dimanche 30 décembre 2018

État du droit quant au contre-interrogatoire de l’affiant

Barthelus c. R., 2018 QCCS 4655 (CanLII)

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[20]        La Partie VI du Code criminel ne contient aucune disposition permettant le contre-interrogatoire de l’affiant. La jurisprudence a néanmoins reconnu cette possibilité, bien qu’initialement de façon très restrictive. L’encadrement actuel du droit de contre-interroger l’affiant a été établi par l’arrêt de la Cour suprême Garofoli, et confirmé par la même cour dans Pires.
[21]        Selon ce cadre, le Tribunal dispose d’un pouvoir discrétionnaire quant à l’autorisation du contre-interrogatoire. Ce droit n’est donc ni absolu, ni illimité. La défense doit démontrer que le contre-interrogatoire va permettre de réfuter l’existence d’une des conditions préalables à l’obtention de l’autorisation, dont par exemple l’existence de motifs raisonnables et probables. Dit autrement, le Tribunal « doit s’attacher à l’effet probable du contre‑interrogatoire projeté et à la probabilité raisonnable que celui‑ci sape le fondement de l’autorisation ». S’il est peu probable que le contre‑interrogatoire projeté aide à trancher la question de savoir s’il existait des motifs permettant au juge qui a accordé l’autorisation de rendre l’ordonnance, il ne doit pas être autorisé.  Le critère à retenir est celui de l’utilité du contre-interrogatoire pour décider si les conditions requises existaient pour autoriser l'écoute électronique, gardant à l’esprit que celle-ci est un outil d’enquête et qu’« [i]l se peut qu'une enquête plus poussée révèle la fausseté de ces motifs mais ce fait n’invalide pas rétroactivement une autorisation par ailleurs valide ». Cela s’explique entre autres, par le fait qu’il faut évaluer les informations « dont dispose la police au moment de la demande » et non pas celles obtenues par la suite.
[22]        Bien que le contre-interrogatoire de l’affiant ne soit pas de plein droit, la juge Charron de la Cour suprême a rappelé que le critère préliminaire n’est pas exigeant. L’obligation d’obtenir la permission de contre-interroger l’affiant n’est qu’un moyen d’éliminer les instances inutiles, qui n’aideraient vraisemblablement pas à la résolution des questions pertinentes. La raison pour laquelle le critère laisse généralement peu de place au contre‑interrogatoire ne tient pas à sa rigueur, mais plutôt à la gamme restreinte des motifs justifiant l’annulation d’une autorisation.
[23]        Les conditions préalables à l’obtention d’une autorisation d’écoute électronique sont visées à l’article 186(1) et (1.1) C. cr. :
186 (1) Une autorisation visée au présent article peut être donnée si le juge auquel la demande est présentée est convaincu que :
a) d’une part, l’octroi de cette autorisation servirait au mieux l’administration de la justice;
b) d’autre part, d’autres méthodes d’enquête ont été essayées et ont échoué, ou ont peu de chance de succès, ou que l’urgence de l’affaire est telle qu’il ne serait pas pratique de mener l’enquête relative à l’infraction en n’utilisant que les autres méthodes d’enquête.
Exception dans le cas d’une organisation criminelle ou d’une infraction de terrorisme
(1.1) L’alinéa (1)b) ne s’applique pas dans les cas où le juge est convaincu que l’autorisation demandée vise :
a) une infraction prévue aux articles 467.11, 467.111467.12 ou 467.13;
b) une infraction commise au profit ou sous la direction d’une organisation criminelle, ou en association avec elle;
c) une infraction de terrorisme.
[24]      S’agissant du critère que l’autorisation doit servir au mieux l’administration de la justice, les tribunaux considèrent que cela signifie qu’il doit y avoir des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction a été commise et que l’autorisation sollicitée permettra d’obtenir une preuve de sa perpétration.
[25]      Or, même s’il est établi que les renseignements contenus dans l’affidavit sont inexacts, ou qu’un fait substantiel n’a pas été communiqué, cela ne réfute pas nécessairement la présence de ces conditions légales.
[26]      Donc, « si le contre-interrogatoire projeté n’est pas pertinent à l’égard d’une question substantielle dans le cadre limité de la révision concernant l’admissibilité, il n’y a aucune raison de le permettre ».
[27]        Par exemple, un contre‑interrogatoire qui ne fait que démontrer la fausseté de certains des renseignements sur lesquels se fonde le déposant est peu susceptible d’être utile à moins qu’il ne permette également d’étayer l’inférence que le déposant savait ou aurait dû savoir que ces renseignements étaient faux. 
[28]        La situation est en revanche différente s’il y a des motifs raisonnables de croire que l’affiant a délibérément tenté d’induire en erreur le juge autorisateur dans une partie de l’affidavit : le contre-interrogatoire devrait alors être généralement autorisé puisque cela peut entacher la fiabilité de l’affidavit en entier.
[29]        Le contre-interrogatoire ne devrait pas non plus être autorisé lorsqu’il vise uniquement une démonstration quant à l’exclusion de la preuve en vertu de l’article 24(2) de la Charte, mais pourrait être autorisé lorsque le contre-interrogatoire est déjà permis pour des motifs liés à la validité de l’autorisation.
[30]        Il faut rappeler que l’affiant qui demande une autorisation ex parte a l’obligation juridique d’exposer de manière complète et sincère les faits considérés et ne devrait pas essayer de tromper le lecteur. Un affiant doit faire particulièrement attention de ne pas faire un tri des faits pertinents dans le but d’obtenir le résultat souhaité.  Le dénonciateur est tenu de présenter tous les faits pertinents, favorable ou non.  Il peut omettre des détails non pertinents ou sans importance au nom de l’objectif louable de la concision, mais il ne peut pas taire des faits essentiels. Il doit veiller à ne pas orienter le juge vers une inférence ou une conclusion à laquelle ce dernier ne serait pas parvenu si les faits omis lui avaient été divulgués.
[31]        Le contre-interrogatoire des sous-affiants est encore plus restreint. L’accusé doit relier tout manquement du sous-affiant à l’affiant. Par contre, le contre-interrogatoire du sous-affiant est généralement accordé lorsque l’affiant est un « homme de paille » (« straw man »).
[32]        Plusieurs préoccupations vont avoir un impact quant à la décision d’autoriser le contre-interrogatoire de l’affiant ou du sous-affiant et son étendue. La première préoccupation qui doit rentrer en ligne de compte dans la décision du Tribunal est l’utilisation judicieuse des ressources judiciaires. En 2005, la juge Charron écrivait que cette préoccupation était toujours légitime, voire davantage qu’elle ne l’était en 1990, lors du prononcé de l’arrêt Garofoli. En 2018, à l’ère post-Jordan/Cody, les délais font partie intégrante des considérations à prendre en compte dans le processus décisionnel du juge de gestion.
[33]        La seconde préoccupation importante est la nécessité de protéger l’identité des informateurs.  Le contre‑interrogatoire du déposant accroît le risque de révéler l’identité des informateurs. La divulgation de détails sur les activités d’enquête et sur l’identité d’informateurs est beaucoup plus probable en contre‑interrogatoire que dans des affidavits. La nécessité de protéger l’identité des sources confidentielles est une préoccupation majeure dans la décision de permettre ou non le contre-interrogatoire, en raison des risques de divulgation qui y sont attachés.
[34]        Une fois autorisé, le contre-interrogatoire peut être limité aux questions qui visent à établir qu'il n'y avait aucun fondement justifiant la délivrance de l'autorisation.  Dans R. v. Silvini, la Cour d’appel de l’Ontario estime que le juge a la discrétion de restreindre l’étendue du contre-interrogatoire à l’avance. Cependant, si le juge pendant le contre-interrogatoire se rend compte que les limites posées au contre-interrogatoire empêchent l’accusé de démontrer les moyens sur lesquels l’autorisation était attaquée, il doit reconsidérer ces limites. Cette approche a été confirmée par la Cour suprême dans R. c. Pires.
[35]        Enfin, il est important de souligner qu’il ne faut pas confondre la demande en contre-interrogatoire de l’affiant avec la demande Garofoli elle-même. Le contre-interrogatoire de l’affiant n’est qu’un moyen. Même sans contre-interrogatoire de l’affiant, la défense peut accomplir le but final de démontrer que l’autorisation était illégale ou inconstitutionnelle.

La demande de contre-interrogatoire des sous-affiants

Barthelus c. R., 2018 QCCS 4655 (CanLII)

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[36]        Les accusés demandent le contre-interrogatoire des sous-affiants les S.D. Stéphane Caron et Christian Ouimet.
[37]        Ils soutiennent qu’ils ont le droit de contre-interroger les sous-affiants en tant que contrôleurs de la source « J ». Selon les accusés, ce contre-interrogatoire permettra de révéler qu’il était à la connaissance de l’État que la source « J » présentait des éléments manifestes de non-fiabilité ainsi que des motivations obliques que les policiers auraient dû révéler au juge autorisateur (paragr. 45 a)). Les accusés demandent au Tribunal que s’il conclut qu’il n’y a pas de preuve pour permettre le contre-interrogatoire des sous-affiants, qu’il mette une réserve à cet aspect du jugement pour que les accusés puissent continuer à examiner la preuve.
[38]        Dans l’état actuel des choses, le Tribunal ne peut que constater que les accusés font des allégués généraux que la source « J » présentait des éléments manifestes de non-fiabilité ainsi que des motivations obliques que les policiers auraient dû révéler au juge autorisateur, sans apporter aucun élément de preuve pour appuyer ces affirmations. Le profil de la source « J » spécifie d’ailleurs que l’une des motivations de la source est son désir de rémunération. Les accusés n’ont apporté aucune preuve permettant de penser qu’il existait d’autres motivations obliques. Les informations de la source « J » sont souvent corroborées dans l’affidavit par d’autres sources ou par des surveillances physiques, ou d’autres moyens d’enquête. Les accusés n’ont apporté aucun élément de preuve permettant de penser qu’un contre-interrogatoire permettrait d’apporter la preuve que l’affiant ou le sous-affiant savait ou aurait dû savoir que la source « J » n’était pas fiable. Le contre-interrogatoire des sous-affiants sur la fiabilité de la source « J » présente plutôt les aspects d’une « partie de pêche ».
[39]        Les accusés ajoutent dans leur requête que le S.D. Ouimet a agi comme sous-affiant en rédigeant des résumés de rapports de sources (paragr. 45 b)) et en procédant à la rédaction de résumés d’enquêtes antérieurs sur lesquels l’affiant s’est basé pour obtenir des informations (paragr. 45 c).
[40]        Il n’est pas suffisant pour justifier son contre-interrogatoire que le S.D. Ouimet ait rédigé des résumés de rapports de sources et des résumés d’enquêtes antérieurs sur lesquels l’affiant s’est basé. Il ne s’agit pas d’un cas où l’affiant ne serait qu’un « homme de paille » (« straw man »). Les accusés doivent démontrer une probabilité raisonnable que le contre-interrogatoire de ce sous-affiant peut réfuter l’existence d’une des conditions préalables à l’obtention de l’autorisation, ce qu’ils n’ont pas fait avec ces allégués généraux.
[41]        Les accusés allèguent aussi que pour plusieurs des informations en provenance des sources « M », « O », « P », « R » et « S », l’affiant n’a pas consulté les rapports de sources dans leur entièreté, mais des rapports préparés par le S.D. Ouimet qui, quant à lui, a manifestement extrait des informations qu’il a choisies de reproduire sur un rapport incomplet, tel qu’il appert des documents R-26 (paragr. 13b)). Les accusés n’apportent aucun élément permettant d’affirmer que les rapports du S.D. Ouimet sont incomplets pour les sources « M », « O », « P », « R » et « S », ni que si des informations ont été omises, elles permettraient de réfuter la présence des conditions légales de l’autorisation.
[42]        Enfin, le Tribunal est particulièrement sensible au fait que les sujets que souhaitent aborder les accusés en contre-interrogatoire comportent de façon inhérente un risque élevé pour le privilège de l’informateur pour les sources « J », « M », « O », « P », « R » et « S ».
[43]        Pour ces raisons, le Tribunal rejette les demandes de contre-interroger les sous-affiants S.D. Carron et S.D. Ouimet.

Comment pondérer le droit à la communication de la preuve en regard du privilège de la Couronne fondé sur des raisons d’intérêt public

R. c. Dancause, 2018 QCCS 1981 (CanLII)

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[1]         Le Tribunal est saisi d’une requête en matière de divulgation de la preuve, présentée par les accusés France-Josée Dancause et Daniel St-Denis. Cette requête soulève la question de l’application des privilèges ou immunités de la Couronne fondés sur l’intérêt public. Le Tribunal doit réviser le caviardage d’un rapport de police rédigé dans le cadre d’une enquête policière distincte de celle qui a mené aux accusations dans la présente cause.
[13]      Conformément à son obligation de se renseigner (R. c. McNeil2009 CSC 3 (CanLII)[2009] 1 RCS 66, par. 48-51), la Couronne vérifie et confirme l’existence du rapport. Ensuite, la Couronne obtient et transmet le rapport aux accusés.
[14]      En fait, le rapport se présente sous la forme de trois documents : un rapport d’enquête initial, un rapport d’enquête complémentaire no 1 et un rapport d’enquête complémentaire no 2. Le présent jugement, à moins d’indication contraire, réfère à l’ensemble des trois documents.
[15]      Des passages du rapport de police sont caviardés. La Couronne soutient que les passages cachés sont non pertinents ou protégés par un privilège de la Couronne fondé sur des raisons d’intérêt public. La Couronne affirme que la non-divulgation est nécessaire essentiellement pour préserver une enquête en cours. Elle plaide aussi la nécessité de protéger des techniques d’enquête secrètes et de protéger des renseignements nominatifs et la vie privée de personnes.
[16]      Il vaut de souligner que la Couronne se fonde sur la common law et n’invoque pas l’article 37 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C-5.
[18]      À l’audience sur la requête, le Tribunal a adopté une procédure qui se voulait équitable et adaptée aux circonstances (R. c. Basi, précité, par. 52-57). Le Tribunal a tenu des audiences ex parte pour permettre à la Couronne de présenter une preuve et faire des représentations. Le Tribunal a examiné la version intégrale du rapport. Un enquêteur de police a produit un affidavit avec un tableau en annexe fournissant des explications succinctes sur le caviardage. L’enquêteur a répondu sous serment aux questions de la Couronne et du Tribunal. Par ailleurs, les accusés ont obtenu une version caviardée de l’affidavit et du tableau annexé et ils ont eu l’opportunité de faire des représentations.
[19]      Le droit à la divulgation de la preuve est étroitement lié au droit à une défense pleine et entière garanti par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. La Couronne doit divulguer à l’accusé tous les renseignements, en sa possession ou sous son contrôle, se rapportant à la cause de l’accusé, qu’ils soient inculpatoires ou disculpatoires, sous réserve de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire de refuser de divulguer des renseignements manifestement non pertinents ou de la protection des renseignements privilégiés (R. c.Stinchcombe, précité; R. c. Chaplin1995 CanLII 126 (CSC)[1995] 1 RCS 727, par. 25-33; R. c. Taillefer; R. c. Duguay2003 CSC 70 (CanLII)[2003] 3 RCS 307, par. 59-60; R. c. McNeil2009 CSC 3 (CanLII)[2009] 1 RCS 66, par. 17-18). 
[20]      Ainsi, pour décider de la présente requête, le Tribunal doit déterminer si la Couronne démontre que la non-divulgation des renseignements caviardés est justifiée en vertu de sa discrétion de ne pas transmettre des renseignements manifestement sans pertinence ou en vertu d’un privilège ou d’une immunité.
[21]      Par souci d’efficacité et de simplicité, le Tribunal procède à l’analyse par étapes.
[22]      D’abord, il convient de maintenir le caviardage à l’égard des renseignements qui ne satisfont pas au critère minimal de pertinence énoncé dans l’arrêt Stinchcombe, sans égard aux revendications de la Couronne en matière de privilège d’intérêt public. En d’autres termes, il s’agit de maintenir le caviardage à l’égard des renseignements que la Couronne pourrait refuser de divulguer de toute manière parce qu’ils sont manifestement non pertinents. Il est ici question de renseignements qui ne présentent aucune utilité raisonnable pour la conduite de la défense des accusés, que ce soit pour répondre aux accusations, présenter une défense, attaquer la crédibilité des témoins ou encore prendre des décisions relatives au déroulement du procès (R. c. Stinchcombe, précité, p. 340, 345-346; R. c. McNeil, précité, par. 17; R. c.Taillefer, précité; R. c. Duguay, précité, par. 59-60).
[23]      L’examen du rapport d’enquête révèle que la vaste majorité des renseignements caviardés sont manifestement non pertinents au sens du critère de l’arrêt Stinchcombe. Ces renseignements sont insignifiants à l’égard des accusations dans le présent procès. Ils ne sont d’aucune utilité possible pour les accusés. La Couronne peut légitimement refuser de divulguer ces renseignements en vertu de sa discrétion. Certains de ces renseignements pourraient aussi faire l’objet d’un privilège ou d’une immunité de la Couronne. Pour les fins du présent jugement, il suffit de mentionner que ces renseignements portent essentiellement sur des démarches d’enquêtes se rapportant à des rencontres avec certains individus, à l’examen de certains lieux et objets et à des vérifications auprès de ressources diverses susceptibles d’aider à localiser une personne disparue.
[24]      Toutefois, certains renseignements caviardés sont, de l’avis du Tribunal, pertinents au sens de l’arrêt Stinchcombe. Il s’agit de renseignements qui concernent, de manière accessoire, des faits et des personnes liés à la présente cause. Le Tribunal doit donc déterminer si ces renseignements doivent demeurer confidentiels en vertu d’un privilège ou d’une immunité de la Couronne fondé sur l’intérêt public.
[25]      La common law reconnait qu’il peut être dans l’intérêt public de préserver la confidentialité de certains renseignements relatifs aux enquêtes policières et à l’application de la loi en vertu d’un privilège circonstancié (R. c. Bégin2005 QCCA 213 (CanLII)R. c. Richards(1997) 1997 CanLII 3364 (ON CA)115 CCC (3d) 377 (CAO)R. c. Mirarchi2015 QCCS 6628 (CanLII)R. c. Allie2014 QCCS 2381 (CanLII)R. c. Auger2013 QCCS 2490 (CanLII)R. c. Trang2002 ABQB 19 (CanLII)R. c. Chan2002 ABQB 287 (CanLII)).
[26]      La revendication d’un privilège circonstancié ou d’une immunité de la Couronne doit être étayée par une preuve, une allégation générale est insuffisante (Toronto Star Newspapers Ltd. c. Ontario2005 CSC 41 (CanLII)[2005] 2 RCS 188, par. 23, 37-42; R. c. Mirarchi, précité, par. 10-11; R. c. Allie, précité, par. 19).
[27]      Par ailleurs, la protection de la vie privée est une considération importante. Cependant, en général, le droit de l’accusé à la divulgation de la preuve doit prévaloir, sous réserve de mesures limitatives pour éviter les atteintes inutiles à la vie privée (R. c. McNeil, précité, par. 20, 41).
[28]      L’examen doit porter sur la nature des renseignements et non sur la nature générale du document qui contient les renseignements (R.c. Dubé2010 QCCA 1377 (CanLII), par. 21 à 27).
[29]      Il y a lieu ici d’ouvrir une parenthèse pour préciser que le Tribunal s’est assuré que la présente requête ne met pas en cause le privilège protégeant l’identité de l’indicateur de police, lequel est un privilège générique régi par des exigences strictes (R. c. Durham Regional Crime Stoppers Inc.2017 CSC 45 (CanLII)[2017] 2 RCS 157R. c. Basi, précité; R. c. Leipert1997 CanLII 367 (CSC)[1997] 1 RCS 281. Fermons la parenthèse.
[30]      Dans le contexte d’un procès, le droit à une défense pleine et entière de l’accusé doit être préservé. Dans l’arrêt A. (L.L.) c. B. (A.),1995 CanLII 52 (CSC)[1995] 4 RCS 536, par. 51, la Cour suprême du Canada affirmait ceci :

[51]     « En matière criminelle, l'immunité de droit public ne peut empêcher la divulgation ou entraîner l'irrecevabilité de documents susceptibles de permettre à l'accusé de réfuter une allégation de crime ou d'établir son innocence. (…) À cet égard, les tribunaux anglais ont statué que l'intérêt du public d'assurer au défendeur un procès équitable avait préséance sur l'intérêt de protéger de tels dossiers confidentiels si leur divulgation est nécessaire à la défense pleine et entière du défendeur » (références omises).
[31]      Le critère d’analyse applicable est énoncé par le juge Martin Vauclair (alors juge à la Cour supérieure et maintenant juge à la Cour d’appel) dans R. c. Auger, précité, par. 48 :
[48]     Généralement parlant, dans le contexte d'un procès criminel, ces privilèges ne s'appliqueront que lorsque l'intérêt de garder l'information secrète l'emporte sur l'intérêt d'une défense pleine et entière. Un tribunal doit soupeser différents facteurs comme l'importance des accusations et la valeur probante des éléments que l’on cherche à obtenir et de l’autre côté, l’intérêt public à ce que l'information soit gardée secrète.
[32]      Aux fins de l’analyse, il faut distinguer la pertinence de la preuve au sens du droit à la divulgation de l’importance de la preuve pour une défense pleine et entière. Pour reprendre les propos du juge Vauclair, dans Auger, précité, par. 112, « une preuve pertinente au sens de la communication de la preuve n’est pas toujours une preuve importante sur le plan de la défense pleine et entière ».
[33]      Encore ici, l’approche appropriée consiste à procéder par étape. Il y a lieu d’examiner d’abord l’importance des renseignements pour l’accusé et ensuite d’examiner l’application d’un privilège ou d’une immunité. Cette approche est appliquée dans les procédures prises en vertu de l’article 37 de la Loi sur la preuve (R. c. Minisini2008 QCCA 2188 (CanLII), par. 59; R. c. Meuckon (1990), 1990 CanLII 10991 (BC CA)57 CCC (3d) 193 (CACB)R. c. Richards, précité).
[34]      En l’espèce, la situation a ceci de particulier que les revendications de part et d’autre, pour la divulgation et pour le maintien de la confidentialité, sont peu convaincantes. Pour le Tribunal, il s’agit de faire le moins mauvais choix.
[35]      À l’audience, les accusés ont précisé qu’ils cherchaient essentiellement à obtenir des renseignements pouvant servir à tester la crédibilité des témoins à charge. Le Tribunal doute fortement de l’importance pour la défense des renseignements pertinents caviardés, et ce pour quelque fin que ce soit. Ces renseignements sont minces et ne révèlent rien de véritablement nouveau par rapport à ce que l’on a déjà appris dans le présent procès.
[36]      D’autre part, selon le tableau produit par la Couronne, le caviardage des renseignements pertinents au sens de l’arrêt Stinchcombe serait justifié uniquement par la protection d’une enquête en cours. Les préoccupations exprimées par l’enquêteur sont légitimes, mais sont largement fondées sur des considérations hypothétiques quant à des développements futurs de l’enquête.
[37]      Ayant à l’esprit les droits des accusés, le Tribunal est d’avis qu’il y a lieu de trancher en faveur de ceux-ci. Les renseignements pertinents au sens de l’arrêt Stinchcombe doivent être divulgués. L’intérêt du public à garder confidentiels ces renseignements ne l’emporte pas sur l’intérêt des accusés à obtenir la divulgation de ces renseignements.
[38]      Dans les circonstances de l’espèce, l’intérêt public à l’égard de l’enquête policière sera amplement protégé par le maintien du reliquat du caviardage.
[39]        Une remarque doit être faite à l’égard d’un passage précis contenant un renseignement devant être divulgué. Il est difficile d’enlever le caviardage cachant ce passage sans révéler d’autres renseignements qui sont non pertinents et qui valent d’être protégés pour préserver l’enquête en cours. Toutefois, la substance du renseignement en question est répétée, avec plus de précision d’ailleurs, dans un autre passage du rapport qui peut être divulgué aux accusés sans difficulté. Dans les circonstances, le passage problématique demeurera confidentiel. Cette solution ne comporte aucun préjudice pour les accusés.

Les banques de renseignements criminels sont-elles, en soi, frappées d'un privilège permettant au ministère public de soustraire son contenu à une obligation de divulgation?

R. c. Auger, 2013 QCCS 2490 (CanLII)


[129]        Ayant rejeté la prétention du ministère public que les banques de renseignements, en soi, ne peuvent faire l'objet d'un nouveau privilège, l'ordonnance de divulgation est maintenue.
[130]        Toutefois,  en raison de la preuve entendue, j'estime que la protection des personnes et la protection du privilège de l'informateur, dans le contexte, lui opposent un problème déterminant dans sa forme actuelle. Il y a donc lieu de la modifier.
[131]        Le ministère public s'étant déclaré prêt à répondre à des demandes ciblées, il y a lieu de donner suite à cette proposition.
[132]        Je crois toutefois qu'il peut être utile, avant que les accusés ne formulent des demandes, de leur révéler la liste des dates pour lesquelles il existe une synthèse dans le cas de chaque accusé. Il me semble qu'il est peu probable que cela porte atteinte à un privilège, et dans le cas contraire, le ministère public pourra divulguer ses informations précises sous scellée au juge du procès. Cette liste peut toutefois répondre aux préoccupations générales de la défense et elle évitera, souhaitons-le, des demandes inutiles. Si demande il y a, on peut penser qu'elle recherchera alors une information pertinente et utile.
[133]        Dans tous les cas, un accusé s'adressera au juge du procès, dans le cadre d'une requête circonstanciée, pour expliquer la valeur de l'information recherchée selon le privilège en jeu. Il sera définitivement plus simple pour le juge du procès d'évaluer la situation et notamment de soupeser les enjeux dans le cadre de la preuve spécifique.
[134]        Par ailleurs, si la forme ou le support de la divulgation pose problème, il serait même possible, je le suggère, que le ministère public puisse obvier à une telle requête en formulant une admission formelle sur l'information recherchée.
CONCLUSION
POUR TOUS CES MOTIFS, LA COUR:
REJETTE la proposition du ministère public que les renseignements provenant des banques criminelles sont des communications internes de la police privilégiées.
REJETTE la proposition du ministère public que les renseignements provenant des banques criminelles font l'objet d'un privilège d'intérêt public déterminé relié à la protection du renseignement criminel.

État du droit sur ce que constitue le privilège circonstancié

R. c. Auger, 2013 QCCS 2490 (CanLII)

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[39]            Comme le privilège générique, le privilège circonstancié est aussi une règle d'exclusion, mais qui repose sur la présomption que les informations ne sont pas privilégiées et qu'elles sont donc admissibles, à moins de démontrer qu'un intérêt supérieur milite en faveur de ne pas les divulguer dans un cas particulier.
[40]            La common law s'est inspirée de l'approche proposée par le professeur Wigmore pour en arriver à cette détermination, connue aujourd'hui sous le vocable «critères ou test de Wigmore».
[41]            Pour l'application du privilège circonstancié, rappelons d'abord qu'il revient à la partie qui le revendique de démontrer son existence par une preuve prépondérante que les quatre critères de Wigmore sont satisfaits, et plus spécifiquement:
(1) que les communications ont été transmises confidentiellement avec l’assurance qu’elles ne seraient pas divulguées;
(2) que le caractère confidentiel est un élément essentiel au maintien complet et satisfaisant des rapports entre les parties;
(3) que les rapports sont de la nature de ceux qui, selon l’opinion de la collectivité, doivent être entretenus assidûment, évoquant ainsi l’idée de l’application constante et la persévérance;
(4) le préjudice permanent causé aux rapports par la divulgation des communications est plus considérable que l’avantage à retirer d’une juste décision.
[42]            La Cour suprême a expressément rejeté la proposition voulant qu'une fois les trois premiers démontrés, la partie qui s'objecte au privilège ait l'obligation de démontrer le quatrième et donc de démontrer pourquoi la levée du privilège est nécessaire. Il appartient toujours à la partie qui veut faire valoir un privilège de le prouver et de choisir les moyens pour le faire.
[43]            Le privilège revendiqué quant aux communications internes entre policiers doit donc satisfaire les critères de Wigmore ou autrement démontrer qu'elles ne doivent pas être divulguées dans l'intérêt public.
[44]            En effet, l'intérêt public peut justifier, dans certaines circonstances, la non-divulgation en raison d'un privilège. Par ailleurs, certains privilèges de common law se prêtent mal à un examen des quatre volets de Wigmore parce que leur objet n'est pas une "communication". Cependant, ce test de Wigmore demeure un guide et plus particulièrement le quatrième volet qui existe dans tous les cas, c'est-à-dire que le tribunal doit toujours soupeser l'intérêt de garder secrète des informations et l'intérêt de la découverte de la vérité pour mener à bien une procédure.
[45]            Ainsi, il est clairement reconnu que le ministère public peut invoquer le privilège de l'enquête en cours pour soustraire de toute divulgation des informations qui pourraient compromettre une enquête policière qui n'est pas complétée.
[46]            Le ministère public peut invoquer le privilège de la technique d'enquête pour soustraire de toute divulgation des informations qui pourraient compromettre une méthode utilisée par les policiers pour mener leurs enquêtes.
[47]            Le ministère public peut aussi invoquer un privilège d'intérêt public pour assurer la sécurité des personnes, un privilège dont l'objectif est évident.
[48]            Généralement parlant, dans le contexte d'un procès criminel, ces privilèges ne s'appliqueront que lorsque l'intérêt de garder l'information secrète l'emporte sur l'intérêt d'une défense pleine et entière. Un tribunal doit soupeser différents facteurs comme l'importance des accusations et la valeur probante des éléments que l’on cherche à obtenir et, de l’autre côté, l’intérêt public à ce que l'information soit gardée secrète. 

État du droit sur ce que constitue le privilège générique

R. c. Auger, 2013 QCCS 2490 (CanLII)

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[31]            La création d'un privilège générique est une question sérieuse. Si tous les privilèges sont une entrave à la recherche de la vérité, celui-ci l'est davantage en raison d'une présomption d'inadmissibilité. Cette présomption est si forte que même en droit criminel, les possibilités d'y déroger sont limitées à des situations somme toute assez exceptionnelles, notamment parce qu'il s'agit du seul moyen de démontrer son innocence.
[32]            Ces privilèges sont donc rarissimes et, au Canada, la common law ne reconnaît que le secret professionnel et le privilège de l'informateur. Et encore, à l'intérieur de leurs paramètres respectifs, ces privilèges ne sont pas absolus. Ils sont au contraire bien définis et ils répondent à des exigences précises. Toutefois, ils sont robustes et en principe, ils ne cèderont uniquement que dans les cas où un accusé démontre qu'il s'agit de la seule façon de démontrer son innocence.
[33]            Ainsi, ce ne sont pas toutes les communications entre un avocat et son client qui sont couvertes par le privilège, mais uniquement celles qui sont faites confidentiellement par le client aux fins d'obtenir un avis juridique d'un avocat, en sa qualité d'avocat. 
[34]            La common law protège également les indicateurs de police, dont on ne peut révéler l'identité ou tout élément d'informations qui pourrait tendre à la révéler. Par contre, les informations données par la source, dans la mesure où cela ne tend pas à l'identifier, doivent être communiquées.
[35]            Depuis le début des années 90, la Cour suprême a systématiquement refusé de reconnaître d'autres privilèges génériques et elle a rejeté tour à tour les demandes visant à protéger: des communications entre un ministre du culte et un fidèle, des dossiers psychiatriques, des dossiers privés (dossiers médicaux et thérapeutiques de victimes d'agression sexuelle, dossiers scolaires, de journaux intimes ou de notations de travailleurs sociaux) ou encore des sources journalistiques.
[36]            Disons que la Cour suprême n'a pas définitivement fermé la porte. La common law étant toujours appelée à se définir en fonction de valeurs contemporaines, il est possible que de nouveaux privilèges voient le jour parce que «la common law permet l’existence d’un privilège dans de nouvelles situations où la raison, l’expérience et l’application des principes qui sous-tendent les privilèges traditionnels le requièrent»et que «le droit en matière de privilèges peut évoluer de manière à refléter la réalité sociale et juridique contemporaine».
[37]            Toutefois, dans l'arrêt National Post, elle a clairement laissé entendre que ce sera probablement le législateur qui interviendra pour accorder de nouveaux privilèges génériques s'il devait en exister d'autres. La Cour suprême privilégie une approche cas par cas qui permet de mieux soupeser les valeurs en cause.
[38]            Le privilège générique que recherche le ministère public sur un type d'information qui serait le "contenu des banques de renseignements" n'a d'ailleurs jamais été formellement demandé, ni reconnu par les tribunaux qui se sont penchés sur la question.

La différence entre la confidentialité et le privilège

R. c. Auger, 2013 QCCS 2490 (CanLII)

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[26]      En principe, notre société considère que des communications entre les personnes sont privées. Certaines, en sus d'être privées, sont parfois considérées comme confidentielles. Si le bon sens ne suffit pas pour déterminer que le travail des policiers est en principe confidentiel, la loi le prévoit.
[27]      Par contre, le privilège est autre chose. La confidentialité est plus large que le caractère privilégié d'une communication au sens du droit.
[28]      En droit, la confidentialité est toujours un préalable au privilège. Comme nous le rappelle notre Cour d'appel, «il ne peut y avoir de privilège sans confidentialité, mais ce qui est confidentiel n'est pas nécessairement privilégié».
[29]      Le privilège est une règle qui, en dernière analyse, exclut la possibilité de mettre en preuve un renseignement pertinent à un litige en raison d'un intérêt social supérieur à celui de la recherche de la vérité.
[30]      La common law a développé la notion de privilège ou d'immunité à la divulgation. Fondamentalement, aujourd'hui, il en existe deux types: le privilège générique ou (quasi) absolu et le privilège circonstancié, déterminé au cas par cas.

Comment évaluer l’impact d’une information sur la possibilité de mettre en péril la sécurité d’un témoin

R. c. Allie, 2014 QCCS 2381 (CanLII)

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[33]        Dans Minisini, l’honorable juge Doyon insiste, au paragraphe 55, sur l’importance de faire preuve de prudence lorsqu’il s’agit d’évaluer l’impact d’une information sur la possibilité de mettre en péril la sécurité d’un témoin.  Il mentionne :
« Le Tribunal qui est confronté à une opposition fondée sur l’article 37 de la Loi doit donc agir avec prudence, particulièrement lorsque la vie et la sécurité d’un témoin sont en cause, et procéder en conséquence à un exercice de pondération avant de rendre sa décision. »

Le privilège circonstancié concernant un technique d’enquête ou la sécurité d’un témoin

R. c. Allie, 2014 QCCS 2381 (CanLII)

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[1]         Généralement, le Ministère public doit divulguer à la Défense tout renseignement pertinent, indépendamment  de son caractère incriminant ou disculpatoire, à moins que la preuve n’échappe à son contrôle ou ne fasse l’objet d’un privilège.
[2]         Évidemment, cette obligation n’est pas absolue.  La poursuite n’est pas tenue de produire ce qui n’a manifestement aucune pertinence. Doit être considérée comme pertinente toute preuve pouvant raisonnablement être utile pour la Défense.
[3]         Lorsqu’elle justifie la non-divulgation d’un renseignement en se basant sur un privilège d’intérêt public, la Couronne peut initier la procédure spéciale visée à l’article 37 de la Loi sur la preuve en vue de protéger la confidentialité de l’information.
[6]         Ce qui est encore aujourd’hui convenu d’appeler « le privilège de la Couronne » est maintenant codifié aux articles 37 à 39 de la Loi sur la preuve au Canada. Ces dispositions ont pour but de protéger les secrets d’État qui peuvent être levés dans l’intérêt de la justice.
[7]         Le paragraphe 37(1) accorde à tout fonctionnaire, dont tout procureur aux poursuites criminelles et pénales, le droit de s’opposer à la production de tout renseignement, oral ou écrit, pour des « raisons d’intérêt public déterminées ».  Cette dernière expression ne fait l’objet d’aucune définition statutaire, mais comprend, comme le fait remarquer l’auteur David Watt dans son ouvrage intitulé « Watt’s Manual of Criminal Evidence » (page 971 de l’Édition 2009) certains privilèges circonstanciés de même que ceux énoncés à l’article 187(4) du Code criminel.
[8]         Le paragraphe 37(2) prévoit par ailleurs que la Cour supérieure est compétente pour entendre la question si elle est saisie du litige au cours duquel l’objection est soulevée.
[9]         Conformément au paragraphe 37(4.1), le Tribunal saisi peut ensuite ordonner la divulgation des renseignements s’il conclut que leur divulgation n’est pas préjudiciable au regard des raisons d’intérêt public sur lesquelles se fonde l’objection.
[10]        Il incombe donc au Ministère public de démontrer que la divulgation des informations serait préjudiciable au regard de ces mêmes motifs.  Comme le souligne la Cour d’appel du Québec dans R. c. Minisini ([2008] J.Q. No 15355, par. 35) ce fardeau est plus exigeant que celui prévu à l’article 38, qui traite de questions de sécurité nationale.  Cette dernière disposition fait en effet référence à des « renseignements potentiellement préjudiciables » ou « susceptibles de porter préjudice » alors que l’article 37 vise les renseignements dont la divulgation « est préjudiciable ».
[11]        Si le Tribunal conclut, d’une part, que la divulgation des renseignements faisant l’objet de l’opposition serait préjudiciable pour les raisons d’intérêt public invoquées mais que, d’autre part, les raisons d’intérêt public justifiant la communication l’emportent sur celles soulevées par l’opposant, il peut alors autoriser, sous réserve des conditions qu’il estime appropriées, la divulgation de tout ou partie des renseignements, d’un résumé de ceux-ci ou d’un aveu écrit des faits qui y sont liés.
[12]        À cet égard, notre Cour d’appel rappelle, toujours dans l’arrêt Minisini, que les motifs d’intérêt public susceptibles d’entraîner l’application du paragraphe 37(5) correspondent notamment au droit de l’accusé à une défense pleine et entière, de même qu’à une divulgation de la preuve afin d’assurer la tenue d’un procès équitable.
[13]        Finalement, le paragraphe 37(6) prévoit qu’un Tribunal n’autorisant pas la divulgation doit rendre une ordonnance à cet effet.
[14]        Il convient de noter que l’article 37 n’a pas eu pour effet d’éliminer les privilèges circonstanciés de Common Law.  Dans R. v. Chan, une décision de la Cour du banc de la Reine de l’Alberta, le juge Sulyma mentionne:
« 104     In Trang (the first disclosure hearing), Binder J. held that s. 37 does not eliminate the common law claim of public interest immunity. The Applicants in that case apparently did not strenuously press their assertions. However, Mr. Justice Binder concluded at paras. 34 and 35:

Having reviewed the case law and s. 37, I am of the view that "a specified public interest" provided for in s. 37 does not include solicitor/client privilege: Sander, 1994 CanLII 1658 (BC CA)90 C.C.C. (3d) 41. Further, other common law privileges such as protecting witnesses against interference, investigative techniques, safety of persons and work product privilege may be raised under either the common law or a s. 37: Lam, 2000 BCCA 545 (CanLII)148 C.C.C. (3d) 379: Richards, 1997 CanLII 3364 (ON CA)115 C.C.C. (3d) 377.

Section 37 may be broader in scope than common law privileges, in terms of those who are permitted to claim privilege as a specified public interest; i.e. a police officer or a witness may invoke s. 37 if for some reason the Crown decided not to assert a claim of investigative technique privilege or the protection of the witness [ … ] »
[15]        Plusieurs aspects du travail policier peuvent faire l’objet d’un privilège circonstancié.  Il en va notamment ainsi des communications touchant les méthodes d’enquête, ou celles pouvant mettre en cause la sécurité de tiers.  Ces renseignements bénéficient d’un privilège de Common Law et il appartient au Tribunal de soupeser, au cas par cas, le maintien de cette confidentialité en prenant en considération le droit de l’accusé à une défense pleine et entière.
[16]        Dans R. v. Trang (2002 ABQB 19 (CanLII)[2002] A.J. No 119), le Juge Binder conclut ainsi :
« 55     Investigative techniques, ongoing investigations and safety of individuals are well recognized common law privileges. To distinguish them from communication based privilege and avoid the confusion created by the use of communication privilege terminology, I would categorize them as "qualified privileges". In accordance with the jurisprudence, these privileges are subject to review and balancing by the Court of the public interest served by the privilege against the importance of the information to the right of an accused to make full answer and defence. »
[17]        Plus récemment, le juge Trafford de la Cour supérieure de l’Ontario réitérait ce principe dans R. v. J.J. ([2010] O.J. No 3238) :
« 4     There is at common law a qualified privilege that may alter the obligation of the Crown to disclose information under R. v. Stinchcombe (1991), 1991 CanLII 45 (CSC)68 C.C.C. (3d) 1 (S.C.C.). This privilege was described in R. v. Richards (1997), 1997 CanLII 3364 (ON CA)115 C.C.C. (3d) 377 (Ont. C.A.) at para. 11 as follows:

Disclosure of police investigative techniques is subject to a qualified privilege: R. v. Meuckon (1990), 1990 CanLII 10991 (BC CA)57 C.C.C. (3d) 193 (B.C.C.A). Where the claim is made, the judge must first decide whether the information sought is relevant to an issue in the proceedings. Second, if relevant, evidence of the investigative techniques used will not be disclosed if the public interest in effective police investigation and the protection of those involved in, or who assist in such investigation, outweigh the legitimate interests of the accused in disclosure of the techniques.
The privilege was also recognized by Binder J. in R. v. Trang (2002), 2002 ABQB 19 (CanLII)168 C.C.C. (3d) 145at paras. 49 and 50 where he said:

The jurisprudence clearly supports a common law principle in relation to investigative technique where warranted ...

Clearly, disclosure of investigative techniques may in some cases compromise ongoing investigations and put officers or civilians at risk; it might also cause criminal offenders in the future to modify their activities in order to avoid detection. There may be other justifications for non-disclosure of investigative techniques which are specific to the technique in question.

The importance of the privilege varies with the circumstances of the case. See also R. v. Webster[1997] O.J. No. 5847 (S.C.J.)for a recognition of these principles in a case where the defence sought the permission of the Court to cross-examine an undercover officer on the location of his officer protection kit. »
[18]        Sur cette question, je réfère également les parties aux arrêts R. v. Richards (1997 CanLII 3364 (ON CA)[1997] O.J. No 2086) de la Cour d’appel de l’Ontario (et plus particulièrement au paragraphe 11 de cette décision), de même qu’au paragraphe 51 de l’arrêt Michaud([1996] A.C.S. No 85).
[19]        Évidemment, une simple affirmation du Ministère public à l’effet que la divulgation de renseignements risquerait de dévoiler une technique d’enquête ou de compromettre la sécurité d’un témoin est insuffisante. Une preuve doit être faite à cet effet.  Il convient cependant de remarquer que cette dernière n’a pas à démontrer qu’une communication de l’information entraînerait nécessairement l’effet pervers appréhendé. Dans Minisini, l’honorable juge Doyon précise :
« 54     Le paragraphe 37 (4.1) n'exige toutefois pas que la poursuite établisse clairement que la divulgation nuiranécessairement et dans les faits à la sécurité du témoin. Les termes "sauf s'il conclut que leur divulgation est préjudiciable au regard des raisons d'intérêt public déterminées" ne requièrent pas une telle démonstration. C'est d'ailleurs ainsi que le juge de première instance interprète la Loi lorsqu'il écrit que la "poursuite n'a pas prouvé que la divulgation de ces éléments est de nature à mettre en péril tant la sécurité du témoin collaborateur Garand, que celle du bon fonctionnement du système de protection des témoins". Contrairement à ce qu'affirme l'appelante, les mots "de nature à mettre en péril" ne signifient pas que le juge la forçait à démontrer que la divulgation mettait nécessairement en péril la sécurité du témoin ou du système de protection de témoins. »