vendredi 13 mars 2009

La règle des confessions contemporaine / Menaces ou promesses

R. c. Oickle, [2000] 2 R.C.S. 3, 2000 CSC 38

47 La règle des confessions de la common law offre une protection efficace contre les fausses confessions. Bien que cette règle s’attache principalement au caractère volontaire des confessions, ce concept chevauche celui de la fiabilité. Une confession non volontaire est souvent (mais pas toujours) peu fiable. L’application de la règle est, par nécessité, contextuelle. (...) Par conséquent, le juge du procès doit tenir compte de tous les facteurs pertinents lorsqu’il examine une confession.

a) Menaces ou promesses

48 (...)Il importe donc de définir précisément quels types de menaces ou de promesses soulèvent un doute raisonnable quant au caractère volontaire d’une confession. Bien que des menaces de torture clairement imminente rendent une confession inadmissible, la plupart des affaires ne sont pas aussi nettes.

49 Comme il a été souligné plus tôt, le Conseil privé a jugé, dans Ibrahim, que des déclarations sont inadmissibles si elles ont été obtenues «par crainte d’un préjudice ou dans l’espoir d’un avantage». L’exemple classique d’«espoir d’un avantage» est la perspective de clémence de la part du tribunal. Il est inacceptable qu’une personne en situation d’autorité laisse entendre à un suspect qu’elle fera des démarches pour obtenir une réduction de l’accusation ou de la peine si le suspect fait une confession. En conséquence, dans l’arrêt Nugent, précité, la cour a écarté la déclaration d’un suspect à qui l’on avait dit que, s’il faisait une confession, il serait accusé d’homicide involontaire coupable au lieu de meurtre. Aussi peu plausible que cela puisse intuitivement sembler, tant la jurisprudence que la doctrine confirment que la pression découlant d’un interrogatoire intense et prolongé peut convaincre un suspect que personne ne croira ses protestations d’innocence et qu’il sera inévitablement déclaré coupable. Dans de telles circonstances, faire miroiter à un suspect la possibilité d’une réduction de l’accusation ou de la peine en échange d’une confession soulèverait un doute raisonnable quant au caractère volontaire de l’aveu qui s’ensuivrait. Le fait pour les policiers d’offrir explicitement au suspect de lui obtenir un traitement clément en retour d’une confession est manifestement un encouragement très puissant et justifiera l’exclusion de la confession, sauf dans des circonstances exceptionnelles.

50 Un autre type d’encouragement pertinent en ce qui concerne le présent pourvoi est le fait d’offrir au suspect de l’assistance psychiatrique ou d’autres formes de counselling en échange d’une confession. Bien qu’il s’agisse clairement d’un encouragement, une telle offre n’a pas autant de poids qu’une offre de clémence et il faut, dans un tel cas, tenir compte de l’ensemble des circonstances. (...) bien que la conduite des policiers ait constitué un encouragement, ce facteur n’a pas joué dans la décision du suspect de faire une confession. L’arrêt Ewert reconnaît donc l’importance d’une approche contextuelle.

51 Il n’est pas nécessaire que les menaces ou les promesses visent directement le suspect pour avoir un effet coercitif. Par exemple, dans R. c. Jackson (1977), 34 C.C.C. (2d) 35 (C.A.C.‑B.), le juge McIntyre (plus tard juge de notre Cour) a examiné une confession obtenue dans une affaire où l’accusé et son ami Winn avaient volé et assassiné un auto‑stoppeur. Les policiers, qui soupçonnaient Jackson d’avoir commis le meurtre, l’ont exhorté à faire une confession, à défaut de quoi son ami Winn serait injustement déclaré coupable de meurtre. Le juge du procès avait tiré la conclusion suivante:

[traduction] [Les policiers] exerçaient une forme de pression subtile sur Jackson, faisant appel à son concept du bien et du mal. [. . .] Ils lui ont dit que s’ils ne parvenaient pas à faire la lumière sur l’affaire, il pourrait s’avérer nécessaire de porter des accusations contre les deux, et qu’il s’agissait d’une très forte possibilité. Les agents ont été très francs avec lui. Ils espéraient que Jackson, confronté avec les éléments de preuve qu’ils avaient et les conséquences de son silence, tirerait Winn d’affaire et passerait aux aveux. C’est exactement ce qu’il a fait. À mon avis, ils n’ont rien dit ni fait qui puisse être interprété par Jackson comme faisant miroiter la possibilité qu’il obtiendrait un avantage s’il faisait une confession.

Le juge McIntyre a lui aussi estimé qu’on n’avait pas fait miroiter à l’accusé l’espoir d’un avantage qui aurait rendu la confession inadmissible. Il a ensuite fait une analyse très utile du droit (à la p. 38):

[traduction] [Chaque affaire] doit être examinée à la lumière des faits qui lui sont propres. À mon avis, pour qu’un avantage promis à une personne autre que l’accusé vicie une confession, l’avantage doit être d’une nature telle que, envisagé à la lumière du lien qui existe entre cette personne et l’accusé, et de toutes les circonstances de la confession, il tendrait à amener l’accusé à faire une fausse déclaration, car c’est le danger qu’une personne puisse être incitée, par des promesses, à faire une telle déclaration qui est à l’origine de la règle de l’exclusion.

52 Le juge McIntyre a mentionné, à titre d’exemples d’encouragements inacceptables, le fait de dire à une mère que sa fille ne serait pas accusée de vol à l’étalage si la mère avouait avoir commis une infraction similaire ou le fait pour un sergent‑major d’avoir fait parader une compagnie de soldats jusqu’à ce qu’on lui dise qui était le responsable d’une agression à coups de couteau. Dans Jackson, par contraste, l’accusé avait rencontré Winn en prison et ne le connaissait que depuis un an. L’infraction avait été commise quelques jours après leur libération. Ni l’un ni l’autre n’a témoigné de l’existence entre eux d’une relation telle que [traduction] «l’immunité de l’un était d’une importance si cruciale aux yeux de l’autre qu’il ferait une fausse confession pour la préserver» (p. 39). La confession a donc été jugée admissible.

53 La règle de l’arrêt Ibrahim parle non seulement de «l’espoir d’un avantage», mais également de «la crainte d’un préjudice». Il va de soi que toute confession résultant de violence pure et simple est involontaire, non fiable et, par conséquent, inadmissible. Les menaces voilées, plus subtiles, qui peuvent être proférées contre des suspects sont plus répandues et posent un plus grand défi aux tribunaux. Dans la troisième édition de son ouvrage intitulé The Admissibility of Confessions (1979), l’honorable Fred Kaufman expose un point de départ utile, à la p. 230:

[traduction] Les menaces peuvent prendre toutes sortes de formes. Parmi les plus répandues, mentionnons les expressions comme «il vaudrait mieux» que tu te mettes à table, qui impliquent que le refus de le faire pourrait avoir des conséquences terribles. Le juge Maule a reconnu ce fait, et il a dit qu’«il ne fait pas de doute que de telles paroles, si elles sont prononcées par une personne en situation d’autorité, ont déjà justifié à au moins 500 reprises l’exclusion d’une confession»

Les tribunaux ont donc déjà écarté des confessions faites en réponse aux suggestions faites par les policiers aux suspects qu’il vaudrait mieux que ces derniers passent aux aveux.

54 Cependant, le fait que des expressions du genre «il vaudrait mieux que vous disiez la vérité» aient été utilisées ne doit pas d’office entraîner l’exclusion d’une confession. Dans de telles situations, le juge du procès doit plutôt, comme dans tous les cas, examiner le contexte global de la confession et se demander s’il existe un doute raisonnable que la confession qui en a résulté était involontaire. Le juge en chef Freedman du Manitoba a bien appliqué cette approche dans R. c. Puffer (1976), 31 C.C.C. (2d) 81 (C.A. Man.). Dans cette affaire, une personne soupçonnée de vol qualifié et de meurtre a demandé à rencontrer deux policiers qu’elle connaissait. Durant cette rencontre, un des agents a dit: [traduction] «La meilleure chose que tu puisses faire, c’est nous accompagner et nous dire la vérité» (p. 95). Le juge en chef Freedman a estimé que, quoique les paroles de l’agent aient été «mal choisies», elles n’entraînent pas l’exclusion (à la p. 95): [traduction] «McFall voulait parler, il voulait donner sa version des faits aux policiers, et il ne voulait surtout pas que Puffer et Kizyma se tirent d’affaire, le laissant ainsi seul pour faire face à la musique»

55 [traduction] Aussi risqué que puisse être le fait pour un policier d’utiliser des expressions du genre «il vaut mieux tout nous dire» — que les agents expérimentés et consciencieux éviteront comme la peste — les conséquences de ces expressions ne seront pas toujours fatales. Dans certains cas, de telles expressions ont été utilisées et, pourtant, l’aveu qui a suivi a été admis. Cela peut se produire lorsque le tribunal est convaincu que — bien que potentiellement périlleuses — les expressions attentatoires n’ont pas, dans les faits, amené l’accusé à parler. Autrement dit, il aurait fait une confession de toute façon, l’examen du tribunal ayant établi que sa déclaration était effectivement volontaire. Il est à peine besoin de souligner, cependant, que les affaires de ce type poseront une difficulté particulière aux avocats chargés des poursuites, car les expressions du genre «il vaut mieux dire la vérité» suggèrent à première vue un encouragement, et le procureur pourrait fort bien devoir lutter pour faire admettre une confession résultant de leur utilisation.

Je suis d’accord avec l’opinion selon laquelle les remarques du type «il vaudrait mieux» ne commandent l’exclusion de la confession que dans les cas où les circonstances révèlent une menace ou promesse implicite.

56 Un dernier type de menace ou de promesse pertinent dans le cadre du présent pourvoi est l’utilisation d’encouragements moraux ou spirituels. De tels encouragements ne donneront généralement pas lieu à un aveu involontaire, pour la raison bien simple que la concrétisation de l’objet de l’encouragement est indépendante de la volonté des policiers. Lorsqu’un policier dit «si vous ne confessez pas, vous passerez le reste de vos jours en prison. Dites‑moi ce qui s’est produit et je pourrai vous obtenir une peine moins lourde», il est clair qu’il encourage fortement et de façon inacceptable le suspect à faire une confession. En effet, l’agent offre une contrepartie, ce qui soulève la possibilité que le suspect confesse un crime non pas parce que, dans son for intérieur, il souhaite le faire, mais plutôt afin de tirer parti de l’avantage que lui offre l’interrogateur. Par contraste, dans le cas des encouragements spirituels, la réalisation de l’avantage évoqué est indépendante de la volonté de l’interrogateur. Le policier qui convainc un suspect qu’il se sentira mieux après avoir fait une confession n’offre rien à ce dernier. Je suis donc d’accord avec Kaufman, op. cit., qui a résumé ainsi la jurisprudence, à la p. 186:

[traduction] Nous pouvons donc conclure que, en règle générale, les aveux qui résultent d’exhortations spirituelles ou d’appels à la conscience et à la moralité sont admissibles en preuve, qu’ils aient été proférés par une personne en situation d’autorité ou par une autre personne.

57 En résumé, les tribunaux doivent avoir à l’esprit qu’il peut souvent arriver que les policiers offrent une certaine forme d’encouragement au suspect en vue d’obtenir une confession. Peu de suspects confesseront spontanément un crime. Dans la très grande majorité des cas, les policiers devront d’une façon ou d’une autre convaincre le suspect qu’il est dans son intérêt de faire une confession. Cela ne devient inacceptable que lorsque les encouragements — à eux seuls ou combinés à d’autres facteurs — sont importants au point de soulever un doute raisonnable quant à la question de savoir si on a subjugué la volonté du suspect. Sur ce point, j’estime particulièrement à propos le passage suivant de l’affaire R. c. Rennie (1981), 74 Cr. App. R. 207 (C.A.), à la p. 212:

[traduction] Très peu de confessions sont inspirées exclusivement par le remords. Il arrive souvent qu’un accusé soit animé par divers motifs, y compris l’espoir qu’un aveu hâtif puisse se traduire par une libération anticipée ou une peine moins sévère. Si, en droit, la règle était que la seule présence d’un tel motif, même s’il découle de paroles ou d’actes d’une personne en autorité, mène inexorablement à l’exclusion d’une confession, pratiquement toutes les confessions seraient jugées inadmissibles. Cela n’est pas le droit applicable. Dans certains cas, il se peut que l’espoir ait pris naissance chez l’accusé lui-même. Dans ces cas, il n’est pas pertinent, même s’il constitue le motif dominant pour lequel l’accusé a confessé le crime. La confession n’aura pas été obtenue par suite de quelque acte d’une personne en situation d’autorité. Il arrive plus souvent que la présence d’un tel espoir tire son origine, du moins en partie, d’actes ou de paroles d’une telle personne. Il y a peu de prisonniers auxquels il ne vient pas à l’esprit, au cours d’un interrogatoire serré mais équitable dans un poste de police, de mettre fin rapidement à leur interrogatoire et à leur détention en faisant une confession.

Dans tous les cas, la question la plus importante consiste à se demander si les interrogateurs ont offert une contrepartie, que ce soit sous forme de menaces ou de promesses.

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