R. c. Gervais, 2004 CanLII 15674 (QC C.Q.)
La prise de connaissance du casier judiciaire
[50] Par ailleurs et avec égard pour l'opinion contraire, nous croyons que le procureur de l'accusé s'est mal dirigé en droit relativement à l'objection d'une preuve de condamnation antérieure.
[51] En effet, l'arrêt Corbett établit la constitutionnalité de l'article 12 de la Loi de la preuve au Canada permettant la preuve de condamnations antérieures dans la mesure où celle-ci se rapporte à la crédibilité:
L'article 13 de la Loi sur la preuve au Canada ne viole pas la garantie contenue à l'article 11(d) de la Charte. L'article 12 a pour seul effet de permettre au ministère public de produire en preuve les condamnations antérieures dans la mesure où celles-ci se rapportent à la crédibilité.
[52] C'est d'ailleurs la mesure et la façon habituelles de "tester" la crédibilité des témoins qu'ont fait valoir les auteurs Béliveau et Vauclair:
Comme le prévoit l'article 12 de la Loi sur la preuve au Canada, l'accusé qui choisit de témoigner s'expose, comme tout autre témoin et sans qu'il soit nécessaire qu'il ait préalablement fourni une quelconque preuve de son honorabilité, à être contre-interrogé par le poursuivant sur ses antécédents judiciaires.
[53] Le fait d'écarter les condamnations antérieures n'est pas un "a priori" mais une forme de sauvegarde des droits de l'accusé dans le cas d'exception où serait compromis son droit à un procès équitable.
La pertinence du casier judiciaire
[54] L'article 12 de la Loi sur la preuve au Canada s'applique habituellement car l'accusé qui choisit de témoigner, sans même tenter d'établir sa bonne réputation, doit s'attendre à être contre-interrogé sur ses antécédents judiciaires. Toutefois, le juge peut écarter cette preuve d'antécédents dans des cas exceptionnels où cela rendrait le procès inéquitable.
[55] L'Honorable juge Laforest dans l'arrêt Corbett et l'Honorable juge Brossard dans la cause Trudel c. R. ont fait état des critères permettant l'irrecevabilité de l'antécédent judiciaire.
[56] À l'étude des cas de jurisprudence, il semble impossible de définir une liste exhaustive des facteurs pertinents, mais les lignes de force et les conclusions qui s'en dégagent ont trait à l'effet préjudiciable de la mise en preuve de ces condamnations sur l'équité du procès en regard de la valeur probante que cette preuve pourrait amener.
[57] Mais il ressort une constante que le préjudice résultant de l'existence d'une preuve d'antécédents, même en semblable matière, est grandement diminué par le fait que l'accusé attaque la crédibilité des témoins à charge. Comme la question à trancher ne repose, comme c'est le cas en l'espèce, que sur la crédibilité des témoins, la valeur probante de la preuve de condamnations antérieures l'emportera.
[58] Il est bien sûr que cette preuve et l'interrogatoire ne peuvent pas servir à fournir des informations établissant un mode de vie ou à prouver une mauvaise réputation et les principes régissant l'admissibilité d'une preuve relative aux condamnations antérieures de l'accusé s'appliquent que l'on soit en présence d'un juge siégeant seul ou avec un jury.
[59] En pratique, cet examen s'avère beaucoup plus impérieux devant jury en raison de la "fausse impression" que pourrait provoquer la connaissance par le jury d'un casier judiciaire. Ainsi, un jury pourrait être fortement impressionné par la connaissance de l'existence d'un casier judiciaire et en déduire illégalement une propension de l'accusé à commettre ce crime.
[60] Me Allen C. Edgar commente la juste façon de traiter cette information:
En informant le juge du fait que l'accusé a un casier judiciaire, on risque que ce dernier y accorde une importance démesurée. Cependant, en dissimulant ce fait au juge, on lui cache des renseignements se rapportant à la crédibilité et on court le risque que sa perception de la situation soit faussée. La meilleure façon de réaliser l'équilibre et d'atténuer ces risques est de fournir au juge des faits des renseignements complets mais de lui donner en même temps des directives claires quant à l'usage limité qu'il peut faire de ces renseignements. Ils ne peuvent servir qu'à évaluer la crédibilité du témoignage de l'accusé.
[61] Les arrêts Underwood et Vaillancourt précisent que, devant jury, la demande de la défense est préalable à l'audition de l'accusé pour balancer les intérêts contradictoires et éviter une exclusion de la preuve "ex post facto":
Au motif de la recherche de la vérité versus "la possible contamination" du jury qui serait impressionné trop défavorablement par le casier judiciaire.
Au motif de protéger l'institution du jury à qui on ne doit rien cacher en principe (saine administration de la justice) versus le tort trop grand que l'admission de cette preuve pourrait engendrer.
[62] Cependant, devant juge seul, ce dernier doit connaître le casier judiciaire afin de statuer sur le mérite de celui-ci. En conséquence, on ne peut cacher, comme on l'aurait souhaité en l'espèce, le casier judiciaire sous prétexte d'une possible contamination du juge seul.
[63] D'ailleurs, après étude de la jurisprudence, aucun exemple n'a pu être trouvé dans lequel une situation exceptionnelle rendant le procès sans jury inéquitable n'a été retracé.
[64] Nous considérons donc que nous avons à prendre connaissance de cette condamnation antérieure pour faire ensuite la détermination de sa pertinence.
[65] Sans en faire une règle pour toutes les causes de facultés affaiblies, force est d'admettre que le débat s'articule la plupart du temps autour des témoignages des policiers et du résultat de l'ivressomètre qui sont contestés, alors que l'accusé apporte en défense une consommation adéquate d'alcool dont l'expert déduit le taux, c'est précisément le cas en l'espèce.
[66] Si on appliquait la théorie exposée par Me Mélançon dans les cas de facultés affaiblies, le tribunal ne pourrait prendre connaissance – ce que nous avons déjà rejeté – ni accepter comme pertinente la preuve de condamnation antérieure pour ce genre de crime aux motifs soulignés par les arrêts Corbett et Trudel, surtout, comme en l'espèce, si la condamnation pouvait être rapprochée dans le temps.
[67] Cette lecture des arrêts précités nous semble mécanique et faussée.
[68] En l'espèce, l'accusé a attaqué la crédibilité des policiers, notamment:
- sur la distance où ils ont pu observer la conduite de l'accusé
- sur l'endroit de l'interception.
et a de plus affirmé qu'il se souciait de sa consommation d'alcool lorsqu'il avait à conduire son véhicule:
- en appliquant un ratio bière-temps lorsqu'il consomme
- en limitant l'utilisation de son véhicule lorsqu'il prend un verre.
[69] Dès lors, la preuve de ces antécédents judiciaires est pertinente quant à l'évaluation de sa crédibilité. D'ailleurs, la présente cause amènerait le tribunal non seulement à ne pas découvrir la vérité, mais aurait eu la conséquence fâcheuse d'induire le tribunal en erreur, ce qui a motivé notre intervention.
[70] Dans notre affaire, le fait de ne pas connaître l'antécédent judiciaire de l'accusé aurait pu faire croire erronément que l'accusé était un "citoyen modèle" qui avait des rapports avec l'alcool au-dessus de tout soupçon: la présence d'un antécédent permettait à tout le moins l'examen de cette question.
[71] En somme, le casier judiciaire de l'accusé peut donc être un fait pertinent sur l'appréciation de sa crédibilité car le juge des faits "a le droit de savoir quel est le type de personne qui lui demande d'ajouter foi à ses propos.
[72] Enfin, l'objection de Me Mélançon sur les condamnations à l'effet qu'il s'agissait d'une condamnation en semblable matière ne peut tenir pour les motifs liés à la crédibilité (tel que déjà exposé). Encore faut-il ajouter que la règle d'exclusion de cette preuve pour ce motif est discrétionnaire et qu'au contraire, la mise en preuve est souvent acceptée parce que digne d'intérêt.
[73] Donc, nous croyons en la pertinence de cette preuve pour évaluer la crédibilité de l'accusé et le tribunal en tiendra compte.
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