jeudi 25 juillet 2013

L'examen de la méthode Carter et la preuve par ouï-dire

Couture c. R., 2007 QCCA 1609 (CanLII)


[107]        Selon les appelants, la preuve par ouï-dire ne doit pas servir à établir le complot à l'étape initiale de l'arrêt Carter.  Les appelants affirment également que l'admission de cette preuve, sans en vérifier la fiabilité et sans en soupeser la valeur probante eu égard au préjudice, a indéniablement affecté l’équité du procès.
[108]      Il s'agit donc de déterminer si cette preuve est admissible pour établir l'existence du complot, à l'étape initiale, ou si elle l'est uniquement pour établir la participation d'un accusé à ce complot à la troisième étape.
[109]      L'étape initiale de la méthode d'analyse raisonnée énoncée dans l'arrêt Carter est celle où le juge des faits doit décider si l'ensemble de la preuve le convainc hors de tout doute raisonnable de l'existence du complot allégué dans l'acte d'accusation.  Si tel est le cas, la deuxième étape consiste à se demander s'il est probable, en tenant compte de la preuve directement admissible contre l'accusé, que ce dernier a participé au complot.  Si la réponse est positive, le juge des faits peut, à la troisième étape, appliquer l'exception à la règle d'exclusion du ouï-dire et tenir compte, dans la détermination de la culpabilité de l'accusé, des actes posés et des paroles prononcées par les coconspirateurs dans la poursuite du but commun.
[110]      En principe, la preuve d’une déclaration faite par une personne qui n’est pas assignée comme témoin constitue une preuve irrecevable si l’on veut en établir la véracité.  Le témoin peut toutefois relater cette déclaration si l’on cherche uniquement à établir qu’elle a été faite.  Par ailleurs, la preuve par ouï-dire est admissible lorsque visée par une des exceptions traditionnelles de Common Law dont, notamment, celle relative aux coconspirateurs et à la recevabilité des actes manifestes.
[112]      En matière de complot, la théorie des actes manifestes trouve application.  L’infraction de complot visant la rencontre des volontés pour commettre un crime, les actes manifestes, comme toute autre preuve pertinente, peuvent servir à établir sa commission.  L’acte manifeste se définit comme une action, un geste ou des paroles émanant d’un coconspirateur dans la poursuite du but commun.
[113]      À ce titre, la preuve par ouï-dire se rapportant aux éléments essentiels de l’infraction de complot et reliée à un coconspirateur est admissible pour établir l'existence du complot.  Ceci vaut lorsqu’une accusation de complot est portée et même lorsque seul le crime résultant du complot fait l’objet d’une accusation.
[115]      Ainsi, les gestes et paroles émanant de tous les coconspirateurs pouvaient être admis en preuve pour établir l’existence du complot.  Dans R. c. Sutton, la question de la preuve admissible à l'étape initiale a été analysée par le juge Drapeau de la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick qui écrit :
[18] In the case at bar, the trial judge instructed the jury that it had to be satisfied of the existence of the conspiracy alleged by the Crown on the basis of Mr. Gulliver's testimony alone.  This instruction is compliant with the approach followed by the Court in R. v. Jamieson1989 CanLII 202 (NS CA), (1989), 48 C.C.C. (3d) 287 (N.S.C.A.).  In that case, the Nova Scotia Court of Appeal ruled that hearsay evidence is not admissible in step one of the three-step process articulated in Carter.  This restrictive view is not universally accepted.  See R. v. Buell 1996 CanLII 3715 (PE SCAD), (1996), 146 Nfld. & P.E.I.R. 173 (P.E.I.C.A.), and R. v. Rowbotham, [1985] O.J. No. 1075(QL) (Ont. H.C.J.), per Ewaschuk J., reversed in part 1988 CanLII 147 (ON CA), (1988), 41 C.C.C. (3d) 1 (Ont. C.A). Moreover, it is not consonant with the principled approach that now governs the admissibility of hearsay evidence.  See R. v. Khan, 1990 CanLII 77 (SCC), [1990] 2 S.C.R. 531, 59 C.C.C. (3d) 92, R. v. Smith, 1992 CanLII 79 (SCC), [1992] 2 S.C.R. 915, 75 C.C.C. (3d) 257, and R. v. B. (K.G.),1993 CanLII 116 (SCC), [1993] 1 S.C.R. 740, 79 C.C.C. (3d) 257.
[19] In my view, all hearsay evidence that meets the criteria of necessity and reliability may be considered by the jury in step one of the process articulated above.  The trial judge's instruction on this issue is erroneous as it was open to the jury to take into account, not only Mr. Gulliver's testimony, but, as well, Mr. Merrick's recorded statements, whether in furtherance of the conspiracy or otherwise, to determine the preliminary issue of the existence of the conspiracy alleged by the Crown.  See R. v. Poirier reflex, (1986), 71 N.B.R. (2d) 9 (C.A.).  With respect, I am of the view that Professors David Paciocco and Lee Stuesser stake an overly restrictive position when they suggest that only declarations in furtherance of the conspiracy are admissible in step one.  See David M. Paciocco and Lee Stuesser in The Law of Evidence, 2nd ed. (Toronto: Irwin Law, 1999) at p. 104.  Moreover, I cannot reconcile their position with the step-by-step process required by Carter.  [Nous soulignons.]
[116]      Dans cette affaire, Gulliver était un ancien consommateur de stupéfiants agissant comme agent source pour tenter d’infiltrer un réseau de vendeurs de stupéfiants.  Un dénommé Merrick avait présenté Gulliver à l’accusé Sutton.  Au procès, les conversations enregistrées entre Merrick et Gulliver furent déposées en preuve.  Les propos tenus par Merrick pouvaient servir à étayer la crédibilité de Gulliver lorsqu’il affirmait s'être entendu avec l’accusé pour une transaction de drogue.  L’analyse faite par le juge Drapeau reflète l’incertitude du droit quant à la preuve pouvant être utilisée à l'étape initiale de la méthode Carter, soit celle où le jury doit décider si l’ensemble de la preuve le convainc hors de tout raisonnable de l’existence du complot.
[117]      La Cour suprême, sous la plume de la juge en chef McLachlin, tranche la question de la manière suivante :
Premièrement, les parties conviennent que, dans son exposé sur l’étape initiale du critère de l’arrêt Carter, le juge du procès a indiqué à tort au jury qu’il devait se fonder « uniquement sur le témoignage de M. Gulliver » pour déterminer s’il était convaincu, hors de tout doute raisonnable, de l’existence d’un complot ou d’un projet commun de trafic de cocaïne.  De ce fait, le jury était dans l’impossibilité d’examiner des éléments de preuve que les deux parties estiment être admissibles à cet égard :  le témoignage des policiers sur ce qu’ils ont observé et le sac de cocaïne.
[…]
À la première étape du critère, le jury a été effectivement mis dans l’impossibilité d’examiner des éléments de preuve qui, selon les deux parties, étaient admissibles lorsqu’il s’agissait pour le jury de déterminer s’il était convaincu qu’il y avait eu complot.
[118]      Cette méthode d’analyse de l’ensemble de la preuve, à l'étape initiale, est celle qui doit être privilégiée.  Pour prouver l’existence d’un complot, l'ensemble de la preuve est admissible.  À cette étape, il s'agit de prouver l’entente intervenue entre les membres du complot pour la commission d’un acte illégal.  Comme il s’agit d’un crime impliquant deux ou plusieurs personnes, toute la preuve les reliant est pertinente.  D’ailleurs, à ce stade, la participation de l’accusé n’est pas en cause.  La question à cette étape est plutôt de déterminer si un complot a existé sans égard aux parties.  C’est le sens des propos du juge McIntyre – qui a rendu jugement, pour la Cour, dans Carter – lorsqu’il mentionne, plus tard, dans Barrow :
Il peut souvent arriver qu'en établissant hors de tout doute raisonnable l'existence d'un complot, on puisse aussi établir l'identité de certains des conspirateurs.  Dans certains cas et pour certains conspirateurs, il peut ne pas être nécessaire d'avoir recours à l'exception à la règle du ouï-dire, mais il n'en est pas toujours ainsi.  Il est tout à fait possible et loin d'être rare que l'on soit convaincu hors de tout doute raisonnable, d'après l'ensemble de la preuve soumise, qu'un complot, pour les fins alléguées dans l'acte d'accusation, a existé, tout en demeurant dans l'incertitude quant à l'identité de toutes les personnes qui y ont participé. Une fois qu'on a compris cela, il devient évident que l'argument de l'appelant est sans fondement. Au cours de cette première étape, ce qui est examiné, c'est l'existence du complot, et non pas l'identité de ceux qui y ont participé.  À ce stade, l'exception à la règle du ouï-dire est inapplicable. [Nous soulignons.]
[119]      Cet énoncé exprime que l'étape initiale ne vise pas à déterminer l'identité des participants.  À cette étape, seule l’existence du complot est analysée et c'est dans ce contexte que l'ensemble de la preuve de nature à établir l'existence d'un complot est admise.  Ainsi, l’exception de la règle du ouï-dire, qui rend l’accusé imputable pour les gestes posés et les propos tenus par les coconspirateurs dans la poursuite du but commun, n'entrera en jeu qu’à la troisième étape, soit au moment de déterminer si la preuve établit hors de tout doute raisonnable la participation de l’accusé à ce complot.  Cette troisième étape n'intervient qu'une fois la deuxième franchie, c'est-à-dire que l’analyse de la probabilité de la participation de l’accusé au complot a été faite uniquement à partir de la preuve directement recevable contre lui.
[120]      La thèse des appelants quant à la nécessité d'évaluer d'abord la valeur probante de la preuve eu égard au préjudice ne peut être retenue si l’on considère que la Cour suprême a expressément rejeté l’approche du voir-dire pour déterminer si le juge accepte ou exclut cette preuve.  C'est donc dire que toute la preuve impliquant les coconspirateurs est admissible à la première étape, mais qu'elle ne pourra servir que plus tard à établir la culpabilité d'un accusé, en application de la théorie des actes manifestes.
[121]      Il s'agit de l'approche retenue par le juge Beauregard, dans R. c. Tremblayalors qu'un témoin avait rapporté les propos du président d’un club de motards voulant que des membres de Laval soient invités à Lennoxville où on se proposait de les tuer.  Il écrit :
[15] Je suis d’opinion que l’élément de preuve était recevable et que la soi-disant exception à la règle du ouï-dire ne trouvait pas application.
[16] Il y a application de cette exception lorsqu’il s’agit de prouver, non pas l’existence d’un complot, mais la participation d’un accusé à ce complot.
[122]      En effet, il n'y a pas application de l'exception lors de la première étape puisque la preuve de ouï-dire ne sert pas à établir la culpabilité de l'accusé, mais uniquement l'existence du complot.
[123]      Plus récemment, dans une affaire où la fiabilité de l’exception était contestée au regard de l’admissibilité d’une déclaration faite par un autre coconspirateur que celui qui la rapportait, la juge en chef McLachlin, dans R. c. Mapara, fait l’analogie avec la preuve de res gestaepour conclure que cette déclaration est fiable puisqu’elle a été faite dans le cadre de la perpétration de l’infraction.
[124]      Conséquemment, la preuve de ouï-dire est admissible pour établir l'existence du complot.

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