mardi 16 avril 2013

Revue du droit par la Cour suprême sur la défense de contrainte

R. c. Ryan, 2013 CSC 3 (CanLII)

Lien vers la décision

(2) La contrainte comme moyen de défense prévu par la loi, après l’arrêt Ruzic

[43] Que reste‑t‑il donc de l’art. 17 après l’arrêt Ruzic? La Cour n’a pas invalidé complètement l’art. 17, ne le déclarant inconstitutionnel qu’« en partie » (par. 1). Par conséquent, les quatre conditions nécessaires pour invoquer le moyen de défense prévu par la loi demeurent inchangées après l’arrêt Ruzic :

1. il doit y avoir une menace de causer la mort ou des lésions corporelles visant l’accusé ou un tiers;

2. l’accusé doit croire que les menaces seront mises à exécution;

3. l’infraction ne doit pas figurer sur la liste des infractions exclues;

4. l’accusé ne participe à aucun complot ni à aucune association le soumettant à la contrainte.

[44] Toutefois, la Cour, dans Ruzic, n’a pas seulement confirmé l’opposabilité du moyen de défense prévu par la loi en vigueur après l’avoir simplement dépouillé de ses parties inconstitutionnelles. Elle a aussi complété l’interprétation et l’application de l’art. 17 avec des éléments du moyen de défense de common law fondé sur la contrainte qui, selon elle, « s’accord[ent] davantage avec les valeurs de la Charte » (par. 56). Autrement dit, elle s’est servie, dans cette affaire, de la norme de common law pour interpréter les conditions positives de la loi (voir D. M. Paciocco, « No‑one Wants to Be Eaten: The Logic and Experience of the Law of Necessity and Duress » (2010), 56 Crim. L.Q. 240, p. 273).

[45] En cas d’ambiguïtés ou de lacunes dans l’art. 17 partiellement invalidé, le moyen de défense de common law fondé sur la contrainte s’applique de façon à préciser et à compléter le moyen de défense prévu par la loi :

L’analyse de la contrainte en common law verra son utilité confirmée du fait qu’elle permettra de clarifier les règles qui devaient être appliquées au moyen de défense de l’accusée en l’espèce et qui deviendront dorénavant applicables dans tous les autres cas, après l’invalidation partielle de l’art. 17 du Code criminel. [Nous soulignons; Ruzic, par. 55.]

[46] Dans l’arrêt Ruzic, la Cour a énoncé et analysé, relativement au moyen de défense de common law fondé sur la contrainte, trois éléments clés qui s’appliquent maintenant dans les causes relatives à l’art. 17, conjointement avec les quatre conditions qui comporte encore le moyen de défense fondé sur la loi : (1) aucun moyen de s’en sortir sans danger; (2) un lien temporel étroit; (3) la proportionnalité (voir Parent, p. 549‑550).

a) Aucun moyen de s’en sortir sans danger

[47] Le moyen de défense fondé sur la contrainte « se concentre sur la recherche d’un moyen de s’en sortir sans danger » (Ruzic, par. 61). À la suite de sa décision rendue dans Hibbert, la Cour a conclu, dans Ruzic, que ce moyen de défense ne s’appliquait pas aux personnes qui auraient pu échapper légalement et sans danger à la situation de contrainte. Pour pouvoir invoquer ce moyen de défense, l’accusé ne doit disposer d’aucun moyen de s’en sortir sans danger. Ce critère est lui‑même évalué en fonction de la norme objective modifiée de la personne raisonnable se trouvant dans une situation similaire.

b) Un lien temporel étroit

[48] Il doit exister « un lien temporel étroit entre les menaces et le préjudice que l’on menace de causer » (Ruzic, par. 96). Ce lien étroit entre les menaces et leur exécution doit être tel que l’accusé perde la capacité d’agir volontairement. L’exigence d’un lien temporel étroit entre les menaces et le préjudice que l’on menace de causer est liée à l’exigence que l’accusé ne dispose d’aucun moyen de se soustraire sans danger à la menace. Comme la Cour l’a expliqué dans Ruzic, des menaces « proférées longtemps auparavant [. . .] contribueraient à mettre en doute leur propre gravité et, plus particulièrement, l’argument de l’absence de moyen de s’en sortir sans danger » (par. 65).

[49] Tant que les exigences d’immédiateté et de présence de l’art. 17 demeuraient inchangées, les facteurs relatifs au moyen de se soustraire sans danger à la menace et au lien temporel étroit n’étaient guère pertinents. Des menaces de mort ou de lésions corporelles immédiates qui, selon leur destinataire, seront exécutées par une personne présente garantissaient l’existence d’un lien temporel étroit et ne laissaient au destinataire aucun moyen de s’en sortir sans danger. Toutefois, depuis l’invalidation des exigences d’immédiateté et de présence de l’art. 17, les exigences de la common law relatives à l’absence de moyen de se soustraire sans danger à la menace et au lien temporel étroit sont devenues des moyens essentiels pour évaluer le caractère moralement involontaire des actes de l’accusé.

[50] De plus, après l’invalidation des exigences d’immédiateté et de présence, la croyance de l’accusé voulant que les menaces seraient mises à exécution devait désormais être évaluée en fonction d’une norme objective modifiée de la personne raisonnable se trouvant dans une situation similaire. En effet, l’article 17 prévoit qu’une personne sera excusée « si elle croit que les menaces seront mises à exécution ». Donc, à première vue, l’article exige une croyance purement subjective, une norme moins exigeante qui était logique lorsque les menaces étaient manifestement immédiates et que leur auteur était physiquement présent sur les lieux. Cependant, une fois supprimées les exigences d’immédiateté et de présence, l’appréciation de la croyance de l’accusé que les menaces seront mises à exécution commande nécessairement une norme d’évaluation plus exigeante. En d’autres termes, la croyance réelle de l’accusé doit également être raisonnable.

[51] En interprétant les exigences d’un moyen de s’en sortir sans danger et d’un lien temporel étroit, la norme purement subjective devient une évaluation fondée sur une norme objective modifiée. Ces deux éléments, conjugués à la croyance que les menaces seront mises à exécution, doivent être analysés dans leur ensemble : l’accusé ne peut raisonnablement croire que les menaces seront mises à exécution s’il y a une possibilité de se soustraire à la menace sans danger et s’il n’existe aucun lien temporel étroit entre les menaces et le préjudice que l’on menace de causer.

[52] L’ajout des exigences de common law dans le but de remplacer les éléments désormais invalidés d’immédiateté et de présence de l’art. 17 tempère donc l’application du critère de la croyance purement subjective dans la gravité des menaces. De plus, ces nouvelles exigences harmonisent la disposition législative avec le principe du caractère involontaire au sens moral. L’opinion de la société sur la conduite de l’accusé constitue un aspect important du principe; il serait donc contraire à la nature même du caractère involontaire au sens moral d’accepter sans plus la croyance subjective de l’accusé, sans obliger la présence de certains facteurs externes. Renvoyant à l’arrêt R. c. Howe, [1987] A.C. 417 (H.L.), p. 426, Baker convient que [traduction] « [l]es menaces doivent comporter un degré de violence à ce point important qu’on peut penser qu’’une personne raisonnablement déterminée’ ayant les mêmes caractéristiques et se trouvant dans la même situation que le défendeur n’aurait pas pu résister » (par. 25‑015). Il affirme expressément que l’accusé doit avoir des motifs raisonnables de croire que les menaces seront mises à exécution (Baker, par. 25‑015 et 25‑016).

c) La proportionnalité

[53] Le moyen de défense fondé sur la contrainte exige un rapport de proportionnalité entre les menaces proférées et l’acte criminel qui serait commis. En d’autres termes, le préjudice causé ne doit pas être plus grave que le préjudice évité. La proportionnalité s’apprécie en fonction de la norme objective modifiée de la personne raisonnable se trouvant dans une situation semblable, et comporte l’exigence que l’accusé adapte sa conduite en fonction de la nature des menaces proférées : « On doit s’attendre à ce que l’accusé démontre un certain courage et oppose une résistance normale aux menaces proférées » (Ruzic, par. 62).

[54] La proportionnalité constitue une composante fondamentale du moyen de défense fondé sur la contrainte parce que, tout comme les deux éléments précédents, elle découle directement du principe du caractère involontaire au sens moral. En effet, seule une action fondée sur des menaces proportionnellement graves auxquelles l’accusé s’oppose en démontrant un courage normal peut être considérée comme involontaire au sens moral. De plus, comme l’arrêt Ruzic a décidé que le principe du caractère involontaire au sens moral était un principe de justice fondamentale, son inclusion par interprétation dans l’art. 17 s’impose afin de respecter la règle d’interprétation législative selon laquelle que les tribunaux doivent privilégier l’interprétation constitutionnelle d’une loi.

(3) Le moyen de défense de common law fondé sur la contrainte après l’arrêt Ruzic

[55] Suivant l’analyse faite par la Cour dans l’arrêt Ruzic, nous pouvons conclure que les règles de common law en matière de contrainte comprennent les éléments suivants :

• des menaces explicites ou implicites de mort ou de lésions corporelles proférées contre l’accusé ou un tiers. Les menaces peuvent porter sur un préjudice futur. Bien que, traditionnellement, le degré de préjudice corporel ait été décrit comme devant être « grave », il vaut mieux examiner cette question de la gravité à l’étape de la proportionnalité, qui représente un critère capable d’établir le degré approprié de préjudice corporel;

• l’accusé croyait, pour des motifs raisonnables, que les menaces seraient mises à exécution;

• il n’existe aucun moyen de se soustraire sans danger à la menace; cet élément est évalué en fonction d’une norme objective modifiée;

• il doit exister un lien temporel étroit entre les menaces proférées et le préjudice qu’on menace de causer;

• il doit exister un rapport de proportionnalité entre le préjudice dont l’accusé est menacé et celui qu’il inflige. Cet élément doit également être évalué en fonction d’une norme objective modifiée;

• l’accusé n’a participé à aucun complot ni à aucune association le soumettant à la contrainte, et savait vraiment que les menaces et la contrainte l’incitant à commettre une infraction criminelle constituaient une conséquence possible de cette activité, de ce complot ou de cette association criminels.

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