vendredi 3 avril 2009

Provocation policière

R. c. Mack, [1988] 2 R.C.S. 903

Résumé des faits
L'appelant a témoigné à son procès pour trafic de drogues et, au moment de clore sa défense, il a demandé une suspension d'instance pour cause de provocation policière. Son témoignage indique qu'il a refusé systématiquement les offres d'un indicateur de police pendant six mois et qu'il n'a été persuadé de lui vendre des drogues qu'à cause de la persistance de l'indicateur, de ses menaces et de l'offre d'une importante somme d'argent.

Analyse
132. En conclusion, et pour résumer, la bonne façon d'aborder la doctrine de la provocation policière est celle formulée par le juge Estey dans l'arrêt Amato, précité, et précisée dans les présents motifs. Comme je l'ai mentionné et expliqué précédemment, il y a provocation policière quand:

a) les autorités fournissent à une personne l'occasion de commettre une infraction sans pouvoir raisonnablement soupçonner que cette personne est déjà engagée dans une activité criminelle, ni se fonder sur une véritable enquête;

b) quoi qu'elles aient ce soupçon raisonnable ou qu'elles agissent au cours d'une véritable enquête, les autorités font plus que fournir une occasion et incitent à perpétrer une infraction.

133. Il n'est ni utile ni sage de dire dans l'abstrait quels éléments sont nécessaires pour prouver une allégation de provocation policière. Il est cependant essentiel que les facteurs sur lesquels s'appuie un tribunal soient reliés aux raisons sous‑jacentes de la reconnaissance de la doctrine en premier lieu.

134. Comme je suis d'avis que la doctrine de la provocation policière ne dépend pas de la culpabilité, il ne faut pas axer l'analyse sur l'effet de la conduite de la police sur l'état d'esprit de l'inculpé. Plutôt, j'estime qu'autant que possible il faut effectuer une évaluation objective de la conduite de la police et de ses agents. La prédisposition, ou l'activité criminelle passée, présente ou soupçonnée de l'inculpé ne sont pertinentes qu'à titre d'éléments permettant de déterminer si l'occasion de commettre l'infraction fournie par les autorités à l'inculpé est justifiable. En outre, il doit y avoir un rapport suffisant entre la conduite passée de l'inculpé et l'occasion offerte puisque, autrement, le soupçon de la police ne serait pas raisonnable. Quoique, sans être concluante, la prédisposition de l'accusé ait une certaine pertinence relativement à l'évaluation de la façon dont la police a initialement abordé une personne en lui offrant une occasion de commettre une infraction, elle n'est jamais pertinente pour déterminer si elle est allée au‑delà d'une offre, puisqu'il faut l'évaluer en fonction de ce que la personne ordinaire sans prédisposition aurait fait.

135. L'absence de soupçon raisonnable ou de véritable enquête est significative pour évaluer la conduite de la police, en raison du danger que cette dernière n'entraîne des gens qui autrement n'auraient été impliqués dans aucun crime, et parce qu'on ne doit pas avoir recours à la force policière simplement pour éprouver au hasard la vertu des gens. Cependant, la présence d'un soupçon raisonnable ou la simple existence d'une véritable enquête ne justifiera jamais les techniques de provocation policière: les forces policières ne doivent jamais faire autre chose que d'offrir une occasion, indépendamment de leur perception de la moralité de l'inculpé et de l'existence d'une enquête honnête. Pour décider si la police a employé des moyens qui semblent dépasser l'offre simple d'une occasion, il est utile de considérer les facteurs suivants, individuellement ou collectivement:

‑‑ le genre de crime qui fait l'objet de l'investigation et la disponibilité d'autres techniques pour la détection par la police de sa perpétration;

‑‑ si l'individu moyen, avec ses points forts et ses faiblesses, dans la situation de l'inculpé, aurait été incité à commettre un crime;

‑‑ la persistance et le nombre de tentatives faites par la police avant que l'inculpé n'accepte de commettre une infraction;


‑‑ le genre d'incitations utilisées par la police, y inclus: la tromperie, la fraude, la supercherie ou la récompense;

‑‑ le moment où se situe la démarche de la police, en particulier si la police a déjà fait enquête au sujet de l'infraction ou si elle intervient alors que l'activité criminelle est en cours;

‑‑ si la démarche de la police présuppose l'exploitation d'émotions humaines, telles la compassion, la sympathie et l'amitié;

‑‑ si la police paraît avoir exploité une vulnérabilité particulière d'une personne, comme un handicap mental ou l'accoutumance à une substance particulière;

‑‑ la proportionnalité de l'implication de la police, comparée à celle de l'inculpé, y compris une évaluation du degré du dommage causé ou risqué par la police, en comparaison de celui de l'inculpé, et la perpétration de tout acte illégal par les policiers eux‑mêmes;

‑‑ l'existence de menaces, tacites ou expresses, proférées envers l'inculpé par la police ou ses agents;

‑‑ si la conduite de la police cherche à saper d'autres valeurs constitutionnelles.

136. Cette énumération n'est pas exhaustive, mais j'espère qu'elle contribuera à l'élaboration d'un schéma d'application de la doctrine de la provocation policière. Jusqu'à maintenant, je n'ai pas fait mention de l'exigence, que l'on retrouve dans les motifs du juge Estey dans l'arrêt Amato, précité, que la conduite doit avoir été, dans tous les cas, révoltante voire scandaleuse. Je suis d'avis que c'est là un facteur qu'il vaut mieux examiner au chapitre des questions de procédure, vers lesquelles je me tourne maintenant.

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