L’incidence de la preuve par enregistrement vidéo sur le processus judiciaire est sans précédent. Lorsqu’ils sont confrontés à un enregistrement vidéo des actes qui leur sont imputés, de nombreux accusés renoncent à plaider non coupables et passent aux aveux. Une preuve vidéo n’est toutefois pas infaillible. Même une vidéo claire, convenablement authentifiée et accompagnée d’une documentation complète peut être jugée inadmissible dans un tribunal canadien.
Par James Careless
Peu importe combien elle est solide, une preuve vidéo est inadmissible si sa pertinence à l’affaire en cause ne peut pas être démontrée. « Par exemple, une vidéo d’un marteau maculé de sang séché et de cheveux n’est pas pertinente si elle ne peut pas être reliée au meurtre », explique l’avocat Elliott Goldstein de Woodbridge (Ontario). Il est un expert reconnu de la preuve vidéo qui donne des cours au Collège de police de l’Ontario, et l’auteur de l’ouvrage en deux volumes Visual Evidence: A Practitioner’s Manual. « Cependant, ajoute-t-il, il est pertinent de montrer la vidéo de ce marteau et du crâne de la victime en démontrant que le marteau s’insère dans le crâne endommagé de la victime. »
La règle à respecter est de ne pas laisser la qualité ou les implications apparentes ou imaginaires d’une vidéo occulter son jugement. Pour qu’une preuve vidéo soit admise en cour, « sa pertinence doit être démontrée », affirme le procureur de la Couronne de l’Alberta Jonathan W. Hak, c.r.
Authenticité incontestée
Aujourd’hui, un enregistrement vidéo peut être manipulé de façon à changer la chronologie des événements y figurant, fausser l’écoulement du temps et montrer des événements hors séquence et hors contexte. L’enregistrement numérique, qui suppose habituellement une « compression » des données vidéo visant à minimiser l’espace occupé sur disque dur, peut mener à une perte de données et compromettre la qualité des images. Si la chaîne de possession ne peut pas être prouvée (faute d’une documentation adéquate), la preuve vidéo peut être rejetée par le tribunal.
« Avant, les images vidéo étaient enregistrées sur une bande, explique Elliott Goldstein. Au moment de les présenter en preuve, il n’y avait pas de problème : vous n’aviez qu’à apporter la bande d’origine au tribunal et la faire jouer pour le juge et le jury. Mais aujourd’hui, les images vidéo (de surveillance) sont généralement enregistrées sur des disques durs qui sont constamment effacés lorsque de nouvelles données arrivent. Ainsi, la preuve vidéo doit être copiée sur un DVD ou une bande magnétique, ce qui exige une méthode très rigoureuse, la constatation par des témoins et une documentation prouvant que la copie est un double exact de l’original. »
Jonathan Hak partage ces préoccupations : « La partie présentant une preuve vidéo doit préciser comment la vidéo a été enregistrée, comment le mode d’enregistrement a conditionné les images, la mesure dans laquelle l’exportation des données vidéo peut avoir compromis la fiabilité des images et la mesure dans laquelle toutes les images pertinentes de l’incident en cause ont été saisies. La preuve vidéo doit être authentifiée pour que le tribunal l’accepte. L’authentification peut être assurée par des témoins connaissant le contenu vidéo – par exemple la personne qui a capturé les images – ou par des moyens techniques démontrant que les images n’ont subi aucune modification inappropriée. C’est ce qui est nécessaire aussi bien selon la Loi sur la preuve au Canada et selon la common law.
Élément probant ou préjudiciable
Gene Henderson travaille depuis longtemps comme vidéographe de scènes du crime pour les services de la sécurité publique du Texas. Il a établi une documentation sur la ferme des davidiens à Waco où ont péri 76 personnes, dont 20 enfants et deux femmes enceintes. Même dans cet horrible carnage, il a filmé une vidéo méthodique et factuelle, sans sensationnalisme. « Je n’essaie pas de produire un effet avec mes images sinon l’effet réel de ce qui est filmé », dit-il.
Il y a une très bonne raison pour laquelle Gene Henderson et d’autres vidéographes de scènes du crime résistent à la tentation d’impressionner la galerie : ils savent que si leurs images sont trop choquantes, le juge les déclarera préjudiciables et ne les admettra pas en preuve.
« La clé consiste à trouver l’équilibre entre valeur probante et effet préjudiciable, selon Elliott Goldstein. Si la vidéo est trop lugubre, même si elle représente fidèlement le lieu du crime, le juge peut l’exclure au motif qu’elle serait trop préjudiciable. En effet, le caractère explicite d’une vidéo influe sur les émotions des jurés, suscite la sympathie et les passions, et fausse les impressions, soit exactement ce que le juge tente d’éviter. »
Mais certains lieux du crime sont inévitablement et foncièrement macabres. Leurs images ne peuvent pas être aseptisées pour épargner les sentiments du jury, sans risquer de fausser la preuve. Comment faut-il concilier les points de vue de la poursuite et de la défense? « Le critère déterminant de l’admissibilité est que la valeur probante doit surpasser l’effet préjudiciable, affirme Jonathan Hak. Dans ce contexte, “préjudiciable” s’entend d’un élément de preuve qui peut injustement compromettre l’accusé ou qui peut être mal utilisé par le juge des faits. Une preuve vidéo qui présente des images dures n’est pas exclue uniquement à ce motif. Tout dépend des enjeux de la cause et du but dans lequel la preuve vidéo est présentée. »
Avantages et inconvénients de l’amélioration des images
Les policiers parlent d’un « effet CSI » : certains juges et certains jurés s’attendent à ce que des images vidéo embrouillées puissent être améliorées jusqu’à révéler les plus menus détails – comme le font les « détectives de Hollywood » (ainsi que les appelle Elliott Goldstein) dans l’émission télévisée CSI: Crime Scene Investigation..
La réalité est toute différente. Il est certes possible de faire ressortir des détails en modulant la clarté, le contraste et la couleur d’images vidéo grâce à des logiciels comme dTective d’Ocean Systems. Ce logiciel peut aussi supprimer le bruit vidéo et la granulation pour dégager des détails sous-jacents. Mais guère plus.La clé consiste à trouver l’équilibre entre valeur probante et effet préjudiciable.
— Elliott Goldstein, avocat et auteur
Une telle « amélioration » comporte toutefois un risque. Plus vous améliorez une vidéo, plus l’admissibilité du produit final peut être contestée en cour au motif que les images ont été altérées et ne sont plus exactes ou équitables.
« J’y vois une situation avant-après, affirme Elliott Goldstein. Vous devez produire au tribunal à la fois la vidéo originale non améliorée (la source) – l’“avant” – et la version améliorée (modifiée) – l’“après” – de sorte que le juge et le jury puissent voir ce que vous avez fait et entendre vos explications. Cette façon de procéder peut parer à une opposition de l’avocat adverse. »
Elliott Goldstein ajoute que « toute méthode défendable utilisée pour obtenir et préserver une preuve vidéo numérisée doit répondre aux questions suivantes :
Goldstein adds, “any defensible procedure for documenting and preserving digital video evidence must answer with these questions:
- Qui a capturé les images, et quand?
- Qui a eu accès aux images entre le moment où elles ont été capturées et le moment où elles ont été présentées au tribunal?
- Les images originales ont-elles été modifiées après qu’elles ont été capturées?
- Qui a amélioré les images, quand et pourquoi?
- Quelle est la méthode utilisée pour améliorer les images, et peut-elle être reproduite?
- Les images améliorées ont-elles été modifiées après qu’elles ont été améliorées? »
Expert video witnesses
Il ne suffit pas d’apporter une preuve vidéo au tribunal, de la projeter et de supposer que le jury comprendra parfaitement ce qu’il voit. Pour assurer la compréhension, vous devez faire expliquer la vidéo par un ou plusieurs témoins experts compétents.
« Si une preuve vidéo est présentée sans interprétation par un expert, il y a un risque qu’elle ne mène pas aux bonnes conclusions, voire qu’elle mène à de mauvaises conclusions, estime Jonathan Hak. L’analyse et l’interprétation de l’expert aideront à comprendre l’incidence d’aspects techniques et pratiques comme les prises de vues multiples, les images/seconde, le format, la compression, le suivi de personnes, de véhicules ou d’objets, et la synchronisation entre l’audio et les images vidéo. »
« Dans R. c. Nikolovski, la Cour suprême du Canada a reconnu et sanctionné l’analyse d’une preuve vidéo image par image, acceptant clairement que la simple projection d’une vidéo de surveillance ne permet pas de tirer tout le parti possible d’une telle preuve, ajoute-t-il. Un expert possédant la formation et la compétence voulues aura passé de nombreuses heures à examiner la preuve vidéo et peut aider le juge des faits à saisir non seulement la globalité des événements en cause, mais aussi les détails qui seraient autrement négligés ou mal compris. »
The bottom line
La preuve vidéo est comme de la nitroglycérine. Utilisée convenablement, elle peut démolir les arguments de la partie adverse. Sinon, elle peut vous exploser au visage.
C’est pourquoi, ceux qui présentent une preuve vidéo doivent faire preuve d’une prudence extrême. En même temps, ceux qui veulent s’opposer à une telle preuve doivent s’y prendre méticuleusement parce qu’il y a des moyens de contester légitimement une preuve vidéo au motif qu’elle n’est pas pertinente, pas exacte, pas équitable, pas authentifiée ou préjudiciable et donc qu’elle doit être rejetée.
James Careless est un rédacteur pigiste.