91. Pour mériter le respect et la confiance de la société, le système de justice doit faire en sorte que les procès soient équitables et qu’ils paraissent équitables aux yeux de l’observateur renseigné et raisonnable. Tel est le but fondamental assigné au système de justice dans une société libre et démocratique.
92. C’est un principe bien établi que tous les tribunaux juridictionnels et les corps administratifs sont tenus d’agir équitablement envers les parties qui ont à comparaître devant eux. Voir à titre d’exemple Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), 1992 CanLII 84 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 623, à la p. 636. Afin de remplir cette obligation, le décideur doit être impartial et paraître impartial. La portée de cette obligation et la rigueur avec laquelle elle s’applique varieront suivant la nature du tribunal en question.
96. Habituellement, c’est l’accusé qui, dans un procès criminel, allègue la partialité, réelle ou apparente, du tribunal. Toutefois, rien n’empêche le ministère public de faire une allégation similaire. Il y est même tenu lorsque les circonstances l’exigent. Même s’il ne fait pas l’objet d’une protection constitutionnelle explicite, c’est un important principe de notre système juridique que le procès doit être équitable pour toutes les parties -- pour le ministère public comme pour l’accusé. Voir à titre d’exemple R. c. Gushman, [1994] O.J. No. 813 (Div. gén.). Dans l’arrêt Curragh, précité, notre Cour a récemment maintenu une allégation de crainte de partialité suscitée par la conduite du juge du procès envers un substitut du procureur général. Dans un contexte légèrement différent, on a conclu que si le juge forme ou paraît former une opinion partiale contre un témoin du ministère public, par exemple la victime d’une agression sexuelle, il y a possibilité que le procès soit inéquitable envers le ministère public: arrêt Wald, précité, à la p. 336.
99. Si les paroles ou la conduite du juge suscitent une crainte de partialité ou dénotent réellement sa partialité, il excède sa compétence. Voir les décisions Curragh, précitée, au par. 5; Gushman, précitée, au par. 28. On peut remédier à cet excès de compétence en présentant une requête en récusation adressée au juge présidant l’instance si celle-ci se poursuit, ou en demandant l’examen en appel de la décision du juge. Dans le cadre de l’examen en appel, on a jugé récemment que la «conclusion correctement tirée qu’il existe une crainte raisonnable de partialité mène habituellement, de façon inexorable, à la décision qu’il doit y avoir un nouveau procès»: arrêt Curragh, précité, au par. 5.
100. S’il y a crainte raisonnable de partialité, c’est l’ensemble des procédures du procès qui sont viciées et la décision subséquente aussi bien fondée soit-elle ne peut y remédier. Voir l’arrêt Newfoundland Telephone, précité, à la p. 645; voir aussi l’arrêt Curragh, précité, au par. 6. Ainsi, le simple fait que le juge paraît, sur certains points, avoir tiré des conclusions justes quant à la crédibilité ou qu’il arrive à un résultat correct ne peut dissiper les effets de la crainte raisonnable de partialité que d’autres paroles ou actes du juge ont pu susciter. Dans le contexte d’une requête en récusation du juge siégeant dans une poursuite donnée, on a statué que lorsqu’il y a crainte raisonnable de partialité, «on ne peut rendre une décision finale à partir de conclusions sur la crédibilité formulées dans de pareilles conditions»: Blanchette c. C.I.S. Ltd., 1973 CanLII 3 (CSC), [1973] R.C.S. 833, à la p. 843. Toutefois, si les paroles ou la conduite du juge, eu égard au contexte, ne suscitent pas de crainte raisonnable de partialité, ses conclusions n’en seront pas entachées, quelque inquiétantes qu’elles puissent être.
101. Par conséquent, si l’appelant a raison de dire que les cours d’appel ont, avec sagesse, adopté une norme d’examen fondée sur la retenue en ce qui concerne l’analyse des conclusions factuelles des tribunaux d’instance inférieure, dont les conclusions relatives à la crédibilité des témoins, il est quelque peu trompeur de définir la question en litige dans le présent pourvoi comme se ramenant à une question de crédibilité. Si les conclusions du juge Sparks sur la crédibilité étaient entachées de partialité ou de crainte de partialité, elles avaient été tirées sans compétence, et elles ne justifiaient pas le respect de la cour d’appel. Par contre, si ses conclusions n’étaient pas entachées de partialité, alors l’affaire portait entièrement sur lesdites conclusions et la cour d’appel ne devait pas les modifier, sauf si elles étaient manifestement déraisonnables ou ne s’appuyaient pas sur la preuve. Voir à titre d’exemple R. c. W. (R.), 1992 CanLII 56 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 122, aux pp. 131 et 132.
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