lundi 29 juillet 2013

Le silence avant procès de l'accusé ne peut lui être reproché pour servir de base à une déclaration de culpabilité ou plus simplement pour rejeter sa version

Lagacé c. R., 2013 QCCA 1266 (CanLII)

Lien vers la décision

[20]        Par ailleurs, une particularité doit être soulignée. La déclaration verbale a été notée par un policier. Or, le texte de cette déclaration n'a jamais été lu ou autrement mis en preuve, si ce n'est par quelques questions et réponses en contre-interrogatoire qui ne permettent pas d'en connaître tout le contenu. Pourtant, le juge de première instance en a pris connaissance, aux fins de ses directives, mais le document n'a pas été mis au dossier, ne serait-ce qu’aux fins de consultation ultérieure. Cette façon de faire prive malheureusement la Cour de données dont ont eu connaissance les parties et le juge en préparant ses directives. Le sort de l'appel n'en dépend pas, mais je tenais à le mentionner pour que l'on comprenne la situation dans laquelle se trouve la Cour, qui ne peut savoir ce que le juge a vu dans le texte de la déclaration et ne peut évaluer l'impact que cela a pu avoir sur ses directives.

[
23]        Le droit au silence, tant durant l'enquête policière que durant le procès, est protégé par cet article :
De plus, le droit de garder le silence est maintenant reconnu comme un principe fondamental de notre système juridique et il bénéficie à ce titre de la protection de la Charte canadienne des droits et libertés.  En tant que principe fondamental de notre droit, il relève de l'art. 7de la Charte. Voir R. v. Woolley1988 CanLII 196 (ON CA), (1988), 40 C.C.C. (3d) 531 (C.A. Ont.), et particulièrement l'arrêt Hebert c. La Reine1990 CanLII 118 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 151.  Il s'ensuit qu'un inculpé a le droit de garder le silence aussi bien au stade de l'enquête qu'au procès.
Il a été reconnu en outre que, comme il y a un droit de garder le silence, ce serait tendre un piège que de prévenir l'accusé qu'il n'est pas tenu de répondre aux questions du policier, pour ensuite soumettre en preuve que l'accusé s'est manifestement prévalu de son droit en gardant le silence face à une question tendant à établir sa culpabilité.
[24]        On ne peut donc reprocher à l'accusé de s'être prévalu de ce droit au cours de l'enquête policière. Règle générale, on ne peut davantage porter à l'attention du jury le fait qu'il a gardé le silence en présence des policiers, ni les raisons qui l'ont motivé à agir ainsi.
[25]        Évidemment, il est des cas très particuliers où le silence peut-être mis en preuve, à la condition toutefois que ce silence soit devenu un fait en litige. Par exemple, si l'accusé prétend avoir donné le nom du coupable aux policiers, alors que ces derniers affirment qu'ils ne leur a rien dit, son silence, tel qu'évoqué par les policiers, devient alors une question en litige, ce qui peut justifier la poursuite d'en faire la preuve. Ce fut le cas dans R. v. G.A.O., alors que la Cour d'appel de l'Alberta écrit :
12 If an accused's pre-trial silence is or becomes a fact-in-issue in the trial, that evidence can be received to prove that fact. However, evidence thus admitted is relevant only to the issue for which it was tendered; it cannot be used as the basis of an adverse inference of guilt when it was not admissible for that purpose.
[26]        Dans cette affaire, l'accusé, en interrogatoire, avait affirmé avoir dit aux policiers qu’il était innocent. La poursuite contestait qu'il ait dit quoi que ce soit, de sorte que l'existence même de la déclaration devenait objet de litige. La poursuite avait fait entendre un policier pour contrer cette allégation. Le policier a nié que l'accusé lui ait fait une déclaration. La poursuite pouvait donc plaider la contradiction entre le témoignage de l'accusé et l'absence de déclaration antérieure. Par contre, elle était allée trop loin en suggérant que le silence de l'appelant pouvait être un indice de sa culpabilité.
[27]        Même s'il avait correctement expliqué au jury que le témoignage du policier pouvait servir à évaluer la crédibilité de l'accusé, le juge avait toutefois erronément omis de donner une directive particulière selon laquelle ce silence ne pouvait être utilisé pour inférer sa culpabilité.
[28]        On voit donc que, même si, exceptionnellement, la preuve de l'exercice du droit au silence peut être autorisée, il demeure que le jury doit être informé de l'utilisation limitée qui peut en être faite.
[29]        À cet égard, R. v. Rohde, est aussi intéressant. Voici ce qu'écrit le juge Laskin pour la Cour d'appel de l'Ontario :
19 Recently, in R. v. Palmer2008 ONCA 797 (CanLII), 2008 ONCA 797, this court adopted a similar view. The accused, Ms. Palmer, had been charged with possession of cocaine for the purpose of trafficking and possession of the proceeds of crime. At trial, she gave an exculpatory explanation for her possession of the cocaine. In rejecting her explanation, the trial judge said:
This is not a case of the Court being critical of someone not speaking. That of course is their inalienable right not to speak to police, but having chosen to do so, she failed to avail herself of the opportunity to offer an explanation which she now advances was so simple and obvious to give.
In my view, that failure to do so serves to diminish any weight to be given to her explanation now offered and her explanation is rejected based on these reasons. Having rejected her evidence, neither am I left in any doubt by it when considered together with the evidence as a whole.
20 This court held, at para. 9, that the trial judge erred by using Ms. Palmer's silence to reject her evidence:
It was open to the trial judge to reject the appellant's explanation given at trial because it was not believable and to use that finding in assessing the appellant's overall credibility. However, the trial judge went further and used the appellant's silence as a basis for finding her incredible. That he was not entitled to do.
[30]        Le juge Laskin tire la même conclusion :
12 Mr. Rohde submits that the trial judge erred by using his silence - his failure to tell his story to the police - as the basis for rejecting his evidence. As I have said, I agree with this submission. In my view, the trial judge erred because she assessed Mr. Rohde's credibility as if he had put forward an alibi defence when he had not done so.
[31]        Ainsi, le silence avant procès de l'accusé ne peut lui être reproché pour servir de base à une déclaration de culpabilité ou plus simplement pour rejeter sa version, sauf en matière d'alibi, où le défaut de l'annoncer en temps utile peut en affecter la crédibilité.
[32]        Qu'en est-il alors de la décision de parler, mais de ne pas tout dire. Ce droit est-il protégé de la même manière par la Charte?
[33]        Dans R. v. G.L., le juge Blair conclut que la protection est la même. Il s'exprime ainsi :
38 It is apparent that the trial judge used the appellant's failure to deny that what happened between him and the complainant was of a sexual nature as proof that, in fact, it was. She used his failure to volunteer that the complainant at some point sat on his lap as supportive of her conclusion that the "something very bad" he acknowledged happened was something very bad of a sexual nature. In both respects she drew an adverse inference about the appellant's credibility from his silence. This, she was not permitted to do. […]
39 The appellant had a constitutional right to remain silent during any part of the police interview. That right was not extinguished simply because he chose to speak to the officer with respect to some matters and did not exercise his right to silence completely: see R. v. Chambers,1990 CanLII 47 (SCC), [1990] 2 S.C.R. 1293, at pp. 1315-1317; R. v. Marshall (2006), 77 O.R. (3d) 8 (C.A), at para. 82. The negative inferences the trial judge drew against the appellant were significant and it cannot be said the verdict would have been the same had she not made this error. This error alone would be sufficient to warrant appellate intervention.
[34]        La Cour suprême partage cet avis. Dans R. c. Turcotte, alors que l'accusé avait demandé à la police de se rendre à un certain endroit, mais avait refusé de donner les raisons pour lesquelles elle devait y aller, la juge Abella écrit, au nom de la Cour :
52 Je ne partage pas non plus l’opinion du ministère public que M. Turcotte, en se rendant au détachement et en répondant à certaines questions de la police, a renoncé à tout droit qu’il aurait autrement pu avoir.  La volonté de communiquer certains renseignements à la police ne fait pas complètement disparaître le droit d’une personne de ne pas répondre aux questions de la police.  Elle n’a pas à rester muette pour manifester son intention de l’invoquer.  Une personne peut fournir certains, aucun ou la totalité des renseignements qu’elle possède.  L’interaction volontaire avec la police, même si elle est engagée par l’intéressé, ne constitue pas une renonciation au droit de garder le silence.  Le droit de choisir de parler ou de garder le silence demeure entier tout au long de l’interaction.
54 Même avant sa mise en détention, à 10 h 6, M. Turcotte n'était pas tenu de parler à la police ou de collaborer avec elle. En refusant de répondre à certaines questions de la police, d'expliquer pourquoi il fallait envoyer une voiture au ranch Erhorn et de dire ce que la police allait y trouver, il exerçait ce droit. Même s'il avait répondu à certaines questions de la police, en refusant de répondre à d'autres questions, il se trouvait néanmoins à exercer son droit de garder le silence.
[36]        Sur ce dernier point, la juge Abella déclare :
55 Il s'agit d'un point important lorsque vient le temps de décider si la preuve relative à son silence était admissible en tant que preuve relative au comportement postérieur à l'infraction, c'est-à-dire comme preuve probante quant à la culpabilité. Le comportement postérieur à un crime n'est admissible comme preuve relative au "comportement postérieur à l'infraction" que s'il fournit une preuve circonstancielle de la culpabilité. La pertinence nécessaire n'existe plus s'il n'y a aucun lien entre le comportement et la culpabilité. La loi n'impose aucune obligation de parler à la police ou de collaborer avec elle. Ce fait, à lui seul, rompt tout lien pouvant exister entre le silence et la culpabilité. Le silence face à l'interrogatoire de la police est donc rarement admissible comme preuve relative au comportement postérieur à l'infraction parce qu'il est rarement probant quant à la culpabilité. Refuser de faire ce qu'on a le droit de refuser de faire ne révèle rien. On ne peut ni logiquement ni moralement inférer la culpabilité de l'exercice d'un droit protégé. Se servir du silence comme preuve de culpabilité donne artificiellement naissance à une obligation de répondre à toutes les questions de la police malgré l'existence d'un droit contraire.
56 Étant donné que M. Turcotte n'avait aucune obligation de parler à la police, son omission de le faire n'avait aucune pertinence; cette omission n'ayant aucune pertinence, aucune conclusion rationnelle de culpabilité ou d'innocence ne pouvait en être tirée; et cette omission n'étant pas probante quant à la culpabilité, elle ne pouvait être qualifiée, à l'intention du jury, de "comportement postérieur à l'infraction".
[38]        Bref, pour le juge, si l'accusé décide de parler à la police, il renonce à son droit au silence, même en regard de ce qu'il ne veut pas dire. Avec égards, c'est une interprétation erronée du droit.
[42]        En somme, l'avocate attaque de plein front le droit de l'appelant au silence. À trois reprises, elle laisse entendre que de ne pas collaborer avec la police affecte la crédibilité de l'appelant et peut être un indice de sa culpabilité. Ces propos ne respectent pas la règle de droit.
[44]        À mon avis, cette directive est inappropriée et surtout, insuffisante. En effet, même si la preuve en question avait été admissible, le juge devait au moins instruire le jury sur sa valeur limitée et ses dangers et l'aviser qu'il ne pouvait condamner l'appelant pour cette raison. DansTurcotte, précité, la juge Abella traite de cette question :
58 Bien qu’il ne soit pas admissible comme preuve relative au comportement postérieur à l’infraction ou à l’état d’esprit, on aurait pu soutenir que le comportement de M. Turcotte au détachement de la GRC, y compris son refus de répondre à certaines questions de la police, était admissible en tant que partie inextricable de l’exposé des faits.  Comme je l’ai déjà mentionné, la question de son admissibilité n’a été soulevée ni au procès ni en appel.  Mais après avoir admis le silence en preuve, le juge du procès devait dire au jury dans les termes les plus clairs que cette preuve ne pouvait servir à étayer une inférence de culpabilité, et ce, afin de faire contrepoids à l’impulsion intuitive de conclure que silence ne peut rimer avec innocence.  Lorsque la preuve relative au silence est admise, les jurés doivent être instruits du véritable objet de l’admission de la preuve, des inférences inacceptables à ne pas tirer de la preuve relative au silence, de la valeur probante limitée du silence et des dangers de se fonder sur une telle preuve.
[45]        Dans R. c. Peruta, l'avocat de la poursuite a suggéré, en plaidoirie, que le défaut de clamer son innocence et de dire aux policiers qu'une autre personne avait commis le meurtre était un indice de culpabilité. La Cour a conclu que « these excesses by the prosecution were illegal; particularly in the absence of adequate action by the judge, the fairness of the trial was prejudiced ».
[46]        Je n'ai aucune hésitation à convenir, comme dans le dossier Peruta, que l'équité du procès a été entachée.

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