mercredi 30 septembre 2009

Le pouvoir discrétionnaire des policiers

R. c. Beaudry, 2007 CSC 5 (CanLII)

35 Il ne fait pas de doute que l’agent de police a le devoir d’appliquer la loi et d’enquêter sur un crime. Le principe selon lequel il incombe au policier d’appliquer le droit criminel est bien établi en common law : R. c. Metropolitan Police Commissioner, [1968] 1 All E.R. 763 (C.A.), le maître des rôles lord Denning, p. 769; Hill c. Chief Constable of West Yorkshire, [1988] 2 All E.R. 238 (H.L.), lord Keith of Kinkel; P. Ceyssens, Legal Aspects of Policing (éd. feuilles mobiles), vol. 1, p. 2-22 et suiv.

36 Ce principe est par ailleurs codifié à l’art. 48 de la Loi sur la police, L.R.Q., ch. P‑13.1 :

48. Les corps de police, ainsi que chacun de leurs membres, ont pour mission de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique, de prévenir et de réprimer le crime et, selon leur compétence respective énoncée aux articles 50 et 69, les infractions aux lois ou aux règlements pris par les autorités municipales, et d’en rechercher les auteurs.

Pour la réalisation de cette mission, ils assurent la sécurité des personnes et des biens, sauvegardent les droits et les libertés, respectent les victimes et sont attentifs à leurs besoins, coopèrent avec la communauté dans le respect du pluralisme culturel. Dans leur composition, les corps de police favorisent une représentativité adéquate du milieu qu’ils desservent.

37 Néanmoins, il ne faut pas conclure mécaniquement ou sans discernement à l’existence de ce devoir. Le passage de la lettre de la loi aux situations pratiques et concrètes auxquelles sont confrontés les policiers dans l’exercice journalier de leurs fonctions nécessite certains ajustements. Même s’ils paraissent parfois déroger à la lettre de la loi, ces ajustements sont cruciaux et participent de l’essence même d’une saine administration de la justice criminelle ou, pour reprendre le libellé du par. 139(2), s’inscrivent parfaitement dans le « cours de la justice ». C’est précisément la capacité — voire l’obligation — d’exercer son jugement pour ajuster l’application de la loi aux circonstances ponctuelles et aux impératifs concrets de la justice qui sert de fondement au pouvoir discrétionnaire du policier. À ce propos, la remarque du juge La Forest dans l’arrêt R. c. Beare, 1988 CanLII 126 (C.S.C.), [1988] 2 R.C.S. 387, p. 410, conserve toute sa pertinence :

Le pouvoir discrétionnaire est une caractéristique essentielle de la justice criminelle. Un système qui tenterait d’éliminer tout pouvoir discrétionnaire serait trop complexe et rigide pour fonctionner.

Ainsi, l’agent de police qui a des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise ou qu’une enquête plus approfondie permettrait d’obtenir des éléments de preuve susceptibles de mener au dépôt d’accusations pénales, peut exercer son pouvoir discrétionnaire et décider de ne pas emprunter la voie judiciaire. Or, ce pouvoir n’est pas absolu. Le policier est loin d’avoir carte blanche et doit justifier rationnellement sa décision.

38 Les justifications requises sont essentiellement de deux ordres. D’abord, l’exercice du pouvoir discrétionnaire doit se justifier subjectivement, c’est‑à‑dire qu’il doit nécessairement être honnête et transparent et reposer sur des motifs valables et raisonnables (motifs du juge Chamberland, par. 41). Ainsi, une décision fondée sur le favoritisme ou sur des stéréotypes culturels, sociaux ou raciaux ne peut constituer un exercice légitime de la discrétion policière. Toutefois, il ne suffit pas, pour justifier une décision, de croire sincèrement qu’elle a été prise dans l’exercice légitime du pouvoir discrétionnaire.

39 C’est pourquoi l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la police doit ensuite être justifié au regard d’éléments objectifs. Je conviens avec le juge Doyon qu’au moment de décider de la légitimité d’une décision discrétionnaire, il importe de s’attacher aux circonstances matérielles qui ont donné lieu à l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Cependant, je ne partage pas son opinion en ce qui concerne l’importance des éléments qu’il associe au contexte juridique, soit les directives administratives et l’administration de la justice dans la province.

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