vendredi 13 mars 2009

Le problème des fausses confessions

R. c. Oickle, [2000] 2 R.C.S. 3

33 En définissant la règle des confessions, il est important d’avoir à l’esprit le double objectif de cette règle, qui est de protéger les droits de l’accusé sans pour autant restreindre indûment la nécessaire faculté de la société d’enquêter sur les crimes et de les résoudre.

Même si des interrogatoires policiers irréguliers peuvent, dans certaines circonstances, porter atteinte à la règle [des confessions] applicable, il est essentiel de se rappeler que les autorités policières sont incapables de mener des enquêtes sur des crimes sans interroger des personnes, que ces personnes soient ou non soupçonnées d’avoir commis le crime faisant l’objet de l’enquête. Un interrogatoire policier régulièrement mené est un outil légitime et efficace d’enquêtes criminelles. [. . .] Par contre, les déclarations faites à la suite de questions intimidantes ou d’un interrogatoire oppressant et destiné à subjuguer la volonté du suspect afin de lui soutirer une confession sont inadmissibles.

37 Dans Ofshe & Leo (1997), loc. cit., à la p. 210, les auteurs donnent une taxinomie utile des fausses confessions. Selon eux, il en existe fondamentalement cinq types: volontaires, induites par stress, induites par coercition, induites par persuasion sans coercition et induites par persuasion avec coercition.

38 Selon Ofshe & Leo (1997), loc. cit., à la p. 211, les fausses confessions induites par stress surviennent [traduction] «lorsque les pressions interpersonnelles aversives de l’interrogatoire deviennent à ce point intolérables que les [suspects] cèdent pour mettre fin à l’interrogatoire». Ces fausses confessions sont soutirées par [traduction] «une utilisation exceptionnellement marquée des facteurs de stress aversifs habituellement présents au cours d’interrogatoires», et elles [traduction] «sont faites sciemment dans le but de mettre fin à l’exténuante expérience que constitue l’interrogatoire» (en italique dans l’original). Voir également Gudjonsson & MacKeith (1990), loc. cit. Un autre facteur important est le fait de mettre le suspect en présence d’éléments de preuve fabriquée afin de le convaincre de la futilité de ses protestations d’innocence: voir ibid.; Ofshe & Leo (1997a), loc. cit., à la p. 1040.

39 Les fausses confessions induites par coercition diffèrent quelque peu de celles induites par stress, puisqu’elles sont le produit des [traduction] «techniques classiques de coercition (par exemple des menaces et des promesses)» qui sont l’objet de la règle de l’arrêt Ibrahim (Ofshe & Leo (1997), loc. cit., à la p. 214). Comme l’affirment Gudjonsson & MacKeith (1988), loc. cit., à la p. 191, [traduction] «la plupart des cas de fausses confessions dont les tribunaux sont saisis sont des confessions induites par coercition». Voir également White, loc. cit., à la p. 131.

40 Le troisième type de fausses confessions est la fausse confession induite par persuasion sans coercition. Dans ce scénario, les tactiques policières utilisées ont pour effet d’amener la personne innocente à [traduction] «devenir confuse, à douter de sa mémoire, à être temporairement persuadée de sa culpabilité et à confesser un crime qu’elle n’a pas commis»: Ofshe & Leo (1997), loc. cit., à la p. 215. Pour un exemple, voir Reilly c. State, 355 A.2d 324 (Conn. Super. Ct. 1976); Ofshe & Leo (1997), loc. cit., aux pp. 231 à 234. L’utilisation de preuve fabriquée peut également contribuer à convaincre un suspect innocent de sa culpabilité.

41 Le dernier type de fausses confessions est la fausse confession induite par persuasion avec coercition. Ces confessions sont semblables aux fausses confessions induites par persuasion sans coercition, sauf que l’interrogatoire comporte également les aspects classiques de coercition des fausses confessions induites par coercition: voir Ofshe & Leo (1997), loc. cit., à la p. 219.

42 Plusieurs thèmes se dégagent de cette analyse, notamment la nécessité d’être attentif aux particularités du suspect en cause. À titre d’exemple, White, loc. cit., à la p. 120, fait la remarque suivante:

[traduction] Des fausses confessions risquent particulièrement d’être faites lorsque les policiers interrogent certains types de suspects, notamment des suspects particulièrement vulnérables en raison de leur vécu, de caractéristiques spéciales ou de la situation, des suspects qui ont une personnalité complaisante et, dans de rares cas, des suspects qui de leur personnalité sont enclins à accepter et à croire les suggestions faites par les policiers pendant l’interrogatoire.

[traduction] La force d’esprit et la volonté de l’accusé, l’effet de la détention, de l’environnement, la portée des questions ou de la conversation, tout cela exige une analyse minutieuse de leur rôle dans l’aveu et sert à la Cour pour déterminer si la déclaration a été libre et volontaire, c’est-à-dire exempte de l’influence d’un espoir ou d’une crainte qu’ils auraient pu susciter.

Dans les arrêts Ward et Horvath, précités, on a également reconnu les circonstances particulières dans lesquelles se trouvaient les suspects, et qui les avaient rendus incapables de faire une confession volontaire: dans Ward il s’agissait de l’état de choc de l’accusé, alors que dans Horvath il s’agissait de la fragilité psychologique de l’accusé, fragilité qui avait précipité son hypnose et son «effondrement émotionnel complet» (p. 400).

43 Un autre thème est le danger que pose l’utilisation d’éléments de preuve qui n’existent pas. Présenter au suspect une preuve fabriquée de toutes pièces pourra le persuader, s’il est impressionnable, qu’il a effectivement commis le crime, ou à tout le moins que toute protestation d’innocence est futile.

44 Enfin, la littérature sur la question confirme l’importance que la règle des confessions de la common law attribue aux menaces et promesses. Les fausses confessions induites par coercition constituent le type le plus répandu de fausses confessions. Ces confessions sont habituellement le fruit de menaces ou de promesses qui convainquent le suspect que, malgré les conséquences que sa décision pourrait avoir à long terme, il est dans son intérêt, à court et à moyen terme, de faire une confession.

45 Heureusement, les fausses confessions découlent rarement de l’application de techniques policières régulières. Comme l’ont souligné Leo & Ofshe (1998), loc. cit., à la p. 492, les affaires de fausses confessions comportent presque toujours [traduction] «des pratiques policières répréhensibles, de la criminalité policière, ou les deux». De même, dans Ofshe & Leo (1997), loc. cit., aux pp. 193 à 196, les auteurs soutiennent que, dans la plupart des cas, [traduction] «pour soutirer une fausse confession il faut recourir à des mesures incitatives importantes, exercer une pression intense et mener un interrogatoire prolongé. [. . .] Ce n’est que dans de très rares circonstances que les stratagèmes d’un interrogateur persuaderont un suspect innocent qu’en fait il est coupable et qu’il s’est fait prendre».

46 Avant de voir comment la règle des confessions répond à ces dangers, j’aimerais commenter brièvement la pratique, de plus en plus répandue, qui consiste à enregistrer les interrogatoires policiers, de préférence sur bande vidéo. Comme l’ont souligné J. J. Furedy et J. Liss dans «Countering Confessions Induced by the Polygraph: Of Confessionals and Psychological Rubber Hoses» (1986), 29 Crim. L.Q. 91, à la p. 104, même si [traduction] «des notes rapportent avec précision la teneur de ce qui a été dit [. . .], ces notes ne peuvent refléter le ton des propos de même que le langage corporel qui a pu être utilisé» (en italique dans l’original). De même, White, loc. cit., aux pp. 153 et 154, avance quatre raisons pour lesquelles l’enregistrement des interrogatoires sur bande vidéo est une mesure importante:

[traduction] Premièrement, une telle mesure donne aux tribunaux un moyen de contrôler les pratiques en matière d’interrogatoire et, ainsi, de faire respecter les autres garanties. Deuxièmement, elle dissuade les autorités policières d’utiliser des méthodes d’interrogatoire susceptibles de donner lieu à des confessions qui ne sont pas dignes de foi. Troisièmement, elle permet aux tribunaux de rendre des jugements plus éclairés sur la question de savoir si des pratiques particulières en matière d’interrogatoire étaient susceptibles d’entraîner une confession qui n’est pas digne de foi. Enfin, le fait d’imposer cette garantie constitue une politique d’intérêt général judicieuse puisque, en plus de réduire le nombre de confessions qui ne sont pas dignes de foi, elle aura d’autres effets salutaires y compris des avantages nets pour les responsables de l’application de la loi.

Cela ne veut pas dire que les interrogatoires qui ne sont pas enregistrés sont intrinsèquement suspects, mais simplement que, de toute évidence, l’existence d’un enregistrement peut grandement aider le juge des faits à apprécier la confession.

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