R. c. Roy, 2002 CanLII 41133 (QC C.A.)
[9] Dans un procès pénal, l'équilibre dans le rapport de force entre le Ministère public et l'inculpé ne peut être atteint si le juge usurpe le rôle de l'une des parties. C'est à ce dernier qu'incombe le devoir de veiller au respect des droits fondamentaux de chacune d'elles, dont notamment le droit à une audition juste et impartiale qui nous concerne en l'espèce. Cette règle d'or a été affirmée par les tribunaux de temps immémorial: il ne suffit pas que justice soit rendue, encore faut-il qu'il paraisse indubitablement qu'elle le soit. C'est le critère d'équité qui exige du tribunal de tenir une audition en toute sérénité et sans préjugé ou apparence de préjugé, en donnant à chaque partie l'occasion d'exposer adéquatement sa cause: c'est une question d'éthique judiciaire.
[10] Il ne s'agit pas ici de remettre en question le pouvoir d'intervention du juge d'instance dans la conduite d'un débat judiciaire. Comme la Cour suprême l'a affirmé dans Brouillard dit Chatel, «non seulement acceptons-nous aujourd'hui que le juge intervienne dans le débat adversaire, mais croyons-nous aussi qu'il est parfois essentiel qu'il le fasse pour que justice soit effectivement rendue. Ainsi, un juge peut et, parfois, doit poser des questions aux témoins, les interrompre dans leur témoignage, et au besoin les rappeler à l'ordre.». Reste à déterminer si ces interventions «ont rompu l'équilibre qui doit exister entre les parties», «si elles ont eu ou pu avoir un impact sur le déroulement juste et équitable du procès». Comme l'affirmaient les juges Rousseau-Houle et Biron dans une opinion conjointe, «il y a cependant des limites au droit d'un juge de poser des questions. Pour assurer que l'accusé ait un procès équitable, les questions posées par le juge ne doivent pas perturber de façon sensible l'interrogatoire conduit par l'avocat ou laisser transparaître un parti pris.».
[11] Dans Dumas c. La Reine, cette Cour a reproché au premier juge «d'avoir agi comme procureur supplémentaire de la poursuite et comme un enquêteur qui prend le contrôle de toute l'enquête au lieu de laisser aux avocats le travail principal d'interroger les témoins». C'est ce même type d'intervention qui a été dénoncé et jugé portant atteinte à l'équité du procès dans plusieurs arrêts de cette Cour: R. c. Gagnon; R. c. Lalancette, 1987 CanLII 686 (QC C.A.), [1987] R.L. 522; Gaétan St-Pierre c. La Reine, C.A.Q. no 200-10-000138-821, 31 mai 1989, les juges LeBel, Mailhot et Frenette, ad hoc; R. c. Gagnon, [1992] 47 Q.A.C. 232; Vigneault c. La Reine, 1990 CanLII 2686 (QC C.A.), [1991] R.J.Q. 19; Denis c. La Reine, [1966] B.R. 404; Daniel Jr. Raymond c. La Reine, C.A.M. no 500-10-000188-936, 18 décembre 1996, les juges Deschamps, Forget et Biron, ad hoc; Denis Laroche c. La Reine, C.A.Q. no 200-10-000191-952, 20 décembre 1999, les juges Mailhot, Rousseau-Houle et Biron, ad hoc.
[12] C'est donc une question de mesure qui permet de tracer la ligne de démarcation entre la légalité et l'illégalité dans la conduite du procès (Denis c. La Reine, supra, p. 405). Quand un juge troque sa« toge contre celle d'un avocat» (Brouillard dit Chatel, supra, p. 44), «s'il donne l'impression de vouloir prendre le dossier en mains en ne laissant pas aux avocats le soin de procéder à l'interrogatoire de leur témoin» (Vigneault c. La Reine, supra, p. 24), ou encore lorsque «les nombreuses interventions du juge et le rôle actif qu'il s'est attribué ont manifestement gêné les avocats dans l'exercice de leurs fonctions et privé l'appelant du bénéfice d'un procès qui donne l'apparence de l'impartialité nécessaire au maintien du respect que doit susciter l'administration de la justice», ou encore qu'il «usurpe le rôle des avocats», l'équilibre est rompu et il en résulte une atteinte à l'équité de l'audience.
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