R. c. Walsh, 2008 QCCS 2794 (CanLII)
[19] Il n’est pas de l’intention du tribunal de revenir de façon détaillée sur les principes applicables en semblable matière puisque notre collègue, l’honorable Yves Tardif en a fait une analyse assez élaborée dans les deux décisions auxquelles il est fait référence dans ce jugement.
[20] De plus, tant la Cour suprême du Canada que les diverses cours d’appel canadiennes ont discuté à quelques reprises des critères applicables aux conflits d’intérêts en matière criminelle. Enfin, les auteurs Michel Proulx et David Layton dans leur volume Ethics and Canadian Criminal Law élaborent bien l’état du droit sur le sujet.
[21] Les principaux principes peuvent se résumer sommairement ainsi. La relation client-avocat est fondée sur une confiance sans limites de façon à ce que la loyauté de l’avocat ne puisse être mise en doute. C’est l’obligation pour l’avocat d’être loyal qui est le fondement de cette relation et qui doit guider tous les aspects de leurs liens. Un avocat doit éviter de se placer dans une situation où il pourrait avoir à représenter simultanément des intérêts conflictuels de ses clients et dans le cas où cela se produit, il doit cesser de représenter l’un et l’autre. En cas de risque réel de conflit, il vaut mieux être prudent.
[22] Il n’est pas toujours facile de déterminer, dans le cas où un seul avocat représente plusieurs accusés, s’il y a véritablement possibilité de conflit d’intérêts. Toutefois lorsqu’un risque réel, sans qu’il soit nécessaire d’en faire une preuve hors de tout doute, d’un tel conflit existe, cela est suffisant pour justifier le retrait du procureur.
[23] Dans le dossier, la façon dont sont rédigés les actes d’accusation, justifie à première vue l’existence d’un risque sérieux de conflits d’intérêts entre la grande majorité des accusés. Ce risque existe en raison des infractions qui leur sont reprochées et des accusations conjointes portées contre eux.
[24] De plus, les liens importants entre certains accusés ou entre certains d’entre eux et d’autres dans des dossiers connexes font en sorte qu’il est possible de façon réaliste qu’à certains moments et dans certaines circonstances il soit difficile pour l’intimé de tous les représenter sans risque de compromettre ses obligations individuelles envers chacun d’entre eux.
[25] Il est possible, bien que cela ne soit pas nécessairement probable que certains des accusés puissent avoir l’intention de témoigner alors que d’autres ne le voudront pas. Pour certains, des plaidoyers de culpabilité pourraient être envisagés et dans de tels cas, avoir des incidences quant à d’autres coaccusés. Que dire si les confidences de l’un peuvent aider la défense d’un autre ou lui être d’un certain secours dans la détermination de la peine en cas d’une éventuelle condamnation. Comment, en raison des actes d’accusation conjoints impliquant entre autres des membres d’une même famille, peut-on éviter des conflits d’intérêts surtout lorsque certains des coaccusés font aussi l’objet d’autres accusations impliquant des accusés différents avec lesquels certains mis en cause n’ont eux-mêmes aucun lien en apparence.
[26] Le rôle du tribunal dans un tel cas est de tenir compte d’une part du souci de préserver les normes exigeantes de la profession d’avocat et l’intégrité du système judiciaire et d’autre part, le droit fondamental d’un accusé de retenir les services de l’avocat de son choix, à moins d’une raison valable.
[27] La possibilité réaliste d’un conflit d’intérêts existe, même en ce qui concerne la présentation de requêtes préliminaires et si de nouveaux avocats doivent, pour certains sinon tous les mis en cause, intervenir, il est préférable qu’ils le fassent à ce stade-ci compte tenu de l’ampleur du dossier, de sa complexité et de toutes les énergies qui devront y être consacrées.
[28] Même si d’éventuels jugements sur des requêtes préliminaires peuvent ultimement modifier substantiellement le nombre des accusations portées, ou celui des accusés, il n’en demeure pas moins qu’en raison des démarches juridiques et des représentations déjà faites par l’intimé pour plusieurs des mis en cause et pour d’autres personnes impliquées dans les autres dossiers à diverses étapes, le risque réel de conflit persisterait quand même, mettant ainsi en danger tout le processus.
[29] Il est possible, comme le souligne l’intimé, que certains des mis en cause, en raison de la nature spécifique des gestes qui leur sont reprochés, puissent souffrir des conséquences d’un procès conjoint où exiger d’être jugés dans une langue différente de celle de certains autres accusés, mais il est prématuré de se prononcer sur cet aspect du dossier. Si des représentations ou requêtes doivent être faites en ce sens, elles pourront l’être par les nouveaux procureurs des mis en cause.
[30] En raison de l’état d’avancement d’un dossier connexe dont le procès doit débuter prochainement et de la possibilité que certaines requêtes préliminaires soient plaidées dans un proche avenir, il faut dès à présent éviter toute ambiguïté.
[31] En conséquence, en raison des motifs plus haut mentionnés, le tribunal considère que l’intimé est placé dans une situation où un risque réel de conflits d’intérêts existe et que de tels conflits sont de façon réaliste possibles entre les différents mis en cause. Il va donc de l’intérêt de la justice que l’intimé soit déclaré inhabile à représenter tous les mis en cause et qu’il lui soit ordonné de cesser d’occuper afin que de nouveaux procureurs puissent être choisis, dans les plus brefs délais, pour assurer leur défense.
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