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[20] La Partie VI du Code criminel ne contient aucune disposition permettant le contre-interrogatoire de l’affiant. La jurisprudence a néanmoins reconnu cette possibilité, bien qu’initialement de façon très restrictive. L’encadrement actuel du droit de contre-interroger l’affiant a été établi par l’arrêt de la Cour suprême Garofoli, et confirmé par la même cour dans Pires.
[21] Selon ce cadre, le Tribunal dispose d’un pouvoir discrétionnaire quant à l’autorisation du contre-interrogatoire. Ce droit n’est donc ni absolu, ni illimité. La défense doit démontrer que le contre-interrogatoire va permettre de réfuter l’existence d’une des conditions préalables à l’obtention de l’autorisation, dont par exemple l’existence de motifs raisonnables et probables. Dit autrement, le Tribunal « doit s’attacher à l’effet probable du contre‑interrogatoire projeté et à la probabilité raisonnable que celui‑ci sape le fondement de l’autorisation ». S’il est peu probable que le contre‑interrogatoire projeté aide à trancher la question de savoir s’il existait des motifs permettant au juge qui a accordé l’autorisation de rendre l’ordonnance, il ne doit pas être autorisé. Le critère à retenir est celui de l’utilité du contre-interrogatoire pour décider si les conditions requises existaient pour autoriser l'écoute électronique, gardant à l’esprit que celle-ci est un outil d’enquête et qu’« [i]l se peut qu'une enquête plus poussée révèle la fausseté de ces motifs mais ce fait n’invalide pas rétroactivement une autorisation par ailleurs valide ». Cela s’explique entre autres, par le fait qu’il faut évaluer les informations « dont dispose la police au moment de la demande » et non pas celles obtenues par la suite.
[22] Bien que le contre-interrogatoire de l’affiant ne soit pas de plein droit, la juge Charron de la Cour suprême a rappelé que le critère préliminaire n’est pas exigeant. L’obligation d’obtenir la permission de contre-interroger l’affiant n’est qu’un moyen d’éliminer les instances inutiles, qui n’aideraient vraisemblablement pas à la résolution des questions pertinentes. La raison pour laquelle le critère laisse généralement peu de place au contre‑interrogatoire ne tient pas à sa rigueur, mais plutôt à la gamme restreinte des motifs justifiant l’annulation d’une autorisation.
[23] Les conditions préalables à l’obtention d’une autorisation d’écoute électronique sont visées à l’article 186(1) et (1.1) C. cr. :
186 (1) Une autorisation visée au présent article peut être donnée si le juge auquel la demande est présentée est convaincu que :
a) d’une part, l’octroi de cette autorisation servirait au mieux l’administration de la justice;
b) d’autre part, d’autres méthodes d’enquête ont été essayées et ont échoué, ou ont peu de chance de succès, ou que l’urgence de l’affaire est telle qu’il ne serait pas pratique de mener l’enquête relative à l’infraction en n’utilisant que les autres méthodes d’enquête.
(1.1) L’alinéa (1)b) ne s’applique pas dans les cas où le juge est convaincu que l’autorisation demandée vise :
b) une infraction commise au profit ou sous la direction d’une organisation criminelle, ou en association avec elle;
c) une infraction de terrorisme.
[24] S’agissant du critère que l’autorisation doit servir au mieux l’administration de la justice, les tribunaux considèrent que cela signifie qu’il doit y avoir des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction a été commise et que l’autorisation sollicitée permettra d’obtenir une preuve de sa perpétration.
[25] Or, même s’il est établi que les renseignements contenus dans l’affidavit sont inexacts, ou qu’un fait substantiel n’a pas été communiqué, cela ne réfute pas nécessairement la présence de ces conditions légales.
[26] Donc, « si le contre-interrogatoire projeté n’est pas pertinent à l’égard d’une question substantielle dans le cadre limité de la révision concernant l’admissibilité, il n’y a aucune raison de le permettre ».
[27] Par exemple, un contre‑interrogatoire qui ne fait que démontrer la fausseté de certains des renseignements sur lesquels se fonde le déposant est peu susceptible d’être utile à moins qu’il ne permette également d’étayer l’inférence que le déposant savait ou aurait dû savoir que ces renseignements étaient faux.
[28] La situation est en revanche différente s’il y a des motifs raisonnables de croire que l’affiant a délibérément tenté d’induire en erreur le juge autorisateur dans une partie de l’affidavit : le contre-interrogatoire devrait alors être généralement autorisé puisque cela peut entacher la fiabilité de l’affidavit en entier.
[29] Le contre-interrogatoire ne devrait pas non plus être autorisé lorsqu’il vise uniquement une démonstration quant à l’exclusion de la preuve en vertu de l’article 24(2) de la Charte, mais pourrait être autorisé lorsque le contre-interrogatoire est déjà permis pour des motifs liés à la validité de l’autorisation.
[30] Il faut rappeler que l’affiant qui demande une autorisation ex parte a l’obligation juridique d’exposer de manière complète et sincère les faits considérés et ne devrait pas essayer de tromper le lecteur. Un affiant doit faire particulièrement attention de ne pas faire un tri des faits pertinents dans le but d’obtenir le résultat souhaité. Le dénonciateur est tenu de présenter tous les faits pertinents, favorable ou non. Il peut omettre des détails non pertinents ou sans importance au nom de l’objectif louable de la concision, mais il ne peut pas taire des faits essentiels. Il doit veiller à ne pas orienter le juge vers une inférence ou une conclusion à laquelle ce dernier ne serait pas parvenu si les faits omis lui avaient été divulgués.
[31] Le contre-interrogatoire des sous-affiants est encore plus restreint. L’accusé doit relier tout manquement du sous-affiant à l’affiant. Par contre, le contre-interrogatoire du sous-affiant est généralement accordé lorsque l’affiant est un « homme de paille » (« straw man »).
[32] Plusieurs préoccupations vont avoir un impact quant à la décision d’autoriser le contre-interrogatoire de l’affiant ou du sous-affiant et son étendue. La première préoccupation qui doit rentrer en ligne de compte dans la décision du Tribunal est l’utilisation judicieuse des ressources judiciaires. En 2005, la juge Charron écrivait que cette préoccupation était toujours légitime, voire davantage qu’elle ne l’était en 1990, lors du prononcé de l’arrêt Garofoli. En 2018, à l’ère post-Jordan/Cody, les délais font partie intégrante des considérations à prendre en compte dans le processus décisionnel du juge de gestion.
[33] La seconde préoccupation importante est la nécessité de protéger l’identité des informateurs. Le contre‑interrogatoire du déposant accroît le risque de révéler l’identité des informateurs. La divulgation de détails sur les activités d’enquête et sur l’identité d’informateurs est beaucoup plus probable en contre‑interrogatoire que dans des affidavits. La nécessité de protéger l’identité des sources confidentielles est une préoccupation majeure dans la décision de permettre ou non le contre-interrogatoire, en raison des risques de divulgation qui y sont attachés.
[34] Une fois autorisé, le contre-interrogatoire peut être limité aux questions qui visent à établir qu'il n'y avait aucun fondement justifiant la délivrance de l'autorisation. Dans R. v. Silvini, la Cour d’appel de l’Ontario estime que le juge a la discrétion de restreindre l’étendue du contre-interrogatoire à l’avance. Cependant, si le juge pendant le contre-interrogatoire se rend compte que les limites posées au contre-interrogatoire empêchent l’accusé de démontrer les moyens sur lesquels l’autorisation était attaquée, il doit reconsidérer ces limites. Cette approche a été confirmée par la Cour suprême dans R. c. Pires.
[35] Enfin, il est important de souligner qu’il ne faut pas confondre la demande en contre-interrogatoire de l’affiant avec la demande Garofoli elle-même. Le contre-interrogatoire de l’affiant n’est qu’un moyen. Même sans contre-interrogatoire de l’affiant, la défense peut accomplir le but final de démontrer que l’autorisation était illégale ou inconstitutionnelle.