Lien vers la décision
[1] Généralement, le Ministère public doit divulguer à la Défense tout renseignement pertinent, indépendamment de son caractère incriminant ou disculpatoire, à moins que la preuve n’échappe à son contrôle ou ne fasse l’objet d’un privilège.
[2] Évidemment, cette obligation n’est pas absolue. La poursuite n’est pas tenue de produire ce qui n’a manifestement aucune pertinence. Doit être considérée comme pertinente toute preuve pouvant raisonnablement être utile pour la Défense.
[3] Lorsqu’elle justifie la non-divulgation d’un renseignement en se basant sur un privilège d’intérêt public, la Couronne peut initier la procédure spéciale visée à l’article 37 de la Loi sur la preuve en vue de protéger la confidentialité de l’information.
[6] Ce qui est encore aujourd’hui convenu d’appeler « le privilège de la Couronne » est maintenant codifié aux articles 37 à 39 de la Loi sur la preuve au Canada. Ces dispositions ont pour but de protéger les secrets d’État qui peuvent être levés dans l’intérêt de la justice.
[7] Le paragraphe 37(1) accorde à tout fonctionnaire, dont tout procureur aux poursuites criminelles et pénales, le droit de s’opposer à la production de tout renseignement, oral ou écrit, pour des « raisons d’intérêt public déterminées ». Cette dernière expression ne fait l’objet d’aucune définition statutaire, mais comprend, comme le fait remarquer l’auteur David Watt dans son ouvrage intitulé « Watt’s Manual of Criminal Evidence » (page 971 de l’Édition 2009) certains privilèges circonstanciés de même que ceux énoncés à l’article 187(4) du Code criminel.
[8] Le paragraphe 37(2) prévoit par ailleurs que la Cour supérieure est compétente pour entendre la question si elle est saisie du litige au cours duquel l’objection est soulevée.
[9] Conformément au paragraphe 37(4.1), le Tribunal saisi peut ensuite ordonner la divulgation des renseignements s’il conclut que leur divulgation n’est pas préjudiciable au regard des raisons d’intérêt public sur lesquelles se fonde l’objection.
[10] Il incombe donc au Ministère public de démontrer que la divulgation des informations serait préjudiciable au regard de ces mêmes motifs. Comme le souligne la Cour d’appel du Québec dans R. c. Minisini ([2008] J.Q. No 15355, par. 35) ce fardeau est plus exigeant que celui prévu à l’article 38, qui traite de questions de sécurité nationale. Cette dernière disposition fait en effet référence à des « renseignements potentiellement préjudiciables » ou « susceptibles de porter préjudice » alors que l’article 37 vise les renseignements dont la divulgation « est préjudiciable ».
[11] Si le Tribunal conclut, d’une part, que la divulgation des renseignements faisant l’objet de l’opposition serait préjudiciable pour les raisons d’intérêt public invoquées mais que, d’autre part, les raisons d’intérêt public justifiant la communication l’emportent sur celles soulevées par l’opposant, il peut alors autoriser, sous réserve des conditions qu’il estime appropriées, la divulgation de tout ou partie des renseignements, d’un résumé de ceux-ci ou d’un aveu écrit des faits qui y sont liés.
[12] À cet égard, notre Cour d’appel rappelle, toujours dans l’arrêt Minisini, que les motifs d’intérêt public susceptibles d’entraîner l’application du paragraphe 37(5) correspondent notamment au droit de l’accusé à une défense pleine et entière, de même qu’à une divulgation de la preuve afin d’assurer la tenue d’un procès équitable.
[13] Finalement, le paragraphe 37(6) prévoit qu’un Tribunal n’autorisant pas la divulgation doit rendre une ordonnance à cet effet.
[14] Il convient de noter que l’article 37 n’a pas eu pour effet d’éliminer les privilèges circonstanciés de Common Law. Dans R. v. Chan, une décision de la Cour du banc de la Reine de l’Alberta, le juge Sulyma mentionne:
« 104 In Trang (the first disclosure hearing), Binder J. held that s. 37 does not eliminate the common law claim of public interest immunity. The Applicants in that case apparently did not strenuously press their assertions. However, Mr. Justice Binder concluded at paras. 34 and 35:
Having reviewed the case law and s. 37, I am of the view that "a specified public interest" provided for in s. 37 does not include solicitor/client privilege: Sander, 1994 CanLII 1658 (BC CA), 90 C.C.C. (3d) 41. Further, other common law privileges such as protecting witnesses against interference, investigative techniques, safety of persons and work product privilege may be raised under either the common law or a s. 37: Lam, 2000 BCCA 545 (CanLII), 148 C.C.C. (3d) 379: Richards, 1997 CanLII 3364 (ON CA), 115 C.C.C. (3d) 377.
Section 37 may be broader in scope than common law privileges, in terms of those who are permitted to claim privilege as a specified public interest; i.e. a police officer or a witness may invoke s. 37 if for some reason the Crown decided not to assert a claim of investigative technique privilege or the protection of the witness [ … ] »
[15] Plusieurs aspects du travail policier peuvent faire l’objet d’un privilège circonstancié. Il en va notamment ainsi des communications touchant les méthodes d’enquête, ou celles pouvant mettre en cause la sécurité de tiers. Ces renseignements bénéficient d’un privilège de Common Law et il appartient au Tribunal de soupeser, au cas par cas, le maintien de cette confidentialité en prenant en considération le droit de l’accusé à une défense pleine et entière.
[16] Dans R. v. Trang (2002 ABQB 19 (CanLII), [2002] A.J. No 119), le Juge Binder conclut ainsi :
« 55 Investigative techniques, ongoing investigations and safety of individuals are well recognized common law privileges. To distinguish them from communication based privilege and avoid the confusion created by the use of communication privilege terminology, I would categorize them as "qualified privileges". In accordance with the jurisprudence, these privileges are subject to review and balancing by the Court of the public interest served by the privilege against the importance of the information to the right of an accused to make full answer and defence. »
[17] Plus récemment, le juge Trafford de la Cour supérieure de l’Ontario réitérait ce principe dans R. v. J.J. ([2010] O.J. No 3238) :
« 4 There is at common law a qualified privilege that may alter the obligation of the Crown to disclose information under R. v. Stinchcombe (1991), 1991 CanLII 45 (CSC), 68 C.C.C. (3d) 1 (S.C.C.). This privilege was described in R. v. Richards (1997), 1997 CanLII 3364 (ON CA), 115 C.C.C. (3d) 377 (Ont. C.A.) at para. 11 as follows:
Disclosure of police investigative techniques is subject to a qualified privilege: R. v. Meuckon (1990), 1990 CanLII 10991 (BC CA), 57 C.C.C. (3d) 193 (B.C.C.A). Where the claim is made, the judge must first decide whether the information sought is relevant to an issue in the proceedings. Second, if relevant, evidence of the investigative techniques used will not be disclosed if the public interest in effective police investigation and the protection of those involved in, or who assist in such investigation, outweigh the legitimate interests of the accused in disclosure of the techniques.
The privilege was also recognized by Binder J. in R. v. Trang (2002), 2002 ABQB 19 (CanLII), 168 C.C.C. (3d) 145at paras. 49 and 50 where he said:
The jurisprudence clearly supports a common law principle in relation to investigative technique where warranted ...
Clearly, disclosure of investigative techniques may in some cases compromise ongoing investigations and put officers or civilians at risk; it might also cause criminal offenders in the future to modify their activities in order to avoid detection. There may be other justifications for non-disclosure of investigative techniques which are specific to the technique in question.
The importance of the privilege varies with the circumstances of the case. See also R. v. Webster, [1997] O.J. No. 5847 (S.C.J.)for a recognition of these principles in a case where the defence sought the permission of the Court to cross-examine an undercover officer on the location of his officer protection kit. »
[18] Sur cette question, je réfère également les parties aux arrêts R. v. Richards (1997 CanLII 3364 (ON CA), [1997] O.J. No 2086) de la Cour d’appel de l’Ontario (et plus particulièrement au paragraphe 11 de cette décision), de même qu’au paragraphe 51 de l’arrêt Michaud([1996] A.C.S. No 85).
[19] Évidemment, une simple affirmation du Ministère public à l’effet que la divulgation de renseignements risquerait de dévoiler une technique d’enquête ou de compromettre la sécurité d’un témoin est insuffisante. Une preuve doit être faite à cet effet. Il convient cependant de remarquer que cette dernière n’a pas à démontrer qu’une communication de l’information entraînerait nécessairement l’effet pervers appréhendé. Dans Minisini, l’honorable juge Doyon précise :
« 54 Le paragraphe 37 (4.1) n'exige toutefois pas que la poursuite établisse clairement que la divulgation nuiranécessairement et dans les faits à la sécurité du témoin. Les termes "sauf s'il conclut que leur divulgation est préjudiciable au regard des raisons d'intérêt public déterminées" ne requièrent pas une telle démonstration. C'est d'ailleurs ainsi que le juge de première instance interprète la Loi lorsqu'il écrit que la "poursuite n'a pas prouvé que la divulgation de ces éléments est de nature à mettre en péril tant la sécurité du témoin collaborateur Garand, que celle du bon fonctionnement du système de protection des témoins". Contrairement à ce qu'affirme l'appelante, les mots "de nature à mettre en péril" ne signifient pas que le juge la forçait à démontrer que la divulgation mettait nécessairement en péril la sécurité du témoin ou du système de protection de témoins. »
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