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dimanche 22 décembre 2024

Le privilège relatif au litige

Denis c. R., 2018 QCCS 6163 

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[57]      Depuis l’arrêt Lizotte, rendu par la Cour suprême à l’automne 2016, le privilège relatif au litige est érigé au statut de privilège générique[43]. La Cour suprême du Canada a abordé le privilège du litige dans un contexte civil dans le cadre de l’arrêt Blank c. Canada (Ministre de la justice)[44] où le Tribunal l’avait entre autres distingué du privilège avocat-client[45]. Lors de la décision Chan[46], le Tribunal a également reconnu l’application de ce même privilège dans un cadre criminel.

[58]      Avec l’arrêt Lizotte[47], la Cour suprême place le privilège relatif au litige au même niveau que celui relatif aux indicateurs de police, ainsi que celui du secret professionnel de l’avocat : ;

[33] À mon avis, le privilège relatif au litige se qualifie de privilège générique. Une fois établies les conditions de son application, c’est-à-dire une fois que l’on est en présence d’un document dont « l’objet principal [. . .] est la préparation du litige » (Blank, par. 59) et que ce litige ou un litige connexe est encore en cours « ou peut être raisonnablement appréhendé » (par. 38), il y a une « présomption à première vue d’inadmissibilité » au sens où l’entendait le juge en chef Lamer dans R. c. Gruenke, 1991 CanLII 40 (CSC)[1991] 3 R.C.S. 263 :

Les parties ont eu tendance à établir une distinction entre deux catégories : un privilège prima facie « général » de common law ou un privilège « générique », d’une part, et un privilège « fondé sur les circonstances de chaque cas », d’autre part.  Les premiers termes sont utilisés pour désigner un privilège qui a été reconnu en common law et pour lequel il existe une présomption à première vue d’inadmissibilité (lorsqu’il a été établi que les rapports s’inscrivent dans la catégorie) à moins que la partie qui demande l’admission ne puisse démontrer pour quelles raisons les communications ne devraient pas être privilégiées (c.àd., pour quelles raisons elles devraient être admises en preuve à titre dexception à la règle générale). [Soulignement omis; p. 286]

[34] De ce point de vue, le privilège relatif au litige s’apparente au privilège relatif au règlement et au privilège de l’indicateur de police, que la Cour a déjà qualifié de privilèges génériques. Comme ces derniers, il est reconnu par les tribunaux depuis longtemps et a été considéré comme comportant une présomption d’immunité de divulgation une fois qu’il est satisfait à ses conditions d’application.

[59]      Pour être protégé par le privilège du litige, le document doit avoir été créé principalement pour les fins du litige. S'il a été créé pour d'autres fins et qu'il est utilisé par les avocats d'une partie au litige, il ne sera pas considéré comme privilégié[48] :

If a document was created for a dual purpose, such as to find out the cause of the accident on the one hand and to furnish information to defence counsel on the other, the document is not privileged because it has not then been created wholly or mainly for the purposes of litigation.[49]

[60]      Ce qui tombe habituellement dans la catégorie du privilège du litige, aussi appelé « work product », ne sera pas pertinent quant à la défense pleine et entière de l’accusé[50]. Dans O’Connor[51], la juge l’Heureux-Dubé a d’ailleurs mentionné que le ministère public n’est normalement pas tenu de divulguer le « work product », sous réserve de certaines contradictions importantes ou de faits supplémentaires qui n'auraient pas déjà été divulgués à la défense[52].

[61]      Tel qu’édicté dans le cadre de la décision Chan[53], le travail produit par les policiers en vue du procès doit se voir accorder la protection du ministère public quant au privilège relatif au litige[54].

Le privilège relatif à l’indicateur de police

Denis c. R., 2018 QCCS 6163

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[51]      Le privilège relatif à l’indicateur de police est d’une importance capitale pour le système de justice criminelle. Il s’agit d’un privilège générique et absolu[34], qui ne comporte qu’une seule exception d’application restrictive. Il ne saurait être soupesé en fonction d’autres intérêts liés à l’administration de la justice[35]. Ce privilège prohibe autant la divulgation du nom de l'indicateur, que d’autres renseignements susceptibles de révéler implicitement l'identité de ce même indicateur[36].

[52]      Le renseignement, qui ne révèle ni implicitement ni explicitement l’identité de l’indicateur, n’est pas protégé par ce privilège et devra être divulgué :

The Crown must assert the privilege and must disclose any relevant materials that are not protected by the privilege in accordance with Stinchcombe. That duty includes theresponsibility to review materials to determine the extent to which they engage the privilege.[37] 

[53]      Puisqu’il s’agit d’une règle d’ordre public, le privilège de l’indicateur de police ne relève pas de la discrétion du Tribunal[38]. Il sera du devoir du Tribunal d’imposer son respect. Ainsi, comme clairement établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Leipert, ce privilège, une fois établi, ne peut être que difficilement restreint[39].

[54]      Le privilège relatif aux indicateurs de police n’a qu’une seule exception en common law, la démonstration de l'innocence de l'accusé[40]. Pour que cette exception s’applique, la preuve doit révéler l'existence d'un motif permettant de conclure que la divulgation de l'identité de l'indicateur est nécessaire pour démontrer l'innocence de l'accusé[41].

[55]      Ce privilège doit également être analysé en regard du droit de l’accusé à une défense pleine et entière. Tel que l’énonçait la Cour suprême, dans l’arrêt Michaud c. Québec (procureur général) :

[…] même dans le contexte d'un procès criminel, le droit de l'individu de présenter une défense pleine et entière doit être mesuré en regard de l'intérêt divergent de l'État à ce que soient préservées la confidentialité de ses enquêtes et la sécurité de ses indicateurs, et peut même à un certain moment devoir lui céder.[42]

[Le Tribunal souligne]

[56]      Le droit constitutionnel de l’accusé à une défense pleine et entière peut donc, dans des cas précis, céder face au privilège de l’indicateur de police.

Le privilège relatif aux techniques d’enquêtes policières

Denis c. R., 2018 QCCS 6163

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[48]      Au nombre des privilèges que le ministère public peut invoquer pour refuser la divulgation de certains documents, on retrouve entre autres celui relatif aux techniques d’enquêtes policières. Effectivement, dans certaines situations, la divulgation des informations en lien avec une technique d’enquête risquerait de mettre cette dernière en péril, la rendant du même coup inefficace pour les différents corps policiers dans le futur. Il s’agit toutefois d’un privilège partiel : une catégorie de renseignements sera protégée uniquement si les circonstances particulières d’une affaire le justifient. Ils devront donc faire l’objet d’une évaluation au cas par cas[31].

[49]      Lorsque le Tribunal doit procéder à l’évaluation de l’opportunité ou non d’accorder la divulgation de renseignements protégés par le privilège des techniques d’enquêtes policières, il doit soupeser le droit de l’accusé à une défense pleine et entière et l’intérêt qu’a le public face à la préservation de la confidentialité du renseignement, tel qu’énoncé dans la décision Trang[32].

[50]      Aussi, le degré de pertinence du renseignement à l’égard de la défense de l’accusé, ainsi que le caractère préjudiciable de la divulgation, sont des facteurs que le Tribunal doit considérer, afin de déterminer si le renseignement doit être communiqué, malgré le privilège dont il est frappé, et si ledit privilège doit céder au droit de présenter une défense pleine et entière[33].

Divulgation de la preuve selon le régime de l’arrêt Stinchcombe

Denis c. R., 2018 QCCS 6163

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[38]      La Cour suprême du Canada définit ainsi les documents devant être divulgués par le ministère public selon Stinchcombe[14] :

Le régime de communication établi dans Stinchcombe ne vise que les documents se rapportant à la cause de l’accusé qui sont en la possession du poursuivant ou qui sont sous son contrôle. Ces renseignements sont communément appelés les « fruits de l’enquête »[15].

[39]      Dès lors que l’existence de ces informations est établie, le ministère public est tenu de divulguer tous renseignements en sa possession, que ceux-ci soient inculpatoires ou disculpatoires, sauf dans le cas d’une preuve qui « échappe au contrôle de la poursuivante, qui est manifestement sans pertinence ou qui fait l’objet d’un privilège »[16].

[40]      Les fruits de l’enquête, qui se trouvent en la possession du ministère public, ne peuvent avoir pour seule utilité que servir à obtenir une déclaration de culpabilité. Ils sont plutôt la propriété du public et doivent être utilisés pour que justice soit rendue[17]. Ainsi, l’obligation qu’a le ministère public quant à la divulgation perdure même après la fin des procédures[18].

[41]      Selon la Cour suprême dans l’arrêt McNeil[19], l’information pertinente devant être divulguée, nommée « fruits de l’enquête » suivant Stinchcombe,[20] comprend non seulement les renseignements en rapport avec les éléments que le ministère public désire soumettre en preuve contre l’accusé, mais également les renseignements pouvant raisonnablement aider celui-ci à présenter une défense pleine et entière[21].

[42]      Le corollaire de l’obligation de communication du ministère public, établit dans le cadre de l’arrêt Stinchcombe[22], est celle du service de police de communiquer au ministère public tous les fruits de l’enquête touchant l’accusé[23].

[43]      Lorsqu’il s’acquitte de cette obligation, le service de police chargé de l’enquête n’est pas considéré comme étant un tiers, bien que distinct et indépendant du ministère public. Il agit, dans ce contexte, en tant que partie principale, tout comme le ministère public[24].

2.   La notion de pertinence

[44]      Une information dite pertinente, devant faire l’objet d’une divulgation, comprend autant les renseignements reliés aux éléments que le ministère public a l’intention de présenter en preuve contre l’accusé, que ceux pouvant raisonnablement aider celui-ci à présenter une défense pleine et entière[25]. Un document qui est en possession du ministère public est, de ce fait, présumé être pertinent[26].

[45]      Un renseignement ayant une certaine utilité pour la défense présentera, pour les fins de la divulgation, le critère nécessaire de pertinence et doit être divulgué[27]. Le ministère public doit toutefois se garder de qualifier lui-même le degré d’utilité du renseignement pour la défense[28]. La décision appartient à cette dernière.

[46]      Dans le cadre de l’arrêt Egger[29], le Tribunal a précisé le critère qui doit être appliqué par le juge du procès, quant à la façon de mesurer la pertinence d’un renseignement en possession du ministère public. Celui-ci doit déterminer :

[…] si l'accusé peut raisonnablement utiliser la communication des renseignements pour réfuter la preuve et les arguments du ministère public, pour présenter un moyen de défense ou autrement pour parvenir à une décision susceptible d'avoir un effet sur le déroulement de la défense comme, par exemple, de présenter ou non une preuve[30].

[47]      Si cette analyse est positive, le renseignement en question sera considéré comme pertinent par le Tribunal.

Les risques stratégiques associés à l'allégation d'enquête policière inadéquate

R. v. Spackman, 2012 ONCA 905

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[123]   The “defence” of inadequate investigation may be related to but can be discrete from a claim of third party authorship. The decision by an accused to attack the integrity of the police investigation of the offence charged is a permitted, but risky strategy. The risk involved is that, by invoking the strategy, the accused will make relevant, material, and admissible, evidence that would never have seen the light of day if tendered by the Crown as part of its case in-chief: R. v. Dhillon (2002), 2002 CanLII 41540 (ON CA), 166 C.C.C. (3d) 262 (Ont. C.A.), at para. 51; and R. v. Mallory2007 ONCA 46, (2007), 217 C.C.C. (3d) 266, at para. 87. Included among the evidence that may be made admissible is investigative hearsay, albeit subject to instructions about its limited use: Dhillon, at para. 51Mallory, at para. 92R. v. Starr2000 SCC 40, [2000] 2 S.C.R. 144, at para. 184; and R. v. Van2009 SCC 22, [2009] 1 S.C.R. 716, at para. 33. To deny the Crown the right to adduce evidence to rebut a claim of inadequate investigation, as with the “defence” of third party authorship, would be to leave an entirely distorted and incomplete picture with the jury. 

Les commentaires de la CA du Manitoba quant à l'allégation d'enquête policière inadéquate

R v Fries, 2017 MBCA 58

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[12]                     Because the defence of inadequate investigation was prominent in this case, a few comments on it are necessary.  The decision of the defence to attack the inadequacy and integrity of a police investigation in support of the theory that someone other than the accused committed a crime is an entirely appropriate strategy, but it is a “risky” one (R v Mallory2007 ONCA 46 at para 87).  If advanced, the claim of an inadequate police investigation potentially opens the door to the Crown being able to lead otherwise inadmissible evidence, such as investigation hearsay, opinion and bad character evidence regarding the accused, to rebut the allegation so that the jury does not have a distorted and incomplete picture.  See R v Dhillon (2002), 2002 CanLII 41540 (ON CA)166 CCC (3d) 262 at para 46 (Ont CA)R v Lane2008 ONCA 841 at para 41R v Jackson2013 ONCA 445 at para 77; and Spackman at para 123.  When such a defence is advanced, the trial judge must take great care after holding a voir dire to ensure that the otherwise inadmissible evidence that the Crown wishes to rely on is relevant and probative of the adequacy and integrity of the police investigation and that its prejudicial effect does not outweigh its probative value.  A limiting instruction on the jury’s use of any evidence admitted to explain what the police did and why they did it is required, except where the instruction would prejudice a “calculated defence strategy” (R v Singh2010 ONCA 808 at para 54see also R v Van2009 SCC 22 at paras 26, 33).

Il est permis à la défense d'attaquer la qualité de l'enquête policière

R. v. Candir, 2009 ONCA 915

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[133]      It is also open to an accused to attack the integrity or adequacy of the police investigation that has culminated in charges for which the accused is on trial: R. v. Dhillon (2002), 2002 CanLII 41540 (ON CA), 166 C.C.C. (3d) 262 (Ont. C.A.), at para. 45R. v. Lane (2008), 2008 ONCA 841 (CanLII), 94 O.R. (3d) 177 (C.A.), at para. 40R. v. Mallory (2007), 2007 ONCA 46 (CanLII), 217 C.C.C. (3d) 266 (Ont. C.A.), at para. 87.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Le pouvoir d'amender un acte d'accusation ou une dénonciation expliqué par la Cour d'appel de l'Ontario

R. v. K.R., 2025 ONCA 330 Lien vers la décision [ 17 ]        The power to amend an indictment or information under  s. 601(2)  of the  Crim...