lundi 20 mai 2024

Résumé et cadre d’analyse pour le rejet sommaire

R. c. Haevischer, 2023 CSC 11

Lien vers la décision


[99]                          Bien que la norme de la « frivolité manifeste » en soit au cœur, le cadre d’analyse général pour le rejet sommaire exige une approche souple afin de permettre les différences entre les ressorts quant aux règles de procédure criminelle et de favoriser une approche pratique et axée sur les principes.

[100]                     Dans le cours normal d’un procès criminel, une partie dépose une requête sous‑jacente — qui peut prendre de nombreuses formes et couvrir une myriade de sujets — et la partie adverse peut répliquer en présentant une motion visant le rejet de cette requête. Cela crée un cadre d’analyse en deux volets, selon lequel les juges doivent (1) se prononcer sur la motion en rejet sommaire; et si elle est rejetée, (2) statuer sur le fond de la requête sous‑jacente.

[101]                     Les deux volets posent des questions différentes, et font intervenir des considérations distinctes de même que leurs propres normes juridiques. Au cours du premier volet, lorsque le juge statue sur la motion en rejet sommaire, la question est de savoir si, tenant pour avérés les faits et les inférences allégués, la partie réclamant le rejet sommaire a démontré que la requête sous‑jacente est manifestement frivole. Si l’affaire fait l’objet d’un voir‑dire, les juges doivent alors, pendant le deuxième volet, au terme du voir‑dire, trancher la question ultime de savoir si la requête sous‑jacente est accueillie ou rejetée sur le fond : le requérant s’est‑il acquitté du fardeau de preuve applicable et a‑t‑il établi les faits nécessaires pour répondre à chacune des exigences légales qui sous‑tendent la réparation demandée pour la requête en question?

[102]                     Toutefois, le lien entre ces volets va au‑delà de l’ordre dans lequel ils doivent être examinés car tout au long de l’analyse, les juges devront se demander comment exercer leur pouvoir discrétionnaire et leurs pouvoirs de gestion de l’instance de sorte que justice soit rendue dans les circonstances. Les juges sont maîtres de la salle d’audience et ne sont pas tenus d’instruire toutes les motions ou de tenir des types précis d’audience. Ils peuvent, par exemple, prescrire la façon dont les motions ou le voir‑dire seront instruits, particulièrement s’il convient de le faire sur la base d’un témoignage ou sous une autre forme; décider de l’ordre dans lequel les éléments de preuve sont présentés; restreindre un contre‑interrogatoire qui est indûment répétitif, sans queue ni tête, pointilleux, trompeur ou dépourvu de pertinence; imposer des limites raisonnables aux observations orales; ordonner des observations écrites; et différer des décisions (Samaniego, par. 22; Felderhof, par. 57). Les pouvoirs de gestion de l’instance comprennent aussi la faculté de réexaminer les décisions antérieures en matière de preuve ou de permettre la présentation de nouvelles requêtes en cours d’instance lorsque cela est dans l’intérêt de la justice (R. c. J.J.2022 CSC 28, par. 86). Une motion présentée par un avocat visant l’obtention de directives commande aussi un exercice des pouvoirs de gestion de l’instance (J.J., par. 103‑105).

[103]                     Indépendamment des normes juridiques distinctes appliquées lors des deux volets de ce processus, les juges devront se demander s’ils procéderont même à l’instruction d’une motion en rejet sommaire; de quelle façon la motion en rejet sommaire devrait être instruite; et de quelle façon un éventuel voir‑dire se déroulera. Il s’agit de décisions discrétionnaires prises en vertu de leurs pouvoirs de gestion de l’instance.

[104]                     Lorsqu’ils exercent leur pouvoir discrétionnaire quant à savoir s’ils instruiront la motion en rejet sommaire, les juges doivent tenir compte des conséquences et du contexte associés à la requête sous‑jacente, ce qui comprend la question de savoir si elle peut faire l’objet d’un règlement sommaire et la façon dont les droits à un procès équitable du requérant seront touchés par une audience sur le rejet sommaire. De plus, les juges doivent se demander si la tenue d’une audience sur le rejet sommaire représenterait une utilisation efficace du temps du tribunal ou si cette audience retarderait dans les faits le procès. Lorsque, par exemple, l’audience sur le rejet sommaire prendrait presque autant de temps qu’un voir‑dire sur la requête sous‑jacente, il faut se demander si l’équité, l’efficacité et le respect de l’administration de la justice militent plus en faveur de l’utilisation du temps du tribunal pour examiner le fond de la requête sous‑jacente plutôt que de l’affectation de ressources à des questions qui lui sont préliminaires. Sur le plan uniquement de l’efficacité, les juges ne peuvent se voir reprocher d’avoir procédé directement à un voir‑dire lorsque l’instruction de la requête sur le fond prendrait le même temps que la tenue d’une audience sur le rejet sommaire. Les juges ne devraient tenir une audience de type Vukelich que lorsque cela est la meilleure façon de faire en sorte que le procès soit d’une durée proportionnée : un procès qui respecte le droit du requérant d’être entendu, qui sert l’objectif de l’équité du procès, qui économise en fait des ressources et qui évite les délais indus.

[105]                     Si les juges décident d’instruire la motion en rejet sommaire, ils doivent aussi décider de quelle façon ils le feront. Les juges doivent s’assurer que la motion est instruite d’une manière juste et proportionnée.

[106]                     Si le rejet sommaire est refusé, les juges du procès seront aussi appelés à établir de quelle façon le voir‑dire sur la requête sous‑jacente devrait se dérouler, notamment s’il devrait y avoir une audition de la preuve ou si l’affaire peut être instruite uniquement sur le fondement des arguments, d’un exposé conjoint des faits ou d’une combinaison de méthodes. Permettre qu’une requête fasse l’objet d’un voir‑dire n’autorise pas les avocats à plaider la requête comme ils l’entendent. Le temps et la latitude donnés aux avocats pour faire valoir la requête devraient être proportionnés : tout juste suffisants pour que la requête soit traitée équitablement. Au‑delà de ce point, il peut y avoir des délais indus.

[107]                     L’exercice de ces pouvoirs de gestion de l’instance commande non seulement des procédures proportionnées qui mettent en équilibre l’efficacité du procès et l’équité de celui‑ci, mais peut aussi exiger une analyse comparative servant à déterminer l’approche qui répond le mieux aux exigences et au caractère équitable d’une situation donnée. Les juges devraient garder à l’esprit que le pouvoir d’ordonner le rejet sommaire n’est pas le seul outil dont ils disposent pour gérer la requête sous‑jacente et se demander si leurs autres pouvoirs de gestion de l’instance conviennent mieux pour gérer la requête sous‑jacente (SamaniegoCody, par. 38). Les valeurs de l’efficacité et de l’équité du procès pourraient être mieux servies par la tenue d’un voir‑dire sur la requête sous‑jacente qui ne vise, grâce à l’utilisation du pouvoir discrétionnaire judiciaire, que ce qui est nécessaire pour l’examen équitable de la teneur des allégations. Lorsque les juges exercent leurs pouvoirs de gestion de l’instance de cette façon, ils réalisent les objectifs qui sous‑tendent ceux‑ci : faire en sorte que les procès se déroulent de façon équitable, efficace et efficiente (Samaniego, par. 21).

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