R. c. Robillard, 2003 CanLII 29846 (QC C.Q.)
[37] Il est par ailleurs particulièrement approprié d'exposer le point de vue énoncé par le juge Proulx, aux pages 1 et 2 de ses notes, alors qu'il donne aux juges d'instance une directive assez claire quant à la façon de situer l'emprisonnement avec sursis en regard des crimes de fraude:
"Quant à l'opportunité du sursis à l'emprisonnement dans ces matières, la Cour d'appel de l'Ontario, dans l'arrêt R. v. Pierce 1997 CanLII 3020 (ON C.A.), (1997), 114 C.C.C. (3d) 23, précise que dans les cas de malhonnêteté qui se distinguent particulièrement par un abus de confiance, la détermination de la peine doit souligner la gravité des infractions et le sursis doit être écarté. D'ailleurs, la même Cour d'appel dans l'arrêt R. v. Wismayer 1997 CanLII 3294 (ON C.A.), (1997), 115 C.C.C. (3d) 18, sous la plume du juge Rosenberg, a affirmé que la dissuasion générale, en tant que principe pouvant légitimer la décision de ne pas imposer l'emprisonnement avec sursis, doit primer dans le cas de ces infractions, notamment les fraudes systématiquement planifiées et structurées commises par des personnes qui abusent de la confiance de leur employeur, comme dans l'arrêt Pierce et celui qui prévaut en l'espèce. À mon avis, non seulement la dissuasion générale mais le juste dû et la dénonciation constituent également des objectifs prééminents. Néanmoins, ce principe ne saurait être absolu puisque chaque cas doit être soumis à l'examen judiciaire à la lumière des éléments qui lui sont propres.
En l'espèce, je serais tenté de dire que si le véritable débat que suscite ce pourvoi se résume, en apparence, à déterminer si le sursis à l'emprisonnement est une mesure appropriée, en réalité ce débat laisse probablement les tenants de chaque thèse aussi insatisfaits les uns que les autres, vu l'absence d'une solution satisfaisante qui pourrait répondre aux objectifs fondamentaux de la peine. J'ajouterais que la situation actuelle me laisse d'autant plus insatisfait que je suis loin d'être sûr que la peine suggérée par le Ministère public en première instance reflète suffisamment la gravité du délit."
[38] On réalise dès lors que, tout en ayant recours à des propos assez directs, non seulement le juge Proulx estime que la dénonciation, la dissuasion générale et le "juste dû" font obstacle à l'emprisonnement avec sursis en pareil cas, mais encore que la peine de détention ferme réclamée par le Poursuivant en première instance était trop clémente dans les circonstances. Or, faut-il le souligner, c'est à la peine de détention ferme de 12 mois suggérée en première instance par le Ministère public que la délinquante a en principe subséquemment été condamnée par la Cour d'appel.
[39] Par ailleurs, dans l'affaire Procureur général du Québec c. Denise Baulne-Bouchard, J.E. 2001-1357 (C.Q.), le juge Normand Bonin devait imposer une peine à une employée de Caisse populaire qui avait fraudé l'institution d'une somme de 94 155,12 $ en contractant, sur une période d'un peu plus de trois ans, 19 prêts au nom de son fils handicapé intellectuel et de sa sœur, mais à l'insu de ces derniers. En prononçant une peine de détention ferme de 12 mois au terme d'une revue exhaustive de la jurisprudence pertinente, le juge d'instance reprend les enseignements de la Cour d'appel, qu'il résume dans les termes suivants à la page 7 de son jugement:
"Bien qu'aucune infraction ne soit exclue du champ d'application du régime d'octroi de l'emprisonnement avec sursis, la jurisprudence a clairement indiqué que les crimes de fraude de personnes en autorité et en confiance à l'égard de leur employeur méritent généralement une peine d'incarcération. Jusqu'ici, les tribunaux ont considéré l'emprisonnement avec sursis lorsque des considérations particulières aux événements reliés à la fraude et à l'accusé mettaient en évidence que la commission du crime ait été réalisée alors que l'accusé souffrait de désordre émotif, psychologique, avait des difficultés importantes ou encore, avait fait une remise en question telle que l'ensemble de la communauté, y compris les personnes en pareille position de confiance au sein d'une corporation, comprendraient le sens dissuasif de la sentence, malgré un emprisonnement au sein de la communauté. En l'espèce, le Tribunal est d'avis qu'il n'est pas possible de combiner les objectifs punitifs et correctifs par l'octroi d'un sursis à l'emprisonnement. Les seuls facteurs atténuants, dans le présent dossier, sont le fait que l'accusée est sans antécédents, qu'elle est âgée de 51 ans et qu'elle a consulté, à quelques occasions, un thérapeute. Elle semble cependant l'avoir fait davantage en lien avec la détresse associée à la détermination de la peine, qu'avec une détresse préalable à la commission des infractions. En l'espèce, aucun effort sérieux n'a été fait pour tenter de rembourser la victime et même l'offre qui est faite est loin d'être raisonnable. L'accusée explique aussi qu'elle et son conjoint prennent soin de leur fils handicapé intellectuellement de 25 ans, qui travaille à la station d'essence avec eux. D'une part, son conjoint est présent pour s'occuper de lui; d'autre part, est-il nécessaire de rappeler qu'elle s'est servie du nom de son fils handicapé pour faire certains emprunts frauduleux."
[40] On ne peut qu'être frappé, à la lecture des motifs du juge Bonin, par l'apparente adéquation entre le degré de responsabilité pénale qu'avait à supporter cette délinquante et celui qui est imputable à madame Robillard dans la présente affaire. Lorsque le juge réfère, par exemple, à une détresse psychologique davantage reliée à la détresse associée à la détermination de la peine qu'à la détresse préalable à la commission de l'infraction, lorsqu'il souligne l'absence d'effort sérieux pour rembourser la victime, et lorsqu'il évoque la mince offre de remboursement qui est déraisonnable dans les circonstances, il se trouve à aborder certains aspects du présent dossier qui sont clairement ressortis de l'enquête sentencielle.
[41] Le Tribunal a finalement pris connaissance d'une troisième décision, plus récente celle-là, rendue le 3 avril 2003 par le juge Michel L. Auger dans l'affaire La Reine c. Guylaine Thibeault, J.E. 2003-1129 (C.Q.): le juge a alors imposé une peine de détention ferme de 15 mois à une employée qui avait commis une fraude totalisant 28 000 $ à l'égard de son employeur, fraude par ailleurs échelonnée sur plus de quatre mois. Cette employée avait en outre un antécédent en semblable matière, pour lequel elle avait été condamnée à 12 mois de prison ferme en 1993, alors que le créneau sentenciel de l'emprisonnement avec sursis n'existait pas encore en droit pénal canadien. Au surplus, le dossier de récidive dont était saisi le juge Auger revêtait un caractère odieux en raison du fait que la victime était le conjoint d'une amie de longue date de l'accusée et que l'employeur avait voulu lui donner l'occasion de refaire sa vie en la gardant au service de son entreprise: l'employeur avait en effet appris, huit ou neuf mois après son embauche, que l'employée avait déjà été condamnée pour une fraude à l'endroit de son employeur de l'époque, mais il lui avait néanmoins fait confiance en la gardant à son service.
[42] Reprenant les principes qui se dégagent de la jurisprudence, le juge Auger expose dans les termes suivants ce qu'il retient de ces enseignements, à la page 9 de sa décision:
"Pour terminer, le Tribunal réfère les parties au paragraphe 42 de la décision de Ginette Juteau précédemment citée où l'honorable Michel Proulx s'exprime ainsi: "Quant à l'opportunité du sursis à l'emprisonnement dans ces matières, la Cour d'appel de l'Ontario, dans l'arrêt R. v. Pierce 1997 CanLII 3020 (ON C.A.), (1997), 114 C.C.C. (3d) 23 (Ont. C.A.), précise que dans les cas de malhonnêteté qui se distinguent particulièrement par un abus de confiance, la détermination de la peine doit souligner la gravité des infractions et le sursis doit être écarté"."
[43] On est dès lors en mesure d'observer une constante dans la façon dont les tribunaux abordent la possibilité d'imposer une peine d'emprisonnement avec sursis lorsqu'il s'agit de fraudes commises dans le cadre de relations employé-employeur: la détention ferme est la règle et l'emprisonnement avec sursis l'exception, cette exception n'étant par ailleurs accessible que lorsque des circonstances atténuantes particulières le justifient. Or, de telles circonstances n'existent pas dans la présente affaire.
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