...)
À vrai dire le propos de M. le juge Lamer me parait laisser la porte large ouverte à moins voire à beaucoup moins. La définition que RUSSELL donne de misbehaviour in office que M. le juge Lamer prend à son compte me semble, sur la question, fort éloquente. De même que l'extrait de l'arrêt ARNOLDI de la Chancery Division de la Cour du Banc de la Reine d'Ontario.
(...)
En l'espèce, j'estime que la conduite de l'accusé ici intimé constitue un breach of the appropriate standard of...conduct demanded of the accused by the nature of his office... . Ce faisant je ne remets pas en question les conclusions de faits du premier juge à savoir que le cadeau n'a eu aucune contre-partie qu'on sache. Mais je ne remets pas non plus en question la conclusion de faits que l'accusé était le surintendant des travaux publics et en charge de la surveillance de ces travaux; non plus que le cadeau fut relativement aux devoirs de sa charge. Le fait pour lui d'accepter un cadeau et un cadeau substantiel d'un entrepreneur dont il avait la charge de surveiller les travaux et, qui plus est, un cadeau directement relié à ces mêmes travaux me parait être en soi un breach of the appropriate standard of conduct qu'interdit l'article 111 du Code criminel. Ce geste implique nécessairement à tout le moins une équivoque sérieuse quant à l'exécution fidèle des fonctions du surintendant des travaux publics et est susceptible de jeter un discrédit sur l'administration de la Ville. Cela suffit, je pense, pour conclure à une contravention des normes acceptables de conduite de la part d'un fonctionnaire.
Je n'écarte pas pour autant la possibilité qu'en certains cas, très exceptionnels, l'acceptation par un fonctionnaire d'un cadeau qui ne soit pas relativement aux devoirs de sa charge, puisse ne pas constituer une contravention à l'article 111. Je dis très exceptionnel et rien de plus, ne serait-ce que pour ne pas prétendre régler, sans exception possible, tous les cas qui pourraient survenir.
(référence omise)
S'agit-il possiblement ici de l'un de ces cas auquel le premier juge, vu ses motifs de droit, ne se serait pas arrêté ? Si oui, il faudrait, comme dans l'affaire CAMPBELL, retourner l'affaire en Cour d'instance. Mais, je le rappelle, le premier juge a retenu: aucun témoin n'a établi de quelque façon que ce soit le motif de ce don et force nous est donc, une fois constatée son erreur de droit, de conclure à la culpabilité de l'accusé.
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