Rechercher sur ce blogue

lundi 29 juillet 2013

La norme d'intervention applicable en matière d'appréciation du délai (dé)raisonnable par une Cour d'appel

R. c. Gagnon, 2013 QCCS 3567 (CanLII)


[45]        Dans l'arrêt R. c. Jean-Jacques, la Cour d'appel écrit :
[6]         L'intimé prétend que la norme d'intervention applicable en pareille matière fait en sorte que les tribunaux d'appel doivent faire preuve d'une retenue considérable. Il a tort. À cet égard, il convient de citer la Cour d'appel de l'Ontario :
[5]         Second, the respondent’s counsel submitted that the trial judge’s findings are findings of fact deserving of deference, absent palpable or overriding error. I do not agree. In R. v. Chatwell 1998 CanLII 3560 (ON CA), (1998), 122 C.C.C. (3d) 162 (Ont. C.A.), appeal to S.C.C. quashed1998 CanLII 784 (SCC), (1998), 125 C.C.C. (3d) 433 (S.C.C.), this court applied the normal standard of review to the assessment of institutional delay. The court said (at para. 10):
The determination of whether certain factors constitute institutional delay for the purpose of an analysis pursuant to s. 11(b) of the Charter is one which, in our opinion, attracts the normal standard of appellate scrutiny. The adjudication of the s. 11(b) rights of an accused is not akin to the exercise of judicial discretion.
[6]         In R. v. Qureshi2004 CanLII 40657 (ON CA), (2004), 190 C.C.C. (3d) 453 at para. 27 (Ont. C.A.), Laskin J.A. stated that a trial judge’s accounting of the inherent time requirements is to be reviewed on a standard of correctness. In my view, this applies to the process of assessing the various periods of delay, ascribing legal character to them and allocating them to the various categories set out in R. v. Morin1992 CanLII 89 (SCC), (1992), 71 C.C.C. (3d) 1 (S.C.C.). For example, whether the Crown had produced documents by a certain date is a question of fact. However, the questions of whether the failure to produce those documents constitutes a failure of the Crown’s duty of disclosure and whether such failure makes the Crown responsible for ensuing delay, involve the application of legal principles. The questions raised by this appeal primarily involve alleged errors in the way the trial judge accounted for various time periods, which is reviewable on a standard of correctness.
[7]         En somme, s'il est acquis qu'il faut faire preuve d'une grande déférence quant aux conclusions de fait du juge de première instance, il en va autrement de la qualification des délais. Quant à l'évaluation du préjudice, il s'agit d'une question pouvant donner lieu à une erreur mixte de fait et de droit.
[46]        La qualification des délais appelle l'application de la décision correcte et l'évaluation du préjudice appelle l'application de la norme d'intervention relative aux erreurs mixtes de fait et de droit.

Il est interdit de contre-interroger le témoin en rapport avec la déclaration fournie par une autre personne ou de demander à l'accusé de commenter sa crédibilité ou d'expliquer pourquoi ses accusateurs mentiraient devant la cour

Lagacé c. R., 2013 QCCA 1266 (CanLII)


[53]        Enfin, l'avocate de la poursuite a demandé à l'appelant de commenter certains témoignages et de donner son opinion sur la véracité de ces versions :
Q. Dans votre récit aujourd'hui, vous livrez au jury. Il y a des choses que vous pensez, comme les autres ont fait. Les autres ont menti, selon vous. C'est ça?
R. Bien, si on y va selon ce qui est supposé. Quand qu'on fait une déclaration assermentée, vous êtes supposé de dire pratiquement mot pour mot ce qui est arrivé à la Cour dans votre déclaration. Donc, quelqu'un… C'est arrivé souvent que mon avocat sans être témoin est arrivé : « Ah! Vous êtes sûr que vous avez dit ça? Pouvez-vous me dire ça sur la déclaration? » « Ah! Je suis plus sûr. » « Comment ça? » Donc, moi j'appelle ça un mensonge.
Q. Donc, monsieur Lagacé, ma question est simple.
R. Oui.
Q. Les gens, selon vous, ont menti?
R. Certains, sur certains faits.
[54]        Un tel contre-interrogatoire, qui est inéquitable, est interdit en ce qu'il enfreint la présomption d'innocence, comme le précise le juge Doherty dans R. v. R.H. :
The cross-examination violated the well-known principle stated in cases going back to R. v. Markadonis1935 CanLII 44 (SCC), [1935] S.C.R. 657, that it is improper to ask an accused for his opinion of the veracity of another witness. The question is unfair and where, as here, that witness is the person making the central allegation against the accused, the question undermines the presumption of innocence. As the authors of McWilliams' Canadian Criminal Evidence note at 27-23, the question also forces the accused to advocate the case when his role is to testify as a witness: see Mr. Justice S. Casey Hill, David M. Tanovich and Louis P. Strezos, eds.,McWilliams' Canadian Criminal Evidence, loose-leaf, 4th ed. (Aurora, ON: Canada Law Book, 2009).
[55]        Les auteurs Béliveau et Vauclair signalent ceci :
D'entrée de jeu, on doit mentionner qu'il est évidemment interdit de contre-interroger le témoin en rapport avec la déclaration fournie par une autre personne ou de demander à l'accusé de commenter sa crédibilité ou d'expliquer pourquoi ses accusateurs mentiraient devant la cour; cela a en pratique pour effet de l'obliger à prouver que ceux-ci ont tort.
[56]        Parmi les très nombreux arrêts et jugements qui dénoncent un tel contre-interrogatoire, mentionnons R. c. X, alors que la juge Thibault écrit :
90     Je ne peux cependant pas taire le caractère hautement inapproprié du procédé utilisé par le ministère public, soit d'avoir contre-interrogé l'appelant et les témoins de la défense, pour connaître leur opinion quant à la véracité d'une déclaration d'un autre témoin. Dans T.(A.). c. R., le juge Morris Fish, alors juge à notre Cour, a dénoncé l'illégalité d'une telle approche :
For at least seventy years it has been considered abusive and improper in Canada for Crown counsel to cross-examine the accused on his or her opinion as to the veracity of prosecution witnesses.
[57]        Encore très récemment, dans R. c. Genest, le juge Kasirer écrivait :
88  L'intimée concède que l'avocat du ministère public n'avait pas le droit de questionner l'appelant sur la crédibilité des témoins. […]
[58]        Il faut croire que le message passe mal.
[59]        Tous ces écarts de la poursuite, dont l'effet préjudiciable n'a pas été contré par une directive particulière, me convainquent que le procès fut inéquitable, ce qui commande un nouveau procès. Par ailleurs, même si la disposition réparatrice du paragr. 686(1)b)(iiiC.cr.s'appliquait, je ne peux dire que la preuve est accablante. À titre d’exemple, seul Antoine Mailhot-Caron identifie l’accusé comme étant celui qui a porté les coups de couteau.

On ne peut pas attaquer la crédibilité de l'accusé en prétextant qu'il a eu l'occasion de consulter la preuve

Lagacé c. R., 2013 QCCA 1266 (CanLII)


[47]        De plus, la poursuite a commis d'autres impairs. Ainsi, elle a brimé un autre droit de l'appelant, soit celui à la communication de la preuve, alors que l'avocate de la poursuite invoque l'exercice de ce droit constitutionnel pour tenter d'affaiblir sa crédibilité. Voici le contre-interrogatoire de l'appelant sur cette question :
Q. Là vous témoignez aujourd'hui. Vous, vous avez eu la preuve?
R. J'ai seulement une déclaration de Antoine Mailhot Caron, Angélique Bolduc. Dans le fond, les déclarations écrites des personnes ainsi que des notes policières.
Q. Donc, vous avez lu ça avant de témoigner?
R. J'ai lu ça au mois de mai […].
[49]        On ne peut évidemment attaquer la crédibilité de l'accusé en prétextant qu'il a eu l'occasion de consulter la preuve. C'est son droit strict et cela ne peut être utilisé pour entacher sa crédibilité.
[50]        Dans Manual of Criminal Evidence, l'auteur Watt fait état de trois arrêts qui condamnent cette pratique : R. v. KokotailoR. v. Cavan et R. v. White.
[51]        Dans R. c. Parenteau, la Cour rappelait que la poursuite ne peut demander à l'accusé s'il a obtenu communication de la preuve en laissant sous-entendre qu'il a adapté son témoignage en conséquence. Comme le mentionne la juge Côté :
[l]e principe qui sous-tend cette règle vise à ne pas, d'un côté, accorder un droit constitutionnel à un accusé pour ensuite lui reprocher d'avoir un avantage découlant de ce droit. La situation pourrait être préjudiciable.
[52]        Dans le présent appel, il n'y a pas eu de directive particulière pour rétablir les choses.

Le silence avant procès de l'accusé ne peut lui être reproché pour servir de base à une déclaration de culpabilité ou plus simplement pour rejeter sa version

Lagacé c. R., 2013 QCCA 1266 (CanLII)

Lien vers la décision

[20]        Par ailleurs, une particularité doit être soulignée. La déclaration verbale a été notée par un policier. Or, le texte de cette déclaration n'a jamais été lu ou autrement mis en preuve, si ce n'est par quelques questions et réponses en contre-interrogatoire qui ne permettent pas d'en connaître tout le contenu. Pourtant, le juge de première instance en a pris connaissance, aux fins de ses directives, mais le document n'a pas été mis au dossier, ne serait-ce qu’aux fins de consultation ultérieure. Cette façon de faire prive malheureusement la Cour de données dont ont eu connaissance les parties et le juge en préparant ses directives. Le sort de l'appel n'en dépend pas, mais je tenais à le mentionner pour que l'on comprenne la situation dans laquelle se trouve la Cour, qui ne peut savoir ce que le juge a vu dans le texte de la déclaration et ne peut évaluer l'impact que cela a pu avoir sur ses directives.

[
23]        Le droit au silence, tant durant l'enquête policière que durant le procès, est protégé par cet article :
De plus, le droit de garder le silence est maintenant reconnu comme un principe fondamental de notre système juridique et il bénéficie à ce titre de la protection de la Charte canadienne des droits et libertés.  En tant que principe fondamental de notre droit, il relève de l'art. 7de la Charte. Voir R. v. Woolley1988 CanLII 196 (ON CA), (1988), 40 C.C.C. (3d) 531 (C.A. Ont.), et particulièrement l'arrêt Hebert c. La Reine1990 CanLII 118 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 151.  Il s'ensuit qu'un inculpé a le droit de garder le silence aussi bien au stade de l'enquête qu'au procès.
Il a été reconnu en outre que, comme il y a un droit de garder le silence, ce serait tendre un piège que de prévenir l'accusé qu'il n'est pas tenu de répondre aux questions du policier, pour ensuite soumettre en preuve que l'accusé s'est manifestement prévalu de son droit en gardant le silence face à une question tendant à établir sa culpabilité.
[24]        On ne peut donc reprocher à l'accusé de s'être prévalu de ce droit au cours de l'enquête policière. Règle générale, on ne peut davantage porter à l'attention du jury le fait qu'il a gardé le silence en présence des policiers, ni les raisons qui l'ont motivé à agir ainsi.
[25]        Évidemment, il est des cas très particuliers où le silence peut-être mis en preuve, à la condition toutefois que ce silence soit devenu un fait en litige. Par exemple, si l'accusé prétend avoir donné le nom du coupable aux policiers, alors que ces derniers affirment qu'ils ne leur a rien dit, son silence, tel qu'évoqué par les policiers, devient alors une question en litige, ce qui peut justifier la poursuite d'en faire la preuve. Ce fut le cas dans R. v. G.A.O., alors que la Cour d'appel de l'Alberta écrit :
12 If an accused's pre-trial silence is or becomes a fact-in-issue in the trial, that evidence can be received to prove that fact. However, evidence thus admitted is relevant only to the issue for which it was tendered; it cannot be used as the basis of an adverse inference of guilt when it was not admissible for that purpose.
[26]        Dans cette affaire, l'accusé, en interrogatoire, avait affirmé avoir dit aux policiers qu’il était innocent. La poursuite contestait qu'il ait dit quoi que ce soit, de sorte que l'existence même de la déclaration devenait objet de litige. La poursuite avait fait entendre un policier pour contrer cette allégation. Le policier a nié que l'accusé lui ait fait une déclaration. La poursuite pouvait donc plaider la contradiction entre le témoignage de l'accusé et l'absence de déclaration antérieure. Par contre, elle était allée trop loin en suggérant que le silence de l'appelant pouvait être un indice de sa culpabilité.
[27]        Même s'il avait correctement expliqué au jury que le témoignage du policier pouvait servir à évaluer la crédibilité de l'accusé, le juge avait toutefois erronément omis de donner une directive particulière selon laquelle ce silence ne pouvait être utilisé pour inférer sa culpabilité.
[28]        On voit donc que, même si, exceptionnellement, la preuve de l'exercice du droit au silence peut être autorisée, il demeure que le jury doit être informé de l'utilisation limitée qui peut en être faite.
[29]        À cet égard, R. v. Rohde, est aussi intéressant. Voici ce qu'écrit le juge Laskin pour la Cour d'appel de l'Ontario :
19 Recently, in R. v. Palmer2008 ONCA 797 (CanLII), 2008 ONCA 797, this court adopted a similar view. The accused, Ms. Palmer, had been charged with possession of cocaine for the purpose of trafficking and possession of the proceeds of crime. At trial, she gave an exculpatory explanation for her possession of the cocaine. In rejecting her explanation, the trial judge said:
This is not a case of the Court being critical of someone not speaking. That of course is their inalienable right not to speak to police, but having chosen to do so, she failed to avail herself of the opportunity to offer an explanation which she now advances was so simple and obvious to give.
In my view, that failure to do so serves to diminish any weight to be given to her explanation now offered and her explanation is rejected based on these reasons. Having rejected her evidence, neither am I left in any doubt by it when considered together with the evidence as a whole.
20 This court held, at para. 9, that the trial judge erred by using Ms. Palmer's silence to reject her evidence:
It was open to the trial judge to reject the appellant's explanation given at trial because it was not believable and to use that finding in assessing the appellant's overall credibility. However, the trial judge went further and used the appellant's silence as a basis for finding her incredible. That he was not entitled to do.
[30]        Le juge Laskin tire la même conclusion :
12 Mr. Rohde submits that the trial judge erred by using his silence - his failure to tell his story to the police - as the basis for rejecting his evidence. As I have said, I agree with this submission. In my view, the trial judge erred because she assessed Mr. Rohde's credibility as if he had put forward an alibi defence when he had not done so.
[31]        Ainsi, le silence avant procès de l'accusé ne peut lui être reproché pour servir de base à une déclaration de culpabilité ou plus simplement pour rejeter sa version, sauf en matière d'alibi, où le défaut de l'annoncer en temps utile peut en affecter la crédibilité.
[32]        Qu'en est-il alors de la décision de parler, mais de ne pas tout dire. Ce droit est-il protégé de la même manière par la Charte?
[33]        Dans R. v. G.L., le juge Blair conclut que la protection est la même. Il s'exprime ainsi :
38 It is apparent that the trial judge used the appellant's failure to deny that what happened between him and the complainant was of a sexual nature as proof that, in fact, it was. She used his failure to volunteer that the complainant at some point sat on his lap as supportive of her conclusion that the "something very bad" he acknowledged happened was something very bad of a sexual nature. In both respects she drew an adverse inference about the appellant's credibility from his silence. This, she was not permitted to do. […]
39 The appellant had a constitutional right to remain silent during any part of the police interview. That right was not extinguished simply because he chose to speak to the officer with respect to some matters and did not exercise his right to silence completely: see R. v. Chambers,1990 CanLII 47 (SCC), [1990] 2 S.C.R. 1293, at pp. 1315-1317; R. v. Marshall (2006), 77 O.R. (3d) 8 (C.A), at para. 82. The negative inferences the trial judge drew against the appellant were significant and it cannot be said the verdict would have been the same had she not made this error. This error alone would be sufficient to warrant appellate intervention.
[34]        La Cour suprême partage cet avis. Dans R. c. Turcotte, alors que l'accusé avait demandé à la police de se rendre à un certain endroit, mais avait refusé de donner les raisons pour lesquelles elle devait y aller, la juge Abella écrit, au nom de la Cour :
52 Je ne partage pas non plus l’opinion du ministère public que M. Turcotte, en se rendant au détachement et en répondant à certaines questions de la police, a renoncé à tout droit qu’il aurait autrement pu avoir.  La volonté de communiquer certains renseignements à la police ne fait pas complètement disparaître le droit d’une personne de ne pas répondre aux questions de la police.  Elle n’a pas à rester muette pour manifester son intention de l’invoquer.  Une personne peut fournir certains, aucun ou la totalité des renseignements qu’elle possède.  L’interaction volontaire avec la police, même si elle est engagée par l’intéressé, ne constitue pas une renonciation au droit de garder le silence.  Le droit de choisir de parler ou de garder le silence demeure entier tout au long de l’interaction.
54 Même avant sa mise en détention, à 10 h 6, M. Turcotte n'était pas tenu de parler à la police ou de collaborer avec elle. En refusant de répondre à certaines questions de la police, d'expliquer pourquoi il fallait envoyer une voiture au ranch Erhorn et de dire ce que la police allait y trouver, il exerçait ce droit. Même s'il avait répondu à certaines questions de la police, en refusant de répondre à d'autres questions, il se trouvait néanmoins à exercer son droit de garder le silence.
[36]        Sur ce dernier point, la juge Abella déclare :
55 Il s'agit d'un point important lorsque vient le temps de décider si la preuve relative à son silence était admissible en tant que preuve relative au comportement postérieur à l'infraction, c'est-à-dire comme preuve probante quant à la culpabilité. Le comportement postérieur à un crime n'est admissible comme preuve relative au "comportement postérieur à l'infraction" que s'il fournit une preuve circonstancielle de la culpabilité. La pertinence nécessaire n'existe plus s'il n'y a aucun lien entre le comportement et la culpabilité. La loi n'impose aucune obligation de parler à la police ou de collaborer avec elle. Ce fait, à lui seul, rompt tout lien pouvant exister entre le silence et la culpabilité. Le silence face à l'interrogatoire de la police est donc rarement admissible comme preuve relative au comportement postérieur à l'infraction parce qu'il est rarement probant quant à la culpabilité. Refuser de faire ce qu'on a le droit de refuser de faire ne révèle rien. On ne peut ni logiquement ni moralement inférer la culpabilité de l'exercice d'un droit protégé. Se servir du silence comme preuve de culpabilité donne artificiellement naissance à une obligation de répondre à toutes les questions de la police malgré l'existence d'un droit contraire.
56 Étant donné que M. Turcotte n'avait aucune obligation de parler à la police, son omission de le faire n'avait aucune pertinence; cette omission n'ayant aucune pertinence, aucune conclusion rationnelle de culpabilité ou d'innocence ne pouvait en être tirée; et cette omission n'étant pas probante quant à la culpabilité, elle ne pouvait être qualifiée, à l'intention du jury, de "comportement postérieur à l'infraction".
[38]        Bref, pour le juge, si l'accusé décide de parler à la police, il renonce à son droit au silence, même en regard de ce qu'il ne veut pas dire. Avec égards, c'est une interprétation erronée du droit.
[42]        En somme, l'avocate attaque de plein front le droit de l'appelant au silence. À trois reprises, elle laisse entendre que de ne pas collaborer avec la police affecte la crédibilité de l'appelant et peut être un indice de sa culpabilité. Ces propos ne respectent pas la règle de droit.
[44]        À mon avis, cette directive est inappropriée et surtout, insuffisante. En effet, même si la preuve en question avait été admissible, le juge devait au moins instruire le jury sur sa valeur limitée et ses dangers et l'aviser qu'il ne pouvait condamner l'appelant pour cette raison. DansTurcotte, précité, la juge Abella traite de cette question :
58 Bien qu’il ne soit pas admissible comme preuve relative au comportement postérieur à l’infraction ou à l’état d’esprit, on aurait pu soutenir que le comportement de M. Turcotte au détachement de la GRC, y compris son refus de répondre à certaines questions de la police, était admissible en tant que partie inextricable de l’exposé des faits.  Comme je l’ai déjà mentionné, la question de son admissibilité n’a été soulevée ni au procès ni en appel.  Mais après avoir admis le silence en preuve, le juge du procès devait dire au jury dans les termes les plus clairs que cette preuve ne pouvait servir à étayer une inférence de culpabilité, et ce, afin de faire contrepoids à l’impulsion intuitive de conclure que silence ne peut rimer avec innocence.  Lorsque la preuve relative au silence est admise, les jurés doivent être instruits du véritable objet de l’admission de la preuve, des inférences inacceptables à ne pas tirer de la preuve relative au silence, de la valeur probante limitée du silence et des dangers de se fonder sur une telle preuve.
[45]        Dans R. c. Peruta, l'avocat de la poursuite a suggéré, en plaidoirie, que le défaut de clamer son innocence et de dire aux policiers qu'une autre personne avait commis le meurtre était un indice de culpabilité. La Cour a conclu que « these excesses by the prosecution were illegal; particularly in the absence of adequate action by the judge, the fairness of the trial was prejudiced ».
[46]        Je n'ai aucune hésitation à convenir, comme dans le dossier Peruta, que l'équité du procès a été entachée.

jeudi 25 juillet 2013

L'examen de la méthode Carter et la preuve par ouï-dire

Couture c. R., 2007 QCCA 1609 (CanLII)


[107]        Selon les appelants, la preuve par ouï-dire ne doit pas servir à établir le complot à l'étape initiale de l'arrêt Carter.  Les appelants affirment également que l'admission de cette preuve, sans en vérifier la fiabilité et sans en soupeser la valeur probante eu égard au préjudice, a indéniablement affecté l’équité du procès.
[108]      Il s'agit donc de déterminer si cette preuve est admissible pour établir l'existence du complot, à l'étape initiale, ou si elle l'est uniquement pour établir la participation d'un accusé à ce complot à la troisième étape.
[109]      L'étape initiale de la méthode d'analyse raisonnée énoncée dans l'arrêt Carter est celle où le juge des faits doit décider si l'ensemble de la preuve le convainc hors de tout doute raisonnable de l'existence du complot allégué dans l'acte d'accusation.  Si tel est le cas, la deuxième étape consiste à se demander s'il est probable, en tenant compte de la preuve directement admissible contre l'accusé, que ce dernier a participé au complot.  Si la réponse est positive, le juge des faits peut, à la troisième étape, appliquer l'exception à la règle d'exclusion du ouï-dire et tenir compte, dans la détermination de la culpabilité de l'accusé, des actes posés et des paroles prononcées par les coconspirateurs dans la poursuite du but commun.
[110]      En principe, la preuve d’une déclaration faite par une personne qui n’est pas assignée comme témoin constitue une preuve irrecevable si l’on veut en établir la véracité.  Le témoin peut toutefois relater cette déclaration si l’on cherche uniquement à établir qu’elle a été faite.  Par ailleurs, la preuve par ouï-dire est admissible lorsque visée par une des exceptions traditionnelles de Common Law dont, notamment, celle relative aux coconspirateurs et à la recevabilité des actes manifestes.
[112]      En matière de complot, la théorie des actes manifestes trouve application.  L’infraction de complot visant la rencontre des volontés pour commettre un crime, les actes manifestes, comme toute autre preuve pertinente, peuvent servir à établir sa commission.  L’acte manifeste se définit comme une action, un geste ou des paroles émanant d’un coconspirateur dans la poursuite du but commun.
[113]      À ce titre, la preuve par ouï-dire se rapportant aux éléments essentiels de l’infraction de complot et reliée à un coconspirateur est admissible pour établir l'existence du complot.  Ceci vaut lorsqu’une accusation de complot est portée et même lorsque seul le crime résultant du complot fait l’objet d’une accusation.
[115]      Ainsi, les gestes et paroles émanant de tous les coconspirateurs pouvaient être admis en preuve pour établir l’existence du complot.  Dans R. c. Sutton, la question de la preuve admissible à l'étape initiale a été analysée par le juge Drapeau de la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick qui écrit :
[18] In the case at bar, the trial judge instructed the jury that it had to be satisfied of the existence of the conspiracy alleged by the Crown on the basis of Mr. Gulliver's testimony alone.  This instruction is compliant with the approach followed by the Court in R. v. Jamieson1989 CanLII 202 (NS CA), (1989), 48 C.C.C. (3d) 287 (N.S.C.A.).  In that case, the Nova Scotia Court of Appeal ruled that hearsay evidence is not admissible in step one of the three-step process articulated in Carter.  This restrictive view is not universally accepted.  See R. v. Buell 1996 CanLII 3715 (PE SCAD), (1996), 146 Nfld. & P.E.I.R. 173 (P.E.I.C.A.), and R. v. Rowbotham, [1985] O.J. No. 1075(QL) (Ont. H.C.J.), per Ewaschuk J., reversed in part 1988 CanLII 147 (ON CA), (1988), 41 C.C.C. (3d) 1 (Ont. C.A). Moreover, it is not consonant with the principled approach that now governs the admissibility of hearsay evidence.  See R. v. Khan, 1990 CanLII 77 (SCC), [1990] 2 S.C.R. 531, 59 C.C.C. (3d) 92, R. v. Smith, 1992 CanLII 79 (SCC), [1992] 2 S.C.R. 915, 75 C.C.C. (3d) 257, and R. v. B. (K.G.),1993 CanLII 116 (SCC), [1993] 1 S.C.R. 740, 79 C.C.C. (3d) 257.
[19] In my view, all hearsay evidence that meets the criteria of necessity and reliability may be considered by the jury in step one of the process articulated above.  The trial judge's instruction on this issue is erroneous as it was open to the jury to take into account, not only Mr. Gulliver's testimony, but, as well, Mr. Merrick's recorded statements, whether in furtherance of the conspiracy or otherwise, to determine the preliminary issue of the existence of the conspiracy alleged by the Crown.  See R. v. Poirier reflex, (1986), 71 N.B.R. (2d) 9 (C.A.).  With respect, I am of the view that Professors David Paciocco and Lee Stuesser stake an overly restrictive position when they suggest that only declarations in furtherance of the conspiracy are admissible in step one.  See David M. Paciocco and Lee Stuesser in The Law of Evidence, 2nd ed. (Toronto: Irwin Law, 1999) at p. 104.  Moreover, I cannot reconcile their position with the step-by-step process required by Carter.  [Nous soulignons.]
[116]      Dans cette affaire, Gulliver était un ancien consommateur de stupéfiants agissant comme agent source pour tenter d’infiltrer un réseau de vendeurs de stupéfiants.  Un dénommé Merrick avait présenté Gulliver à l’accusé Sutton.  Au procès, les conversations enregistrées entre Merrick et Gulliver furent déposées en preuve.  Les propos tenus par Merrick pouvaient servir à étayer la crédibilité de Gulliver lorsqu’il affirmait s'être entendu avec l’accusé pour une transaction de drogue.  L’analyse faite par le juge Drapeau reflète l’incertitude du droit quant à la preuve pouvant être utilisée à l'étape initiale de la méthode Carter, soit celle où le jury doit décider si l’ensemble de la preuve le convainc hors de tout raisonnable de l’existence du complot.
[117]      La Cour suprême, sous la plume de la juge en chef McLachlin, tranche la question de la manière suivante :
Premièrement, les parties conviennent que, dans son exposé sur l’étape initiale du critère de l’arrêt Carter, le juge du procès a indiqué à tort au jury qu’il devait se fonder « uniquement sur le témoignage de M. Gulliver » pour déterminer s’il était convaincu, hors de tout doute raisonnable, de l’existence d’un complot ou d’un projet commun de trafic de cocaïne.  De ce fait, le jury était dans l’impossibilité d’examiner des éléments de preuve que les deux parties estiment être admissibles à cet égard :  le témoignage des policiers sur ce qu’ils ont observé et le sac de cocaïne.
[…]
À la première étape du critère, le jury a été effectivement mis dans l’impossibilité d’examiner des éléments de preuve qui, selon les deux parties, étaient admissibles lorsqu’il s’agissait pour le jury de déterminer s’il était convaincu qu’il y avait eu complot.
[118]      Cette méthode d’analyse de l’ensemble de la preuve, à l'étape initiale, est celle qui doit être privilégiée.  Pour prouver l’existence d’un complot, l'ensemble de la preuve est admissible.  À cette étape, il s'agit de prouver l’entente intervenue entre les membres du complot pour la commission d’un acte illégal.  Comme il s’agit d’un crime impliquant deux ou plusieurs personnes, toute la preuve les reliant est pertinente.  D’ailleurs, à ce stade, la participation de l’accusé n’est pas en cause.  La question à cette étape est plutôt de déterminer si un complot a existé sans égard aux parties.  C’est le sens des propos du juge McIntyre – qui a rendu jugement, pour la Cour, dans Carter – lorsqu’il mentionne, plus tard, dans Barrow :
Il peut souvent arriver qu'en établissant hors de tout doute raisonnable l'existence d'un complot, on puisse aussi établir l'identité de certains des conspirateurs.  Dans certains cas et pour certains conspirateurs, il peut ne pas être nécessaire d'avoir recours à l'exception à la règle du ouï-dire, mais il n'en est pas toujours ainsi.  Il est tout à fait possible et loin d'être rare que l'on soit convaincu hors de tout doute raisonnable, d'après l'ensemble de la preuve soumise, qu'un complot, pour les fins alléguées dans l'acte d'accusation, a existé, tout en demeurant dans l'incertitude quant à l'identité de toutes les personnes qui y ont participé. Une fois qu'on a compris cela, il devient évident que l'argument de l'appelant est sans fondement. Au cours de cette première étape, ce qui est examiné, c'est l'existence du complot, et non pas l'identité de ceux qui y ont participé.  À ce stade, l'exception à la règle du ouï-dire est inapplicable. [Nous soulignons.]
[119]      Cet énoncé exprime que l'étape initiale ne vise pas à déterminer l'identité des participants.  À cette étape, seule l’existence du complot est analysée et c'est dans ce contexte que l'ensemble de la preuve de nature à établir l'existence d'un complot est admise.  Ainsi, l’exception de la règle du ouï-dire, qui rend l’accusé imputable pour les gestes posés et les propos tenus par les coconspirateurs dans la poursuite du but commun, n'entrera en jeu qu’à la troisième étape, soit au moment de déterminer si la preuve établit hors de tout doute raisonnable la participation de l’accusé à ce complot.  Cette troisième étape n'intervient qu'une fois la deuxième franchie, c'est-à-dire que l’analyse de la probabilité de la participation de l’accusé au complot a été faite uniquement à partir de la preuve directement recevable contre lui.
[120]      La thèse des appelants quant à la nécessité d'évaluer d'abord la valeur probante de la preuve eu égard au préjudice ne peut être retenue si l’on considère que la Cour suprême a expressément rejeté l’approche du voir-dire pour déterminer si le juge accepte ou exclut cette preuve.  C'est donc dire que toute la preuve impliquant les coconspirateurs est admissible à la première étape, mais qu'elle ne pourra servir que plus tard à établir la culpabilité d'un accusé, en application de la théorie des actes manifestes.
[121]      Il s'agit de l'approche retenue par le juge Beauregard, dans R. c. Tremblayalors qu'un témoin avait rapporté les propos du président d’un club de motards voulant que des membres de Laval soient invités à Lennoxville où on se proposait de les tuer.  Il écrit :
[15] Je suis d’opinion que l’élément de preuve était recevable et que la soi-disant exception à la règle du ouï-dire ne trouvait pas application.
[16] Il y a application de cette exception lorsqu’il s’agit de prouver, non pas l’existence d’un complot, mais la participation d’un accusé à ce complot.
[122]      En effet, il n'y a pas application de l'exception lors de la première étape puisque la preuve de ouï-dire ne sert pas à établir la culpabilité de l'accusé, mais uniquement l'existence du complot.
[123]      Plus récemment, dans une affaire où la fiabilité de l’exception était contestée au regard de l’admissibilité d’une déclaration faite par un autre coconspirateur que celui qui la rapportait, la juge en chef McLachlin, dans R. c. Mapara, fait l’analogie avec la preuve de res gestaepour conclure que cette déclaration est fiable puisqu’elle a été faite dans le cadre de la perpétration de l’infraction.
[124]      Conséquemment, la preuve de ouï-dire est admissible pour établir l'existence du complot.

Les principes fondamentaux relatifs à l’admissibilité d’une nouvelle preuve en appel

Couture c. R., 2007 QCCA 1609 (CanLII)


[30]           Les principes fondamentaux relatifs à l’admissibilité d’une nouvelle preuve en appel ont été énoncés dans l’arrêt R. c. Palmer.  Ces critères de recevabilité ont été réitérés, de façon constante, par les tribunaux .
[31]           Ces critères peuvent être résumés ainsi :
1.      la preuve nouvelle, malgré la diligence raisonnable de la partie, n'était pas disponible en première instance;
2.      la preuve nouvelle doit être pertinente, porter sur une question décisive ou potentiellement décisive;
3.      la preuve doit être plausible;
4.      cette preuve, si l'on y ajoute foi, aurait influé sur le résultat du procès.

L'infraction de complot

Valcourt c. R., 2007 QCCA 59 (CanLII)

Lien vers la décision

[43]           L'infraction de complot est une infraction distincte du crime substantif que l'on a tenté de commettre ou commis. Conspirer, c'est s'entendre pour commettre un crime et l'entente est l'élément déterminant. Il faut de plus que la poursuite établisse l'intention de l'accusé de conclure une entente, d'y participer et de réaliser l'objet de cette entente : R. c. Giguère2002 CanLII 21050 (QC CA), [2002] R.J.Q. 888 (C.A.); R. c. Lacoursière2002 CanLII 41284 (QC CA), [2003] R.J.Q. 12 (C.A.); R. c. Comeau1991 CanLII 3541 (QC CA), [1992] R.J.Q. 339 confirmé à 1992 CanLII 47 (CSC), [1992] 3 R.C.S. 473; Lamontagne c. R., J.E. 99-2308 (C.A.).
[48]           Or, la commission d'un crime par plusieurs personnes n'emporte pas nécessairement une conclusion de l'existence d'une entente. Comme le mentionnait l'honorable Dickson dans l'arrêt R. c. Cotroni :
L'enquête importante ne porte pas sur les actes accomplis conformément à l'entente, mais plutôt sur la question de savoir s'il existe vraiment une entente.
[49]           Il faut se garder de confondre l'infraction de complot des modalités de la participation criminelle qui peuvent engendrer la responsabilité criminelle d'un complice (article 21 (1) C.cr.).

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Le ré-interrogatoire

R. v. Lavoie, 2000 ABCA 318 Lien vers la décision Re-examination of Stephen Greene, Re-cross-examination of Stephen Greene   [ 46 ]        T...