samedi 2 janvier 2010

Facultés affaiblies par la drogue - individu qui a volontairement consommé des médicaments qui lui ont été prescrits par un médecin

R. c. Jean D. Charest, 2006 NBCP 10 (CanLII)

1. LE JUGE LEBLANC : — Le Code criminel interdit à tout individu de conduire un véhicule à moteur lorsque sa capacité de conduire un véhicule à moteur est affaiblie par l’effet de l’alcool ou d’une drogue. La Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Stellato 1994 CanLII 94 (C.S.C.), [1994] 2 R.C.S. 478 précise qu’il n’incombe pas à la poursuite d’établir par sa preuve qu’il existait chez le conducteur un degré d’intoxication constituant un écart marqué par rapport à un comportement normal. Il suffit de démontrer au-delà d’un doute raisonnable que sa capacité de conduire était affaiblie soit par l’alcool ou d’une drogue, peu importe le degré d’intoxication. Il ne suffit pas cependant de prouver que la capacité de conduire est affaiblie. La poursuite doit démontrer que l’affaiblissement est attribuable à la consommation volontaire de l’alcool ou d’une drogue, ou les deux. : R. c. Jobin (2002) J.Q. No 575 (C.A.Q.)

2. Dans cette affaire, il s’agit d’appliquer ces principes dans le contexte d’un individu qui a volontairement consommé des médicaments qui lui ont été prescrits par un médecin.

34. Selon l’arrêt R. c. Stellato supra, il ne s’agit pas de prouver que le conducteur démontrait un degré d’intoxication constituant un écart marqué par rapport à un comportement normal. Il suffit de démontrer au-delà d’un doute raisonnable que sa capacité de conduire était affaiblie peu importe à quel degré. Je n’ai pas de doute que la capacité de M. Charest d’opérer un véhicule à moteur était affaiblie selon le standard établit par l’arrêt Stellato.

35. Évidemment il ne suffit pas de prouver que la capacité de conduire était affaiblie. Conduire avec les facultés affaiblies n’est pas une infraction criminelle au Canada. Si c’était le cas, tous les automobilistes qui chauffent lorsque leurs capacités sont affaiblies par la fatigue ou pour autre raison seraient coupables de cette infraction. Ce n’est pas le cas. La poursuite doit prouver non seulement que la capacité de M. Charest était affaiblie, mais que cette capacité était affaiblie par la drogue. Est-ce que la poursuite a rencontrée ce fardeau ici ?

37. Pour qu’il y ait condamnation sous le paragraphe 253(a) du Code criminel pour conduite en état d’ébriété, la poursuite doit établir que l’état d’ébriété était causé soit par l’alcool, la drogue ou d’une combinaison des deux. Nous savons que son état d’ébriété n’était pas causé par l’alcool. A-t’il donc consommé de la drogue? Il a consommé de la Nitrazepam et de la Trazodone à une heure du matin et de la Vilafaxine à huit heures du matin. Je n’ai pas de preuve que l’accusé a consommé, avant son interpellation par la police, aucune autre substance qui pourrait constituer une drogue.

38. Est-ce que le Nitrazepam, le Trazodone ou la Vilafaxine sont de la drogue? Que constitue une drogue au sens de l’article 253(a) du Code criminel?

39. J’appuie et j’applique la décision de la Reine c. Marionchuk (1978) 4 C.R. (3d) 178, une décision de la Cour d’appel de la Saskatchewan, qui définit ce qui constitue une drogue comme suit :

“I think it can be said that the purpose of Parliament in enacting the offence of impairment was to prevent a person from driving or having the care or control of a motor vehicle while his faculties were impaired. The gravamen of the offence is the impairment and not the consumption of alcohol or drugs. While to constitute an offence under s. 234 the impairment has to be by alcohol or drugs, I do not think Parliament intended the offence of impairment to be restricted by giving to the word “drug” a narrow or technical meaning. I think Parliament intended the word “drug” to be understood as to include any substance other than alcohol or food which would bring about impairment as contemplated by s. 234 of the Criminal Code.

In my respectful view, the intention of Parliament can be achieved by giving to the word “drug” a broad and reasonable meaning. I am satisfied that this can properly be done by construing drug, not only in a medicinal sense, but as any substance or chemical agent the consumption of which will bring about impairment as contemplated by s. 234.”

40. La preuve doit donc me satisfaire que la Nitrazepam, la Trazodone ou la Vilafaxine, les produits consommés par M. Charest, contiennent des substances ou des produits chimiques qui pourraient produire un état d’ébriété chez lui.

41. Je ne peux pas prendre connaissance judiciaire de la composition chimique des médicaments. Je ne peux pas non plus prendre connaissance judiciaire de l’effet de certains médicaments sur le comportement d’un individu. Je cite l’arrêt R. c. Kurgan (1987) 2 M.V.R. (2d) 79 :

“In my view, the nature of valium does not fall within the realm of ‘common knowledge’ or ‘experience’ so as to justify the Court taking judicial notice of its properties and effects on the human body. Where the liberty of the subject is at stake, the Court must not speculate. No evidentiary foundation exists here for making any such finding. Absent expert testimony and given the presence of other factors that could account for the aberrant driving of the respondent, the Court is left with reasonable doubt that the ingestion of valium caused the impairment.”

42. Dans R. c. Hollahan 7 C.R.N.S. 307 le juge a refusé de prendre connaissance judiciaire de l’effet des capsules de Contact C.

43. Je ne peux pas non plus de ma propre initiative consulter des textes scientifiques ou autres études qui n’ont pas été mis en preuve afin de prendre connaissance des effets physiologiques de certains médicaments : R. c. Desaulniers 1994 CanLII 5909 (QC C.A.), (1994) 93 C.C.C. (3d) 371 (C.A.Q.)

44. Alors dans la cause en l’espèce, quelle preuve puis-je consulter afin de conclure que les produits consommés par M. Charest contenaient des substances ou des produits chimiques qui ont produit un état d’ébriété chez lui?

45. Aucune preuve scientifique n’a été présentée à cet effet. Comme mentionnée, je ne peux pas prendre connaissance judiciaire des effets physiologiques de ces produits. Cette preuve peut provenir de l’accusé lui-même. Par exemple, dans l’arrêt R. c. Rosskoph (1995) M.J. No 90, une décision de la Cour provinciale du Manitoba, l’accusé avait dit au gendarme qui l’avait interpellé en raison de sa conduite erratique qu’il n’avait pas consommé de l’alcool, mais de la codéine. Il a précisé qu’il avait mâché du Tylenol avec codéine toute la journée en raison d’un mal aux dents, et qu’il savait qu’il ne devait pas conduire. Or là, même en l’absence d’une preuve scientifique ou d’un témoignage de la part de l’accusé, le juge a pu conclure sa culpabilité par ses aveux au policier. Plus précisément, ces aveux étaient à l’effet qu’il avait consommé de la codéine, que la codéine était responsable pour sa conduite erratique et qu’il savait que la codéine a eu comme conséquence cette conduite erratique.

46. Je suis d’accord avec les principes cités dans Rosskoph que je peux examiner dans la cause en l’espèce toute preuve pertinente et admissible qui touche soit la consommation des drogues par l’accusé, l’effet de cette consommation sur sa capacité de conduire, et sa connaissance subjective dans le but de décider si sa capacité de conduire était affaiblie par la drogue.

49. L’accusé a aussi fait l’aveu qu’il avait consommé deux pilules de Vilafaxine, une de 75 mg, et une de 150 mg, en même temps, à huit heures du matin, pour l’aider à relaxer. Cette bouteille affichait un avertissement d’être prudent en conduisant un véhicule. Sur cette preuve je peux conclure que la Vilafaxine est une « drogue » puisqu’elle résulte dans un état de relaxation. Un médicament qui peut relaxer un individu en est un, à mon avis, qui pourrait résulter dans un état d’ébriété. Un état avancé de relaxation peut nuire à la capacité de conduire un véhicule à moteur, et par conséquent la Vilafaxine est une « drogue » selon le sens du mot utilisé dans le paragraphe 253(a) du Code criminel.

50. L’avocat de la défense argumente que je ne peux pas conclure que la consommation de médicaments en soi permet de tirer la conclusion que ses facultés étaient affaiblies par ces drogues. Je suis d’accord. Si la seule et unique preuve était à l’effet que l’accusé avait consommé la Vilafaxine à huit heures du matin, je ne pourrais pas conclure que cette consommation a résulté en l’état d’ébriété de l’accusé. Ce n’est pas la situation ici. Son aveu d’avoir consommé de la Vilafaxine pour relaxer, couplé avec l’avis d’être prudent en conduisant un véhicule à moteur affiché par une étiquette rouge sur la bouteille me permet de tirer certaines conclusions. J’arrive ainsi à la conclusion que la Vilafaxine est une drogue qui peut affaiblir la capacité de conduire un véhicule.

52. Encore une fois, aucune preuve scientifique n’a été présentée au sujet de la Vilafaxine. Il faut aussi remarquer que l’accusé n’a pas fait aucun aveu à l’effet que sa conduite affaiblie fut causée par sa consommation de Vilafaxine.

53. Nonobstant, à mon avis, la preuve présentée lors du procès me permet de conclure que l’affaiblissement de la capacité de M. Charest de conduire un véhicule à moteur était causé par sa consommation de la drogue Vilafaxine. Après tout, sa capacité était affaiblie. Les indices d’intoxication étaient évidents. Cette incapacité était causée par quelque chose. Je réalise qu’il devait être fatigué en raison de l’absence de sommeil, ayant dormi seulement 3 heures et demie sur les huit heures qu’il était couché. J’ai considéré la fatigue comme explication de son incapacité, mais je l’ai rejeté en raison du fait que la fatigue seule n’explique pas plusieurs des indices d’intoxication qu’il démontrait. Je note par exemple les résultats des tests symptomatiques. Alors qu’il était en état d’arrestation, dans un poste de police, et questionné sur sa consommation de médicaments, il ne peut pas réussir à passer ces tests. Il devait être bien réveillé durant ce temps. La fatigue n’explique pas son incapacité de réussir ces simples tests symptomatiques. Aussi, à sa sortie du garage, lorsque son véhicule est arrêté par la police, il oublie de mettre sa transmission en position de stationnement. Il venait de sortir du garage. Il ne devait pas être endormi durant ce temps. La simple fatigue n’explique pas cette erreur.

54. Je mentionne ici qu’en décidant si la capacité de l’accusé à conduire un véhicule à moteur était affaiblie par la drogue, je n’ai accordé aucun poids à l’opinion exprimé par les deux agents de la paix à cet effet. C’est une opinion de leur part. Ils ont tiré cette conclusion au garage Irving. C’est là qu’ils ont tous deux constaté que la capacité de M. Charest était affaiblie, et qu’il n’y avait pas une senteur de boisson qui provenait de son haleine. Ils sont arrivés à leurs conclusions après avoir pris connaissance de l’existence des médicaments récupérés dans le véhicule qu’il chauffait. À mon avis, cette conclusion de leur part était prématurée. Ayant exclu l’alcool et ayant trouvé le sac de médicaments, ils ont conclu que le comportement de M. Charest s’expliquait par l’intoxication causée par les médicaments prescrits. À mon avis, ces preuves soutiennent objectivement une croyance subjective de la part des agents de la paix dans l’existence de motifs raisonnables et probables de croire que M. Charest conduisait un véhicule à moteur avec les facultés affaiblies par une drogue prescrite. Cependant, je ne tiens pas compte de cette preuve en support de l’inférence que la drogue a occasionné son incapacité. En d’autres mots, au moment où les agents sont venus à la conclusion que M. Charest était en état d’ébriété en raison de la drogue prescrite, les agents ne savaient pas si M. Charest avait en effet consommé ces médicaments et ignoraient si ces médicaments avaient affecté sa façon de conduire un véhicule.

55. J’ai donc arrivé à la conclusion que la capacité de M. Charest de conduire un véhicule à moteur était affaiblie par sa consommation volontaire de la drogue Vilafaxine. Cela établit la mens rea de l’infraction prévue par le paragraphe 253(a) du Code criminel : voir la R. c. King 1962 CanLII 16 (S.C.C.), [1962] S.C.R. 746 et l’arrêt R. c. Murray reflex, (1985) 22 C.C.C. (3d) 502 où le juge Lacourcière de la Cour d’appel de l’Ontario dit à la page 504 et 505 le suivant :

“We are all agreed that the respondent’s acquittal was based on a misconception of the requisite mens rea to support a charge of impaired driving. We agree with counsel for the appellant that the necessary mens rea was established once it was shown that the respondent had voluntarily consumed a sedative drug which he knew might impair his ability to drive a motor vehicle: see R. v. King (1962) 133 C.C.C. 1… and R. v. MacCannell (1980), 54 C.C.C. (2D) 188, 6 M.V.R. 19.

…We are all of the view that proof of the respondent’s voluntary consumption of the drug supplied the necessary mens rea and that it was unnecessary for the Crown to prove, in addition, that the respondent knew that he would be impaired at the relevant time.”

56. Finalement sur ce point, l’avocat de M. Charest argumente qu’il n’y a pas de preuve que la consommation des médicaments par M. Charest n’était pas conforme à sa posologie, que vouloir relaxer au volant ne veut pas dire qu’il voulait dormir au volant. Je suis d’accord, mais j’ajoute cependant que si la capacité d’un individu de conduire un véhicule à moteur est affaiblie par la consommation des médicaments, il risque être condamné d’une infraction visée à l’article 253 s’il prend cette drogue volontairement sachant que ses facultés seront ainsi affaiblies, peu importe la posologie. Une personne ne peut pas s’esquiver d’une condamnation de conduite avec facultés affaiblies par la consommation de drogue tout simplement en suivant la posologie pour ce médicament. Si la posologie crée une incapacité qui rend un individu inhabile de conduire une auto au point que sa capacité de conduire est affaiblie, il ne peut pas s’en sortir seulement par le commentaire qu’il a suivi la posologie.

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