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jeudi 1 novembre 2018

La décision d’ordonner des peines concurrentes ou consécutives relève de la discrétion du juge

R. c. Guerrero Silva, 2015 QCCA 1334 (CanLII)

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[52]        La délicate et toujours difficile tâche d’imposer la peine n’autorise pas un juge à choisir des raccourcis lorsque la difficulté augmente, au contraire. S’il est vrai que l’exercice est tout sauf une science exacte, et qu’il s’agit d’un « processus profondément subjectif », il ne doit pas devenir arbitraire. L’article 726.2 du Code criminel exige la motivation des décisions en matière de peine et la faiblesse de celle-ci « atténue la déférence due à un jugement d’instance ». Comme le rappelle la Cour suprême, « il est clair qu'en exposant ses motifs le juge du procès aide la cour d'appel à évaluer le caractère raisonnable de la peine infligée. En l'absence de motifs (exposés par écrit ou verbalement), la cour d'appel aura davantage tendance à conclure au caractère déraisonnable ». C’est dans ce dernier cas qu’on se trouve, malgré l’indulgence relative dont les tribunaux d’appel doivent faire preuve dans le contexte de jugements rendus oralement.
[53]        L’approche globale adoptée par le ministère public, tant en première instance qu’en appel, c’est-à-dire de proposer une peine pour l’ensemble des infractions, est généralement à éviter, surtout dans une situation comme celle dont il est question ici. La juge d’instance a malheureusement suivi cette méthodologie, ce qui complique l’exercice en appel.
[54]        Je rappelle que l’alinéa 725(1)a) du Code criminel prévoit que le juge est tenu de déterminer une peine pour chacune des infractions. Je reconnais que cette exigence est tempérée par le législateur lui-même qui ajoute les mots « s'il est possible et opportun de le faire » à ce même alinéa. Ainsi, on semble reconnaître que des cas se présenteront où une peine globale est possible, ce que l’article 728 du Code confirme, en quelque sorte, en prévoyant à son tour que la seule peine prononcée pour plusieurs chefs d’un acte d'accusation est valable, si l'un des chefs l'eût justifiée.
[55]        Malgré cette souplesse apparente et relative, l’approche à privilégier en présence d’infractions multiples, surtout lorsque les parties ne s’entendent pas et que les accusations émanent d’événements distincts, est de fixer les peines pour chacune des infractions, de décider si elles doivent être concurrentes ou consécutives et enfin, dans ce dernier cas, de déterminer si le tout enfreint les règles de la totalité (art. 718.2c) C.cr.) et de la proportionnalité (art. 718.1 C.cr.). Des ajustements sont alors possibles pour obtenir la peine appropriée dans un cas donné. Certes, le juge peut d’abord déterminer la peine globale pour ensuite la répartir entre les différentes infractions. À la limite, l’exercice est le même, bien que la première approche, en s’attardant à chaque infraction individuellement, semble permettre une meilleure corrélation entre, d’une part, la peine et, d’autre part, le crime et le criminel. 
[56]        Quelle que soit l’orientation choisie, la détermination de la peine doit demeurer un exercice transparent, qui permette de comprendre pleinement la démarche du juge et d’expliquer, tant à l’accusé qu’au public, le résultat auquel il parvient en application du droit
[59]        Bien que la décision d’ordonner des peines concurrentes ou consécutives relève de la discrétion du juge, il demeure qu’en principe les crimes constituant des transactions criminelles distinctes entraînent, sous réserve du principe de la totalité, des peines consécutives. Il en va de même lorsque les infractions visent la protection d’intérêts sociaux différents, comme le manquement à des ordres de la cour, ou lorsqu’il existe un élément aggravant qui le justifie, comme c’est le cas lorsque l’infraction subséquente est commise alors que l’accusé est sous le coup d’une ordonnance de la cour.

La marche à suivre proposée par la jurisprudence pour déterminer si des peines pour infractions multiples doivent être concurrentes ou consécutives

R. c. Rayo, 2018 QCCA 824 (CanLII)

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[51]        Je prends bonne note que la requérante reproche au juge d’avoir commis une erreur fondamentale dans la méthode qui sert à déterminer si des peines pour infractions multiples doivent être concurrentes ou consécutives. Avant de regarder les moyens d’appel plus en détail, j’estime utile de revoir la marche à suivre proposée par la jurisprudence, tant au Québec qu’ailleurs au Canada, pour cet exercice.
[52]        Dans Guerrero Silva, mon collège le juge Vauclair explique la méthode à privilégier lorsque le juge chargé de la détermination de la peine est en présence d’infractions multiples. En principe, il est préférable tout d’abord de fixer les peines applicables pour chacune des infractions, vues isolément, et sans égard à la peine globale qui peut en résulter. Ensuite, le juge chargé de la détermination de la peine doit décider si les peines doivent être concurrentes ou consécutives entre elles. Dans ce dernier cas seulement, il se demande si la peine globale est excessive, du point de vue de sa nature ou de sa durée. Dans tous les cas, le juge décide si la peine globale demeure proportionnelle à la gravité des infractions commises et au degré de responsabilité du délinquant. C’est lors des deux dernières étapes que le juge peut réduire le quantum de la peine s’il estime qu’elle est excessive ou disproportionnée par rapport au degré de responsabilité du délinquant.
[53]        Dans l’arrêt Desjardins, mon collègue le juge Mainville reprend cette démarche, en soulignant qu’un problème de distorsion inopportune de la peine imposée peut survenir si le juge applique le principe de totalité sans explications suffisantes. À titre d’exemple, si une peine globale est imposée sans ventilation préalable, infraction par infraction, il devient difficile de mesurer la justesse de la peine globale dans le cas où une des condamnations est cassée en appel ou si la peine pour une des infractions est modifiée.
[54]        Je m’empresse de dire que, en lui-même, le choix de s’écarter de cette trame ne constitue pas nécessairement une erreur révisable. Comme le dit le juge Vauclair, bien qu’il soit souhaitable de procéder en sens inverse, un juge peut légitimement d’abord déterminer la peine totale, pour ensuite la répartir entre les différentes infractions. Dans ce même esprit, le juge Mainville rappelle que si la démarche proposée par la Cour est préférable, elle n’est pas un carcan : face à cet aspect de la détermination de la peine, il faut se garder d’adopter une approche formaliste qui ferait perdre de vue l’importance du pouvoir discrétionnaire dans cet exercice.
[55]        Ayant ces enseignements à l’esprit, l’ordre dans lequel la requérante propose de traiter les moyens d’appel doit être repensé pour limiter les risques de distorsion dont parle la Cour. Il faut éviter, par exemple, d’appliquer le principe de totalité à des peines consécutives avant même de déterminer le quantum juste et approprié de la peine pour leurre, en fonction des objectifs et des facteurs pertinents, et ce, afin de mieux comprendre la part de cette infraction dans la culpabilité morale du délinquant.

Le choix entre des peines consécutives ou concurrentes relève de la discrétion du juge d’instance

R. c. Desjardins, 2017 QCCA 196 (CanLII)

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[15]        L’argument de l’appelante prend, entre autres, racine dans un passage de l’arrêt Guerrero Silva, où le juge Vauclair écrit, au nom de la Cour :
[59]      Bien que la décision d’ordonner des peines concurrentes ou consécutives relève de la discrétion du juge, il demeure qu’en principe les crimes constituant des transactions criminelles distinctes entraînent, sous réserve du principe de la totalité, des peines consécutives. Il en va de même lorsque les infractions visent la protection d’intérêts sociaux différents, comme le manquement à des ordres de la cour, ou lorsqu’il existe un élément aggravant qui le justifie, comme c’est le cas lorsque l’infraction subséquente est commise alors que l’accusé est sous le coup d’une ordonnance de la cour.
[Soulignement ajouté]
[Renvois omis]
[16]        Le paragraphe 718.3(4) C.cr. prévoit les circonstances dans lesquelles une peine concurrente peut être imposéeLe choix entre des peines consécutives ou concurrentes relève de la discrétion du juge d’instance :
46        À mon avis, la décision d’infliger des peines concurrentes ou des peines consécutives devrait être traitée avec la même retenue que celle dont les cours d’appel doivent faire preuve envers les juges qui ont infligé des peines en ce qui concerne la durée de ces peines.  La raison d’être de la retenue à l’égard de la durée de la peine, qui a été clairement exposée dans les deux arrêts Shropshire et M. (C.A.), s’applique également à la décision d’infliger des peines concurrentes ou des peines consécutives.  Lorsqu’il fixe la durée et le genre de peine, le juge du procès exerce son pouvoir discrétionnaire en fonction de sa connaissance directe de l’affaire; une cour d’appel n’a pas à intervenir en l’absence d’une erreur de principe, à moins que le juge qui a infligé la peine n’ait pas tenu compte de certains facteurs ou qu’il n’ait infligé une peine qui, dans l’ensemble, n’est manifestement pas indiquée. […]
[17]        Il est vrai que des infractions criminelles distinctes, sans lien entre elles, devraient entraîner l’imposition de peines consécutives, dans la mesure, bien sûr, où le principe de la totalité de la peine est respecté.
[18]        Dans R. c. Aoun, la Cour résume ainsi la distinction entre des peines consécutives et des peines concurrentes :
[20]      Les peines peuvent être consécutives s'il s'agit de transactions criminelles distinctes ou s'il existe un élément aggravant qui justifie une peine consécutive. Inversement, lorsque les infractions présentent un lien étroit, découlant du même incident ou font partie d’une même opération criminelle, les tribunaux infligent des peines concurrentes les unes aux autres.
[Renvoi omis]
[19]        Ainsi, dans l’arrêt Courtois c. R., la Cour enseigne que :
[13]      Enfin, en ce qui a trait à la peine consécutive infligée pour bris de probation, la Cour est d’avis qu’il y a lieu de réformer le jugement. Le bris de probation est exclusivement relié à la mauvaise conduite de l’appelant dans la séquence des événements qui lui ont valu les condamnations principales. Ces circonstances commandent en l'espèce l’infliction d’une peine concurrente. La poursuite n’avait d'ailleurs pas requis pour cette infraction une peine consécutive.
[Renvoi omis]
[20]        De même, dans Dubé c. R., la Cour note particulièrement :
[6]        Il est reconnu que les peines sur diverses infractions découlant d'un même incident sont généralement concurrentes: R. c. Bélanger1992 CanLII 3603 (QC CA)[1992] R.J.Q. 2710 (C.A.).  Les peines seront consécutives s'il s'agit de transactions criminelles distinctes ou encore s'il existe un élément aggravant qui justifie une peine consécutive.
[7]        En l'espèce, le premier juge n'a pas étayé sa décision de rendre une peine consécutive.  Pourtant, le bris de probation a résulté en la commission de l'infraction de facultés affaiblies ou à tout le moins lui est inextricablement relié.  Dans ces circonstances, l'imposition de peines concurrentes devaient [sic] prévaloir.

La norme d’intervention en appel quant à la détermination de la peine imposée en première instance

Lepage c. R., 2017 QCCA 956 (CanLII)

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[5]         La détermination de la peine est « l’une des étapes les plus délicates du processus de justice pénale et criminelle ». Il ne s’agit pas d’une science exacte ou d’une procédure inflexible et prédéterminée.
[6]         La Cour suprême a réitéré à de nombreuses reprises l en la matière, dont récemment dans l’arrêt R. c. Lacasse :
[11]         Notre Cour a maintes fois rappelé l’importance d’accorder une grande latitude au juge qui prononce la peine. Comme celui-ci a notamment l’avantage d’entendre et de voir les témoins, il est le mieux placé pour déterminer, eu égard aux circonstances, la peine juste et appropriée conformément aux objectifs et aux principes énoncés au Code criminel à cet égard. Le seul fait qu’un juge s’écarte de la fourchette de peines appropriée ne justifie pas l’intervention d’une cour d’appel. Au final, sauf dans les cas où le juge qui fixe la peine commet une erreur de droit ou une erreur de principe ayant une incidence sur la détermination de cette peine, une cour d’appel ne peut la modifier que si cette peine est manifestement non indiquée.
                                                                                                [Soulignement ajouté]
[7]         De plus, toujours dans l’arrêt Lacasse, la Cour suprême écrivait que :
[44]      [La] présence d’une erreur de principe, l’omission de tenir compte d’un facteur pertinent ou encore la considération erronée d’un facteur aggravant ou atténuant ne justifiera l’intervention d’une cour d’appel que lorsqu’il appert du jugement de première instance qu’une telle erreur a eu une incidence sur la détermination de la peine.
[Renvois omis]
[8]         La Cour suprême ajoute que l’examen en appel de la peine est axé sur le principe fondamental de la proportionnalité. Il est donc primordial que la peine soit individualisée en fonction de l’ensemble des circonstances de l’affaire. À cette fin, le Code criminel confère aux juges « un large pouvoir discrétionnaire leur permettant de façonner une peine adaptée à la nature de l’infraction et à la situation du délinquant ». Les cours d’appel doivent alors faire preuve d’une grande retenue dans l’examen de la justesse d’une peine

mardi 23 octobre 2018

La requête Nasogaluak pour réduire la peine que la Cour aurait autrement imposée pour cause de violation des droits constitutionnels d’un délinquant

Foisy c. R., 2017 QCCA 1721 (CanLII)

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[19]        S’appuyant notamment sur l’arrêt R. c. Nasogaluak, notre Cour a récemment rappelé que « les articles 718 et s. C.cr. permettent au tribunal de tenir compte de certains types de violation des droits constitutionnels d’un délinquant, à titre de facteurs atténuants, et de réduire la peine qu’il aurait autrement imposée ». En effet, les principes de détermination de la peine doivent être interprétés et appliqués en respectant la Constitution. « Naturellement, écrit le juge LeBel dans Nasogaluak, plus l’atteinte est grave, plus il est probable que le tribunal y attache de l’importance lors de la détermination de la peine appropriée ».

[29]        En définitive, même à supposer que les agents de l’état aient violé les droits du requérant lors de leur enquête – ce qui aurait alors pu être considéré comme un facteur atténuant, – l’erreur de la juge à cet égard ne peut avoir eu un effet déterminant sur la peine imposée. La violation du droit de l’appelant n’est pas suffisamment grave pour avoir un impact déterminant sur la peine imposée.
[30]        À sa face même, la conduite des agents n’était pas suffisamment répréhensible – rien ne démontre de la mauvaise foi ou un abus volontaire de leur part – pour constituer un facteur atténuant ayant un impact déterminant sur la peine du requérant, et encore moins pour justifier l’octroi d’une absolution. Il est difficile, dans les circonstances, de voir un comportement répréhensible des forces policières comparable à la violence qui, dans Nasogaluak, a justifié d’y voir un facteur atténuant dans la détermination de la peine. Rappelons que dans Lacasse, la Cour suprême enseigne qu’une erreur de droit ou une erreur de principe ne permet pas automatiquement de mettre de côté l’exercice du pouvoir discrétionnaire sur lequel la détermination de la peine repose. Partant de la prémisse que la juge s’est trompée en concluant à l’absence de violation au droit à la vie privée du requérant, ce dernier ne nous convainc pas que, à titre de facteur atténuant incorrectement écarté, cette erreur ait pu avoir un réel impact sur la détermination de la peine en l’espèce, la peine infligée se situant déjà en deçà du spectre habituel pour ce genre d’infractions.
[31]        En définitive, même si la juge avait reconnu la violation de l’article 8 de la Charte, l’absolution sollicitée par l’appelant n’aurait tout de même pas été accordée. L’intérêt public s’y oppose en raison, notamment, de l’importance de dénoncer le crime.

mercredi 3 octobre 2018

L'examen convenable en appel en regard de la question de l’absence de motifs ou leur insuffisance

R. c. Sheppard, [2002] 1 RCS 869, 2002 CSC 26 (CanLII)

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46                              J’estime que ces affaires montrent clairement que l’obligation de donner des motifs, lorsqu’elle existe, découle des circonstances d’une affaire donnée.  Lorsque la raison pour laquelle un accusé a été déclaré coupable ou acquitté ressort clairement du dossier, et que l’absence de motifs ou leur insuffisance ne constitue pas un obstacle important à l’exercice du droit d’appel, le tribunal d’appel n’interviendra pas.  Par contre, lorsque le raisonnement qu’a suivi le juge du procès pour démêler des éléments de preuve embrouillés ou litigieux n’est pas du tout évident ou lorsque des questions de droit épineuses requièrent un examen, mais que le juge du procès les a contournées sans explication, ou encore lorsque (comme en l’espèce) on peut donner de la décision du juge du procès des explications contradictoires dont au moins certaines constitueraient manifestement une erreur en justifiant l’annulation, le tribunal d’appel peut, dans certains cas, s’estimer incapable de donner effet au droit d’appel prévu par la loi.  Alors, l’une ou l’autre des parties pourra douter de la justesse du résultat, mais l’absence de motifs ou leur insuffisance l’aura à tort privée de la possibilité d’obtenir un examen convenable en appel du verdict prononcé en première instance.  En pareil cas, même si le dossier révèle des éléments de preuve qui, d’une certaine manière, pourraient appuyer un verdict raisonnable, les lacunes des motifs peuvent équivaloir à une erreur de droit et fonder l’intervention d’un tribunal d’appel.  Il appartiendra à la cour d’appel de décider si, dans un cas donné, les lacunes des motifs l’empêchent de s’acquitter convenablement de ses fonctions en appel.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Le pouvoir d'amender un acte d'accusation ou une dénonciation expliqué par la Cour d'appel de l'Ontario

R. v. K.R., 2025 ONCA 330 Lien vers la décision [ 17 ]        The power to amend an indictment or information under  s. 601(2)  of the  Crim...