Lagacé c. R., 2013 QCCA 1266 (CanLII)
[53] Enfin, l'avocate de la poursuite a demandé à l'appelant de commenter certains témoignages et de donner son opinion sur la véracité de ces versions :
Q. Dans votre récit aujourd'hui, vous livrez au jury. Il y a des choses que vous pensez, comme les autres ont fait. Les autres ont menti, selon vous. C'est ça?
R. Bien, si on y va selon ce qui est supposé. Quand qu'on fait une déclaration assermentée, vous êtes supposé de dire pratiquement mot pour mot ce qui est arrivé à la Cour dans votre déclaration. Donc, quelqu'un… C'est arrivé souvent que mon avocat sans être témoin est arrivé : « Ah! Vous êtes sûr que vous avez dit ça? Pouvez-vous me dire ça sur la déclaration? » « Ah! Je suis plus sûr. » « Comment ça? » Donc, moi j'appelle ça un mensonge.
Q. Donc, monsieur Lagacé, ma question est simple.
R. Oui.
Q. Les gens, selon vous, ont menti?
R. Certains, sur certains faits.
[54] Un tel contre-interrogatoire, qui est inéquitable, est interdit en ce qu'il enfreint la présomption d'innocence, comme le précise le juge Doherty dans R. v. R.H. :
3 The cross-examination violated the well-known principle stated in cases going back to R. v. Markadonis, 1935 CanLII 44 (SCC), [1935] S.C.R. 657, that it is improper to ask an accused for his opinion of the veracity of another witness. The question is unfair and where, as here, that witness is the person making the central allegation against the accused, the question undermines the presumption of innocence. As the authors of McWilliams' Canadian Criminal Evidence note at 27-23, the question also forces the accused to advocate the case when his role is to testify as a witness: see Mr. Justice S. Casey Hill, David M. Tanovich and Louis P. Strezos, eds.,McWilliams' Canadian Criminal Evidence, loose-leaf, 4th ed. (Aurora, ON: Canada Law Book, 2009).
[55] Les auteurs Béliveau et Vauclair signalent ceci :
D'entrée de jeu, on doit mentionner qu'il est évidemment interdit de contre-interroger le témoin en rapport avec la déclaration fournie par une autre personne ou de demander à l'accusé de commenter sa crédibilité ou d'expliquer pourquoi ses accusateurs mentiraient devant la cour; cela a en pratique pour effet de l'obliger à prouver que ceux-ci ont tort.
[56] Parmi les très nombreux arrêts et jugements qui dénoncent un tel contre-interrogatoire, mentionnons R. c. X, alors que la juge Thibault écrit :
90 Je ne peux cependant pas taire le caractère hautement inapproprié du procédé utilisé par le ministère public, soit d'avoir contre-interrogé l'appelant et les témoins de la défense, pour connaître leur opinion quant à la véracité d'une déclaration d'un autre témoin. Dans T.(A.). c. R., le juge Morris Fish, alors juge à notre Cour, a dénoncé l'illégalité d'une telle approche :
For at least seventy years it has been considered abusive and improper in Canada for Crown counsel to cross-examine the accused on his or her opinion as to the veracity of prosecution witnesses.
[57] Encore très récemment, dans R. c. Genest, le juge Kasirer écrivait :
88 L'intimée concède que l'avocat du ministère public n'avait pas le droit de questionner l'appelant sur la crédibilité des témoins. […]
[58] Il faut croire que le message passe mal.
[59] Tous ces écarts de la poursuite, dont l'effet préjudiciable n'a pas été contré par une directive particulière, me convainquent que le procès fut inéquitable, ce qui commande un nouveau procès. Par ailleurs, même si la disposition réparatrice du paragr. 686(1)b)(iii) C.cr.s'appliquait, je ne peux dire que la preuve est accablante. À titre d’exemple, seul Antoine Mailhot-Caron identifie l’accusé comme étant celui qui a porté les coups de couteau.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire