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vendredi 24 janvier 2014

Le Substitut du procureur général a l'intérêt légal à présenter une requête en déclaration d'inhabilité & l'évaluation de la connexité

R. c. Dufresne, 2002 CanLII 41819 (QC CQ)



L’INTÉRÊT LÉGAL

[28]           Le Tribunal doit en premier lieu décider si le Substitut a l'intérêt légal à présenter la présente requête.
[29]           Dans l'arrêt R. c. Proulx, le juge L'Heureux-Dubé (dissidente) adopte l'analyse du juge LeBel (dissident) siégeant alors à la Cour d'appel, quant rôle du Procureur général du Québec et de ses substituts en ce qui a trait aux poursuites criminelles:
«Gardiens de l’intérêt public, le procureur général et ses substituts assument une responsabilité générale à l’égard du fonctionnement efficace et correct du système de justice pénale. Leur rôle ne se limite pas à celui du plaideur privé, chargé d’un dossier particulier. Le bon exercice de ces fonctions dépend de la reconnaissance d’un large pouvoir discrétionnaire lorsque les substituts conduisent des poursuites criminelles au nom de la Couronne. Cette discrétion constitue une composante importante de la justice criminelle et de son efficacité, les décisions des procureurs de la Couronne mettant en cause des considérations importantes reliées à la perception de l’intérêt public et à sa protection.»
[30]           Cet énoncé de principe n'a pas fait l'objet d'une contestation en Cour suprême, même si le pourvoi fut accueilli par la majorité du tribunal. Quoique prononcé dans un contexte de responsabilité civile, il donne un éclairage précieux en regard de la fonction du Substitut dans la conduite du procès pénal.
[31]           Comme la question touche ici l'intégrité du système judiciaire, le Tribunal conclut que le Substitut a l'intérêt légal à présenter la présente requête en déclaration d’inhabilité.
[32]           Cet intérêt a d'ailleurs été reconnu dans les affaires précitées MontourRiverin-Castonguay et Tremblay, même si la question n'a pas été spécifiquement plaidée.

LA QUESTION DE FOND

[33]           Le lien antérieur avocat-client, entre Me Girard et Madame, n’est pas ici contesté.
[34]           La Cour suprême, dans l’arrêt Martin, établit qu’il faut alors examiner s’il existe une possibilité de préjudice réel, selon la perception d’une personne raisonnablement informée, en vérifiant s’il y a un lien important avec le mandat dont on veut priver l’avocat.
[35]           Ce critère, appliqué à la présente affaire, revient à se demander s’il y a une connexité entre, d’une part, les anciens mandats de Me Girard auprès de Madame et, d’autre part, l’éventuel témoignage de Madame dans les dossiers 150-01-004168-010 et 150-01-004169-018.
[36]           Dans l’affaire Montour, le juge Provost a conclu qu’une telle connexité peut exister si la crédibilité des acteurs constitue une question principale
[37]           Par ailleurs, comme l’écrit le juge Gendreau dans Reine c. Henry, le contre-interrogatoire «…est un formidable outil entre les mains de l’avocat.» Selon la doctrine «…le contenu du contre-interrogatoire est laissé à l’entière discrétion de l’avocat. Ainsi, ce dernier peut confronter le témoin avec des déclarations de nature suggestive. Il peut aussi, dans le seul but d’attaquer sa crédibilité, lui poser des questions sur ses antécédents judiciaires, incluant les faits qui leur ont donné ouverture, et sur son mode de vie afin d’établir sa mauvaise réputation, …» (soulignement ajouté)
[38]           Dans la présente affaire, Me Girard risquerait ainsi de contre-interroger son ancienne cliente sur ses antécédents et les faits qui leur ont donné ouverture. Madame risquerait alors de se sentir désavantagée face son ex-avocat qui la questionne sur des sujets où elle s’est possiblement confiée à lui. Dans le cadre de cette relation professionnelle intime, MGirard a possiblement découvert certains points faibles de son ex-cliente.
[39]           Par souci d’honnêteté, Me Girard risquerait d’éviter certaines sujets lors de son contre-interrogatoire. Peut-être, même, décidera-t-il qu’il n’est pas nécessaire d’interroger Madame si son témoignage n’a pas été véritablement dommageable.
[40]           Le problème vient de prendre une nouvelle dimension : M. Dufresne risque maintenant de se demander si son avocat agit avec une totale liberté, sans restriction mentale.
[41]           À force de multiplier les risques, on s'enferme ici dans la quadrature du cercle!
[42]           L'énoncé suivant de la Cour suprême, dans l'arrêt Martin, prend alors toute sa force:
«Un avocat qui a appris des faits confidentiels pertinents ne peut pas agir contre son client ou son ancien client. Il sera automatiquement déclaré inhabile à agir. Peu importe qu'il donne l'assurance ou qu'il promette de ne pas utiliser les renseignements. L'avocat ne peut pas compartimenter son esprit de façon à trier les renseignements appris de son client et ceux obtenus d'autres sources. Au surplus, il risquerait de s'abstenir d'utiliser des renseignements obtenus licitement, par crainte de donner l'impression qu'ils proviennent du client. Par surcroît, l'ancien client aurait le sentiment d'être désavantagé. Il ne pourrait s'empêcher de penser que les questions posées au cours du contre-interrogatoire au sujet de sa vie privée, par exemple, ont leur origine dans la relation antérieure.»
[43]           Dans l'arrêt Henry, le juge Gendreau rappelle que «…la crédibilité du système judiciaire ne peut souffrir du moindre doute sur la qualité de son fonctionnement
[44]           Tous ces principes sont applicables à la présente affaire.
[45]           Un observateur extérieur, bien informé de la situation, n'aurait pas une bonne perception de la justice en voyant Me Girard contre-interroger le témoin principal de la poursuite sur ses antécédents, sachant que l'avocat agissait lui-même en défense pour ce témoin.
[46]           Bien sûr, les mandats de Me Girard se sont terminés en 1996. Aussi, Me Girard n’a rien appris de nouveau concernant les faits directement à la base des plaintes en 2001.
[47]           Cependant, le lien de connexité demeure à l’égard de la crédibilité de Madame, comme témoin principal, dans le cadre de son futur contre-interrogatoire. Ce lien est suffisamment important, dans la présente affaire, pour éliminer toute solution alternative, comme, par exemple, le contre-interrogatoire de Madame par un autre avocat.
[48]           Chaque cas est un cas d’espèce. Ici, la situation commande de maintenir au premier rang la préservation des normes exigeantes de la profession d’avocat et l’intégrité du système judiciaire.
[49]           MGirard est donc déclaré inhabile à représenter M. Dufresne dans les présents dossiers.

Le conflit d'intérêt peut naître seulement de la possibilité d'utilisation d'informations reçues dans le cadre de ces autres mandats, au détriment de l'une ou l'autre des parties

R. c. Joyal, 1990 CanLII 3344 (QC CA)

Lien vers le document

Je ne saurais retenir cette argumentation de l'appelant. Soulignons tout d'abord qu'il n'y a aucun lien ni relation de quelque nature que ce soit entre les faits en l'instance et l'objet des mandats antérieurs.  Le seul fait d'avoir déjà représenté quelqu'un, plusieurs années auparavant, dans des affaires essentiellement différentes ne crée pas, en soi, ni conflit, ni même apparence de possibilité de conflit.  Le conflit naîtrait seulement de la possibilité d'utilisation d'informations reçues dans le cadre de ces autres mandats, au détriment de l'une ou l'autre des parties.

(...)

Or, il est de jurisprudence constante, en matière de récusation, que de tels moyens doivent être soulevés dès qu'il est constaté qu'il peut y avoir doute quant à l'impartialité de celui que l'on veut récuser, ou dès qu'il y a possibilité apparente d'un préjudice au droit à un procès juste et équitable (Ghirardosi vs Ministère des autoroutes (3), Procureur général du Québec vs Cochrane (4), Sa Majesté la Reine c. King (5).

Un avocat qui a appris des faits confidentiels pertinents ne peut pas agir contre son client ou son ancien client

Succession macdonald c. Martin, 1990 CanLII 32 (CSC), [1990] 3 RCS 1235


Pour décider s'il existe un conflit d'intérêts entraînant une inhabilité, la Cour doit prendre en considération trois valeurs en même temps:  1) le souci de préserver les normes exigeantes de la profession d'avocat et l'intégrité de notre système judiciaire; 2) en contrepoids, le droit du justiciable de ne pas être privé sans raison valable de son droit de retenir les services de l'avocat de son choix; 3) la mobilité raisonnable qu'il est souhaitable de permettre au sein de la profession.  La "probabilité de préjudice", qui est le critère anglais traditionnel, n'est pas une norme assez exigeante pour assurer à la justice ce caractère apparent que le public exige d'elle.  L'utilisation de renseignements confidentiels est habituellement impossible à prouver et le critère retenu doit donc tendre à convaincre le public, c'est-à-dire une personne raisonnablement informée, qu'il ne sera fait aucun usage de renseignements confidentiels.  Il faut répondre à deux questions:  1)  L'avocat a-t-il appris, grâce à des rapports antérieurs d'avocat à client, des faits confidentiels relatifs à l'objet du litige?  2)  Y a-t-il un risque que ces renseignements soient utilisés au détriment du client?  Les tribunaux américains ont répondu à la première question en appliquant le critère du "lien important":  dès qu'il est établi qu'il y a un "lien important" entre la question qui serait à l'origine du renseignement confidentiel et la question en litige, il existe une présomption irréfragable selon laquelle l'avocat a appris des faits confidentiels.  Ce critère est cependant trop rigide.  Il convient plutôt de dire que, dès que le client a prouvé l'existence d'un lien antérieur dont la connexité avec le mandat dont on veut priver l'avocat est suffisante, un tribunal doit en inférer que des renseignements confidentiels ont été transmis, sauf si l'avocat convainc le tribunal qu'aucun renseignement pertinent n'a été communiqué.  La conviction doit être telle qu'un membre du public raisonnablement informé en serait également persuadé.   Il sera difficile de s'acquitter du fardeau de la preuve.

   Pour répondre à la deuxième question, savoir le mauvais usage qui pourrait être fait des renseignements confidentiels, un avocat qui a appris des faits confidentiels pertinents ne peut pas agir contre un client ou un ancien client.  En ce qui concerne les associés d'un cabinet, le concept de connaissance présumée est irréaliste à l'ère des mégacabinets.  Un tribunal doit donc tirer la conclusion que les avocats qui travaillent ensemble échangent des renseignements confidentiels, sauf s'il est persuadé, par des preuves claires et convaincantes, que toutes les mesures raisonnables ont été prises pour veiller à ce que l'avocat en cause ne divulgue rien aux membres du cabinet qui agissent contre son ancien client.  Parmi ces mesures raisonnables, on pourrait compter des mécanismes institutionnels comme les murailles de Chine et les cônes de silence.  Jusqu'à ce que les organes directeurs de la profession les aient approuvés et aient adopté les règles régissant leur fonctionnement, il est improbable qu'un tribunal les accepte comme preuve suffisante d'une protection efficace.   Les engagements et affirmations catégoriques contenus dans des affidavits ne sont pas suffisants parce que les affidavits des avocats sont difficiles à vérifier objectivement et qu'il est peu probable que le public soit convaincu s'il n'a d'autres garanties que les renseignements confidentiels ne seront jamais utilisés.

jeudi 23 janvier 2014

Il n’est pas toujours facile de déterminer, dans le cas où un seul avocat représente plusieurs accusés, s’il y a véritablement possibilité de conflit d’intérêts

R. c. Walsh, 2008 QCCS 2794 (CanLII)


[19]            Il n’est pas de l’intention du tribunal de revenir de façon détaillée sur les principes applicables en semblable matière puisque notre collègue, l’honorable Yves Tardif en a fait une analyse assez élaborée dans les deux décisions auxquelles il est fait référence dans ce jugement.

[20]            De plus, tant la Cour suprême du Canada que les diverses cours d’appel canadiennes ont discuté à quelques reprises des critères applicables aux conflits d’intérêts en matière criminelle. Enfin, les auteurs Michel Proulx et David Layton dans leur volume Ethics and Canadian Criminal Law élaborent bien l’état du droit sur le sujet.

[21]            Les principaux principes peuvent se résumer sommairement ainsi. La relation client-avocat est fondée sur une confiance sans limites de façon à ce que la loyauté de l’avocat ne puisse être mise en doute. C’est l’obligation pour l’avocat d’être loyal qui est le fondement de cette relation et qui doit guider tous les aspects de leurs liens. Un avocat doit éviter de se placer dans une situation où il pourrait avoir à représenter simultanément des intérêts conflictuels de ses clients et dans le cas où cela se produit, il doit cesser de représenter l’un et l’autre. En cas de risque réel de conflit, il vaut mieux être prudent.

[22]            Il n’est pas toujours facile de déterminer, dans le cas où un seul avocat représente plusieurs accusés, s’il y a véritablement possibilité de conflit d’intérêts. Toutefois lorsqu’un risque réel, sans qu’il soit nécessaire d’en faire une preuve hors de tout doute, d’un tel conflit existe, cela est suffisant pour justifier le retrait du procureur.

[23]            Dans le dossier, la façon dont sont rédigés les actes d’accusation, justifie à première vue l’existence d’un risque sérieux de conflits d’intérêts entre la grande majorité des accusés. Ce risque existe en raison des infractions qui leur sont reprochées et des accusations conjointes portées contre eux.

[24]            De plus, les liens importants entre certains accusés ou entre certains d’entre eux et d’autres dans des dossiers connexes font en sorte qu’il est possible de façon réaliste qu’à certains moments et dans certaines circonstances il soit difficile pour l’intimé de tous les représenter sans risque de compromettre ses obligations individuelles envers chacun d’entre eux.

[25]            Il est possible, bien que cela ne soit pas nécessairement probable que certains des accusés puissent avoir l’intention de témoigner alors que d’autres ne le voudront pas. Pour certains, des plaidoyers de culpabilité pourraient être envisagés et dans de tels cas, avoir des incidences quant à d’autres coaccusés. Que dire si les confidences de l’un peuvent aider la défense d’un autre ou lui être d’un certain secours dans la détermination de la peine en cas d’une éventuelle condamnation. Comment, en raison des actes d’accusation conjoints impliquant entre autres des membres d’une même famille, peut-on éviter des conflits d’intérêts surtout lorsque certains des coaccusés font aussi l’objet d’autres accusations impliquant des accusés différents avec lesquels certains mis en cause n’ont eux-mêmes aucun lien en apparence.

[26]            Le rôle du tribunal dans un tel cas est de tenir compte d’une part du souci de préserver les normes exigeantes de la profession d’avocat et l’intégrité du système judiciaire et d’autre part, le droit fondamental d’un accusé de retenir les services de l’avocat de son choix, à moins d’une raison valable.

[27]            La possibilité réaliste d’un conflit d’intérêts existe, même en ce qui concerne la présentation de requêtes préliminaires et si de nouveaux avocats doivent, pour certains sinon tous les mis en cause, intervenir, il est préférable qu’ils le fassent à ce stade-ci compte tenu de l’ampleur du dossier, de sa complexité et de toutes les énergies qui devront y être consacrées.

[28]            Même si d’éventuels jugements sur des requêtes préliminaires peuvent ultimement modifier substantiellement le nombre des accusations portées, ou celui des accusés, il n’en demeure pas moins qu’en raison des démarches juridiques et des représentations déjà faites par l’intimé pour plusieurs des mis en cause et pour d’autres personnes impliquées dans les autres dossiers à diverses étapes, le risque réel de conflit persisterait quand même, mettant ainsi en danger tout le processus.

[29]            Il est possible, comme le souligne l’intimé, que certains des mis en cause, en raison de la nature spécifique des gestes qui leur sont reprochés, puissent souffrir des conséquences d’un procès conjoint où exiger d’être jugés dans une langue différente de celle de certains autres accusés, mais il est prématuré de se prononcer sur cet aspect du dossier. Si des représentations ou requêtes doivent être faites en ce sens, elles pourront l’être par les nouveaux procureurs des mis en cause.

[30]            En raison de l’état d’avancement d’un dossier connexe dont le procès doit débuter prochainement et de la possibilité que certaines requêtes préliminaires soient plaidées dans un proche avenir, il faut dès à présent éviter toute ambiguïté.


[31]            En conséquence, en raison des motifs plus haut mentionnés, le tribunal considère que l’intimé est placé dans une situation où un risque réel de conflits d’intérêts existe et que de tels conflits sont de façon réaliste possibles entre les différents mis en cause. Il va donc de l’intérêt de la justice que l’intimé soit déclaré inhabile à représenter tous les mis en cause et qu’il lui soit ordonné de cesser d’occuper afin que de nouveaux procureurs puissent être choisis, dans les plus brefs délais, pour assurer leur défense. 

Comment apprécier valablement si un avocat représente des intérêts opposés

R. c. Racine, 2004 CanLII 14153 (QC CS)


[35]            Dans l’arrêt Martin et Succession MacDonald, le juge Sopinka de la Cour suprême expose les principes généraux suivants sur la déontologie de la profession d’avocat :
p. 1242  « La seule question en litige dans ce pourvoi est la norme qu’il convient d’appliquer pour décider si Thompson, Dorfman, Sweatman doivent être déclarés inhabiles à continuer d’occuper pour leur client dans cette action pour raison de conflit d’intérêts.
Déontologie de la profession d’avocat – Principes généraux
  Pour résoudre cette question, la Cour doit prendre en considération au moins trois valeurs en présence. Au premier rang se trouve le souci de préserver les normes exigeantes de la profession d’avocat et l’intégrité de notre système judiciaire. Vient ensuite en contrepoids, le droit du justiciable de ne pas être privé sans raison valable de son droit de retenir les services de l’avocat de son choix. Enfin, il y a la mobilité raisonnable qu’il est souhaitable de permettre au sein de la profession. » (Soulignements ajoutés)

[36]            Quant aux critères à retenir en matière de conflit d’intérêts et de confidentialité, le juge Sopinka poursuit :
p. 1259
Le critère à retenir
   Quelle doit donc être la bonne approche? La norme de la « probabilité de préjudice » est-elle assez exigeante pour donner à la justice ce caractère apparent que le public exige d’elle? À mon sens, elle ne l’est pas; ce que confirment la jurisprudence que j’ai citée et le désir de la profession juridique d’avoir des règles strictes de déontologie, comme le démontre l’adoption du Code canadien de déontologie professionnelle. Le critère de la probabilité de préjudice correspond essentiellement à la norme de preuve en matière civile. Nous nous en tenons aux probabilités, tel est le fondement de l’arrêt Rakusen. Force m’est cependant de conclure que le public, et même les avocats et les juges, ont jugé cette norme insuffisante. L’utilisation de renseignements confidentiels est habituellement impossible à prouver. Comme le fait remarquer le lord juge Fletcher Moulton dans l’arrêt Rakusen, [traduction] « ce n’est pas possible de le prouver »(p. 841). J’ajouterais : « ou de le réfuter ». S’il en était autrement, le public se satisferait sans doute d’une preuve d’absence de préjudice. Mais comme c’est impossible à prouver, le critère retenu doit tendre à convaincre le public, c’est-à-dire une personne raisonnablement informée, qu’il ne sera fait aucun usage de renseignements confidentiels. Voilà, à mon sens, la ligne directrice primordiale que doit suivre la Cour en répondant à la question : sommes-nous en présence d’un conflit d’intérêts de nature à rendre l’avocat inhabile à agir? Il faut souligner à cet égard que cette conclusion suppose que le client n’a pas acquiescé, mais qu’il s’oppose au mandat qui est à l’origine du conflit présumé » (Soulignements ajoutés)

[37]            Dans le même arrêt, le juge Cory dit ce qui suit :
p. 1265
« Les avocats font partie intégrante de notre système judiciaire et y jouent un rôle absolument indispensable. C’est à eux qu’il incombe de préparer et de défendre les causes de leurs clients devant les tribunaux. En vue de l’audition d’une question litigieuse, le client doit souvent confier des renseignements confidentiels à l’avocat qu’il a mandaté. Il doit souvent, par nécessité, dévoiler à son avocat ses plans et ses désirs les plus secrets, ses craintes les plus vives. Le client doit avoir la certitude que l’avocat ne révélera pas ses confidences ni n’en tirera profit.
  Sans cela, notre système judiciaire serait incapable de fonctionner. Si le public se demande si les renseignements confidentiels communiqués par un client à un avocat seront divulgués ou s’il soupçonne qu’ils pourraient l’être, le système ne peut pas fonctionner normalement.
  Incontestablement, un tel doute naîtrait sûrement dans l’esprit du public s’il avait l’impression que les avocats se mettent dans une situation susceptible de donner lieu à un conflit d’intérêts, notamment en changeant de cabinet.
Prenons l’hypothèse où un client mêlé à une affaire litigieuse aurait confié des renseignements confidentiels à un avocat. Si cet avocat exerçait avec un associé, le public jugerait déloyal et tout à fait inacceptable que l’associé puisse occuper pour l’adversaire du client. De même, si cet avocat se joignait à un cabinet que l’adversaire du client a mandaté au sujet de la même affaire, même le membre du public le plus raisonnable et le plus juste trouverait intolérable que ce cabinet occupe pour ceux dont les intérêts sont opposés à ceux de ce client. Dans les deux situations, une impression de déloyauté ressortirait de la facilité avec laquelle des avocats travaillant ensemble dans le même cabinet pourraient s’échanger des renseignements confidentiels confiés par des clients. »  (Soulignements ajoutés)


[38]            Dans la présente affaire, le Tribunal conclut qu’il y a apparence à tout le moins de conflit d’intérêts et un public raisonnablement informé craindrait pour l’intégrité du système judiciaire.

[44]            Le Tribunal croit nécessaire de commenter certaines décisions portées à son attention.

[45]            Dans l’affaire R. c. Joyal, la Cour d’appel n’a pas retenu un moyen d’appel soulevé par l’accusé-appelant qui prétendait ne pas avoir eu un procès juste et équitable vu que le procureur ad hoc de la Couronne avait été son avocat cinq ans auparavant. Dans cette affaire, l’accusé-appelant a été parfaitement mis au courant de cette situation et n’avait pas fait objection à ce que son avocat agisse pour la Couronne; de plus, il n’y avait aucune possibilité apparente d’un préjudice au droit à un procès juste et équitable.

[46]            Dans le jugement R. c. Berrardo rendu par le juge Jean-Guy Boilard de la Cour supérieure, le juge Boilard dit ce qui suit :
p. 2
«  Dans le cas actuel, la seule personne qui est en mesure de déterminer la base factuelle d’un empêchement dirimant pour Me Poupart de représenter Berrardo c’est justement son ancien client Beaudoin. »

[47]            Toutefois, dans le cas actuel Dominique Racine n’est pas un ancien client mais encore un client actuel.

[48]            Dans la décision R. c. Stockwell, le juge Pierre Béliveau dit ce qui suit :
Par. 55
« Cette jurisprudence, presqu’entièrement postérieure à l’arrêt Succession MacDonald c. Martin, nous apprend clairement qu’une apparence de conflit doit s’appuyer sur plus que des hypothèses éloignées, à moins que le conflit soit inhérent à la situation. En sus, il faut tenir compte du fait qu’en droit pénal, un accusé a droit d’être défendu par l’avocat de son choix. »

[49]            Dans la présente affaire, le Tribunal constate que le conflit est justement inhérent à la situation.

[50]            Dans un arrêt rendu par la Cour d’appel le 12 septembre 1990, l’affaire Louis Henry c. Sa Majesté La Reine, le juge Gendreau, exprimant le jugement unanime de la Cour, dit ce qui suit :
p. 6
« Je présume que la Couronne entendra appeler comme témoin ce que l’on appelait euphémystiquement la source c’est-à-dire un dénommé Beauchamp. Je présume qu’aucun des avocats en défense n’a été l’avocat de ce témoin là. » (Soulignements ajoutés)

[51]            Dans l’arrêt R. c. Neil, le juge Binnie de la Cour suprême rappelle le devoir de loyauté d’un avocat envers un client existant et il cite les paroles de Lord Henry Brougham appelé en 1821 à prendre la défense de la reine Caroline accusée par son époux le roi Georges IV :
p. 641
« L’avocat, dans l’accomplissement de son devoir, ne connaît qu’une personne au monde et cette personne est son client. Le sauver par tous les moyens, aux dépens et au risque de tous les autres et, parmi les autres, de lui-même, est son premier et son unique devoir et il doit s’en acquitter sans se préoccuper de l’inquiétude, des tourments ou de la destruction qu’il peut causer à autrui. Il doit faire la distinction entre ses devoirs de patriote et ses devoirs d’avocat et agir sans se soucier des conséquences, jusqu’à entraîner son pays dans la confusion si malheureusement tel doit être son destin. »

[52]            En l’occurrence, le Tribunal croit que Me Pelletier ne peut être loyal à la fois à Dominique et à Michel Racine.

Revue du droit sur la déclaration d'inhabilité d'un avocat

R. c. Maltais, 2007 QCCQ 1378 (CanLII)


[5]               Tant le code d’éthique des membres du Barreau , que le droit d’un accusé en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés d’être représenté par un avocat loyal et compétent, oblige chaque avocat de s’assurer avant d’accepter un mandat qu’il peut le remplir sans risque de se retrouver en situation de conflit d’intérêts. Il y va de l’intégrité et du respect du système judiciaire par les citoyens, que chaque justiciable soit représenté, non seulement par des membres du Barreau compétents, mais libres de toute contrainte qui pourrait les entraver voire les gêner dans la défense des intérêts de leurs clients. Dans l’affaire Neil , le juge Binnie écrivait : « Si une partie à un litige n'est pas assurée de la loyauté sans partage de son avocat, ni cette partie ni le public ne croiront que le système juridique, qui leur paraît peut-être hostile et affreusement complexe, peut s'avérer un moyen sûr et fiable de résoudre leurs conflits et différends. » Voilà une ligne de conduite très claire pour tous les intervenants du système judiciaire.

[6]               Rappelons qu’il n’appartient pas seulement à la partie opposée à soulever cette question, mais également à chaque avocat lui-même puisque ce sont les droits du justiciable qui sont en cause, et non ceux de l’avocat. Il est aussi évident que si la poursuite se doit de signaler, dès qu'elle le constate, toute situation de conflit d'intérêts, en aucun cas elle ne doit se servir de cette potentielle requête en déclaration d'inhabileté comme instrument de négociation quelconque, geste qui serait certes contraire à l'éthique . Il y va tout autant du devoir du tribunal présidant un procès de s’assurer qu’un accusé représenté par un avocat, ne le soit pas par un avocat qui est en situation de conflit d’intérêts réel ou potentiel , par souci de préserver les normes exigeantes de la profession d'avocat et d'intégrité du système judiciaire.

[7]               Dans une décision qui constitue l’autorité en la matière, la Cour suprême  fixe les règles applicables sur la question. Dans le résumé on peut y lire : « Pour décider s'il existe un conflit d'intérêts entraînant une inhabilité, la Cour doit prendre en considération trois valeurs en même temps: 1) le souci de préserver les normes exigeantes de la profession d'avocat et l'intégrité de notre système judiciaire; 2) en contrepoids, le droit du justiciable de ne pas être privé sans raison valable de son droit de retenir les services de l'avocat de son choix; 3) la mobilité raisonnable qu'il est souhaitable de permettre au sein de la profession. La "probabilité de préjudice", qui est le critère anglais traditionnel, n'est pas une norme assez exigeante pour assurer à la justice ce caractère apparent que le public exige d'elle. L'utilisation de renseignements confidentiels est habituellement impossible à prouver et le critère retenu doit donc tendre à convaincre le public, c'est-à-dire une personne raisonnablement informée, qu'il ne sera fait aucun usage de renseignements confidentiels. »


[8]               Les précédents sont nombreux sur cette question de conflit d’intérêts. Ainsi est en situation de conflit le procureur qui « a antérieurement » représenté une personne, devenue maintenant témoin à charge en poursuite, et cela même si son mandat est terminé . Représenter plusieurs accusés dans un dossier conjoint entraîne toujours le risque de conflit, et la possibilité en appel pour un accusé déclaré coupable d’invoquer la question. Les accusations réfèrent-elles à un « complot » que forcément la situation est alors la plus susceptible de créer un conflit. Enfin est en situation de conflit d’intérêts on ne peut plus flagrante, l’avocat qui représente des accusés dont certains ont fait des déclarations incriminantes contre d’autres accusés qu’il représente également. 

mercredi 22 janvier 2014

Le principe cardinal devant guider la Cour quant à la déclaration d'inhabilité d'un avocat: le devoir de loyauté

R. c. Neil, 2002 CSC 70 (CanLII), [2002] 3 RCS 631


Certes, la plupart du temps, lorsqu’une partie lui demande de déclarer un avocat inhabile à continuer d’agir dans une affaire, ou une autre réparation connexe, la cour se préoccupe de l’utilisation, à bon ou à mauvais escient, de renseignements confidentiels; néanmoins, le devoir de loyauté envers un client actuel englobe un principe de portée beaucoup plus large de prévention des conflits d’intérêts, qui peut mettre en cause, ou non, l’utilisation de renseignements confidentiels.  Les aspects du devoir de loyauté pertinents quant au pourvoi incluaient effectivement des questions de confidentialité relativement aux affaires Canada Trust, mais les trois aspects suivants étaient plus particulièrement en cause : le devoir d’éviter les conflits d’intérêts, un devoir de dévouement à la cause du client et un devoir de franchise envers le client pour les questions pertinentes quant au mandat.  La règle générale interdit à un avocat de représenter un client dont les intérêts sont directement opposés aux intérêts immédiats d’un autre client actuel — même si les deux mandats n’ont aucun rapport entre eux — à moins que les deux clients n’y aient consenti après avoir été pleinement informés (et de préférence après avoir obtenu des avis juridiques indépendants) et que l’avocat ou l’avocate estime raisonnablement pouvoir représenter chaque client sans nuire à l’autre.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Un dossier médical peut être déposé en vertu de l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada

R. c. Drouin, 2015 QCCS 6651  Lien vers la décision [ 8 ]             L’ article 30(1)  de la  Loi sur la preuve au Canada [3]  précise que ...