mardi 22 mai 2018

Il y a toujours la présomption de non‑culpabilité qui doit être réfutée

Schuldt c. La Reine, [1985] 2 RCS 592, 1985 CanLII 20 (CSC)

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35.              Dans l'arrêt Sunbeam, le juge Ritchie, commentant l'arrêt de la Chambre des lords Edwards (Inspector of Taxes) v. Bairstow[1956] A.C. 14, sur lequel s'était fondée la Cour d'appel dans l'affaire Sunbeam, écrit aux pp. 236 à 238:

                  [TRADUCTION]  Ayant lu les motifs de jugement de lord Radcliffe, je suis convaincu que, dans l'arrêt Bair­stow, la cour avait à décider si les faits constatés par les commissaires étaient de nature à rendre applicables au contribuable les dispositions de l'art. 237 de l'Income Tax Act, 1918, d'Angleterre, et que la question de droit tranchée par la Chambre des lords dans cette affaire était la suivante: "Quel sens faut‑il donner à l'expression "échange, manufacture, commerce ou entreprise de la nature d'un échange" employée dans l'Income Tax Act?" Je dois dire, avec égards, que cet arrêt ne me paraît pas appuyer la proposition suivant laquelle, dans l'appel d'un verdict d'acquittement interjeté en vertu de l'al. 584(1)a) du Code criminel, il s'agit d'une "question de droit seulement" chaque fois que le tribunal d'appel estime que la conclusion du juge du procès est déraisonnable et mal fondée compte tenu de la preuve.

                  Si l'expression "une question de droit seulement" qui figure dans cet alinéa devait être interprétée ainsi, elle aurait pour effet, à mon avis, non seulement de donner plus d'ampleur au droit du procureur général d'interjeter appel en vertu dudit alinéa, mais aussi d'élargir le sens de l'expression "une question de droit" employée dans d'autres articles du Code criminel relatifs aux appels non seulement devant la Cour d'appel, mais aussi devant cette Cour. Selon moi, pareille interprétation risquerait d'étendre au‑delà des restrictions expressément prévues par le Code criminel lui‑même l'étendue de la compétence d'appel conférée par le Code.

                  [...]

                   Le législateur a donc prévu trois motifs distincts sur lesquels une cour d'appel peut se fonder pour accueillir l'appel d'une déclaration de culpabilité. Parmi ces motifs figure celui‑là même qu'a retenu la Cour d'appel dans la présente affaire, savoir que "le verdict devrait être rejeté pour le motif qu'il est déraisonnable ou ne peut pas s'appuyer sur la preuve". Le fait que l'al. 592(1)a) reconnaît que ce motif est séparé et distinct du "motif [que le jugement] constitue une décision erronée sur une question de droit" me paraît prouver d'une manière incontestable que le législateur n'a pas voulu que l'expression "une question de droit" employée dans le Code englobe la question de savoir si le verdict rendu au procès était déraisonnable ou ne pouvait pas s'appuyer sur la preuve. Soulignons qu'ayant accordé à la cour d'appel compétence pour entendre les appels d'une déclaration de culpabilité pour le motif qu'il s'agit d'un verdict déraisonnable, le législateur ne lui a pas attribué cette même compétence à l'égard d'appels formés par le ministère public. Il est constant que la compétence d'appel doit être conférée expressément et, avec égards pour ceux qui peuvent être d'un autre avis, j'estime que la Cour d'appel a outrepassé sa compétence en accueillant l'appel pour un motif réservé aux appels d'une déclaration de culpabilité, qui ne saurait être invoqué dans le cas d'un appel par le procureur général.

36.              Ayant ces principes à l'esprit, le juge en chef Cartwright ajoute à la p. 381 de l'arrêt Lampard, précité:

                  [TRADUCTION]  Dans une affaire criminelle (sauf dans les rares cas où une disposition législative impose le fardeau de la preuve à l'accusé), on peut parfois dire en droit qu'il y a absence de preuve qui puisse permettre au tribunal de déclarer le prévenu coupable, mais on ne peut jamais dire qu'il y a absence de preuve qui lui permette de l'acquitter. Il y a toujours la présomption de non‑culpabilité qui doit être réfutée.

(C'est moi qui souligne.)

37.              Ce passage et la mention du fait que le fardeau de la preuve peut parfois incomber à l'accusé constituent, à mon avis, une adoption, par le juge en chef Cartwright, des principes énoncés par le juge Ritchie dans l'arrêt Sunbeam (aux motifs duquel il avait de toute façon souscrit), sous réserve toutefois de l'exception invoquée par le juge Spence et les juges formant la minorité dans leurs motifs de dissidence. En d'autres termes, en l'absence de transfert du fardeau de la preuve à l'accusé, il y a toujours quelque élément de preuve qui permet de tirer une conclusion de fait favorable à l'accusé et une telle conclusion, si elle est erronée, constitue une erreur de fait. Mais lorsqu'il y a eu transfert du fardeau de la preuve (comme pour la preuve de l'intention lorsqu'une personne est trouvée dans un endroit où elle s'est introduite par effraction), on peut dire qu'en l'absence d'éléments de preuve contraire, il n'y a aucune preuve pouvant justifier un doute raisonnable quant à l'intention de l'accusé et un appel de son acquittement soulève alors une question de droit seulement.

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